Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Camprobin Passano (Pedro de)

Peintre espagnol (Almagro, prov. de Ciudad Real, 1605  – Séville 1674).

Comme apprenti de Luis Tristán (1619), il s'est formé dans le groupe des peintres tolédans marqué d'un fort accent ténébriste. Il a pu voir les œuvres de Loarte et à Madrid celles de Van der Hamen qui l'incitèrent sans doute à pratiquer la nature morte. Il se rend ensuite à Séville où il passe son examen de peintre en 1630 ; des documents attestent alors des travaux de restauration de tableaux d'autel (1652, église de l'hôpital de Las Llaguas) et l'exécution d'une série de 12 peintures de fleurs pour le couvent dominicain de S. Pablo. En 1660, il figure parmi les fondateurs de l'Académie sévillane de peinture à côté de Murillo, Herrera le Jeune et Valdés Leal. Ses compositions florales, où l'on décèle l'influence de Zurbarán (Panier de fleurs et tasse, Séville, coll. Ibarra) ou des éléments d'origine flamande (Madrid, coll. part.), sont traitées avec sobriété et raffinement dans une gamme chromatique restreinte et subtile. La Nature morte avec des oiseaux morts (1653, Dallas, The Meadows Museum) est un bel exemple de ses compositions plus rustiques échelonnées sur différents plans. Il s'intéressa également à la figure humaine (la Madeleine, 1634, Séville, église El Salvador ; et la Mort et le galant (Séville, Hospital de la Caridad).

Camuccini (Vincenzo)

Peintre italien (Rome 1771  – id. 1844).

Élève de Domenico Corvi à Rome, Camuccini est encouragé dans sa vocation de peintre par son frère Pietro, collectionneur, antiquaire et marchand d'art ; c'est lui qui l'introduit dans les cercles les plus ouverts de la capitale, réunis autour d'A. Kauffmann et de Th. Jenkins. Entre 1790 et 1797, il fréquente l'Accademia de' Pensieri de Felice Giani où il peut côtoyer, en même temps que ses concitoyens, de nombreux peintres étrangers (Fabre, Wicar, Humbert de Superville). En 1793, il peint la première version de la Mort de César pour lord Bristol, qu'il détruit ensuite de ses propres mains ; la seconde version (1816-1817) et son pendant, une Mort de Virginie, sont conservés à Naples (Capodimonte). À partir de ces réalisations de jeunesse, les éléments essentiels de la peinture de Camuccini sont mis en place : mise en page rigoureuse (péchant parfois par excès de rhétorique), chromatisme sobre, sujets tirés de l'histoire ancienne et sélectionnés pour leur valeur morale (Pompée s'arme pour affronter César, pour le prince Pietro Gabrielli ; Virgile lit " l'Énéide " devant Auguste, pour la duchesse de Devonshire ; Tarquin et Collatin auprès de Lucrèce en deux versions, l'une pour le comte Appony, l'autre pour les Rothschild de Naples). Il devient rapidement l'un des représentants les plus en vue du néoclassicisme italien de descendance davidienne. À partir des années 1820, le rôle officiel de Camuccini dans les milieux artistiques du royaume de Naples et de l'État pontifical se renforce. Entre 1814 et 1824, il est inspecteur des peintures publiques de Rome ; en 1819, le roi de Naples lui confie la tâche de réaménager les galeries de la Couronne ; en 1825, il est nommé directeur de l'Académie de Naples à Rome. Il fut aussi un brillant portraitiste (portrait de Thorvaldsen, en 1808 ; de Pie VII, en 1815 ; du duc de Blacas, en 1825 ; de Léon XII, en 1825).

Canaletto (Antonio Canal, dit)

Peintre italien (Venise 1697  – id. 1768).

Fils de Bernardo Canal, peintre de théâtre, il débuta comme scénographe, mais son tempérament le poussa progressivement à s'éloigner d'un genre uniquement décoratif. Cependant, lors d'un séjour à Rome en 1719-20, il exécuta des décors pour les opéras de Scarlatti. À Rome, il connut sans doute Vanvitelli et des Néerlandais, peintres de " vedute " (vues) et de bambochades, observateurs attentifs de la réalité, qui lui communiquèrent une conscience précise de la perspective, le goût de l'esquisse et de la vie populaire, et qui le poussèrent à " excommunier le théâtre [...] et [à] s'adonner aux vues naturelles " (Zanetti, 1733). En 1720, de retour à Venise (son nom paraît alors dans la Antonio Canaletto" Fraglia " [corporation des artistes] des peintres), il ajoute à l'expérience de la " vue " romaine la connaissance de Marco Ricci et de Luca Carlevarijs. Si la veduta la plus ancienne de Canaletto, la Place Saint-Marc (1723, Madrid, Fondation Thyssen-Bornemisza), montre en effet un certain lien avec Carlevarijs dans les petits personnages esquissés, l'alternance des zones d'ombre et de lumière, vibrant sur le rouge des briques du Campanile et sur le blanc azur des rideaux des Procuratie, le rapproche davantage de la manière de Marco Ricci, peintre de ruines. Les 4 Vues de Venise (Montréal, coll. Pillow), exécutées entre 1725 et 1726, témoignent d'un intérêt profond pour le clair-obscur dans la perspective, qui est coupée pour que la lumière tombe avec de riches effets pittoresques sur les surfaces lézardées des crépis ou sur les fentes roses des briques. De 1726 datent plusieurs compositions allégoriques peintes pour l'imprésario de théâtre Owen MacSwiny, le premier des clients anglais, si nombreux et importants dans la vie de Canaletto. La lumière, bien que plus claire, mais encore chaude, s'enrichit de tons foncés dans les 6 grandes Vues de la place Saint-Marc (1726-27, Windsor Castle), tandis qu'une traduction plus habile de la perspective suggère des horizons plus larges. Cette ampleur panoramique et une lumière qui réchauffe les empâtements font de l'Église de la Carità vue de l'atelier des marbres de San Vital (Londres, N. G.) le sommet de l'œuvre de Canaletto à cette époque.

   À partir de la fin de la troisième décennie, les " vues idéales " et les effets de clair-obscur font place à un répertoire de " vues réelles ", vénitiennes ou lagunaires, où joue une luminosité plus claire. Ainsi s'annonce la plus haute conquête de Canaletto, et la plus originale, celle d'une lumière " phénoménologique ", la plus apte à rendre avec précision la réalité directe. Homme éclairé, participant à une morale et à une culture qui le situent à un niveau vraiment européen, Canaletto évite toute forme de représentation qui ne peut être réduite à une règle scientifique. L'utilisation qu'il fait de la " chambre optique " est précisément due à cette volonté pointilleuse de saisir la " vérité " dans l'espace et de la peindre de la façon la plus rationnelle et objective possible. Les places, les " campielli ", les canaux, les quais, toute la ville est fouillée par la lumière limpide qui glisse rapidement sur les objets du premier plan, s'insinue à la recherche de minuties plus lointaines, cristallise dans une goutte de chrome transparente l'humanité fourmillante de Venise. À l'encontre de tout pressentiment romantique, c'est d'une telle exigence rigoureuse de vérité dans la représentation que naît le langage poétique de Canaletto : il peint l'histoire de Venise, ville gaie et ensoleillée, riche et aristocratique, qui ne soupçonne rien de sa chute imminente. Le changement de style est nettement visible dans les deux grandes scènes de la coll. Crespi de Milan, la Réception de l'ambassadeur Bolagno au palais des Doges et le Départ du Bucentaure pour le mariage avec la mer : l'empâtement gras de la période du clair-obscur est désormais remplacé par un autre plus fluide et plus étalé, qui donne à la scène une propreté d'" après la pluie ".

   Peu après 1730, Canaletto exécute une série de vues vénitiennes pour le duc de Bedford (Woburn Abbey) : la ville y est contemplée sereinement, jamais transfigurée, toujours exactement rendue dans le cadre de ses monuments et dans la couleur de son atmosphère. Le Quai de la Piazzetta et San Marco et le Palais des Doges de Washington (N. G.) datent de la même période. Dans le Cortège du doge sur le campo San Rocco (Londres, N. G.), l'allègre confusion de la foule en fête est traduite par les rythmes serpentins, la violence des touches curvilignes, la nervosité des taches de couleur, d'où jaillit et vibre une lumière de gemme.

   Vers la fin de la cinquième décennie, Canaletto tend à diminuer les dimensions des édifices et des silhouettes et à agrandir, par contre, démesurément l'espace. Le Bassin de Saint-Marc (Boston, M. F. A.) en est un exemple : l'horizon sert de charnière à deux grands arcs, le champ du ciel, gradué par les nuages, et le miroir de l'eau, dont les passages sont rythmés par la disposition des barques sur des plans différents.

   Depuis plusieurs années, Canaletto était en rapport avec l'Anglais John Smith, qui devint son " mécène-marchand " et son intermédiaire auprès des clients anglais. L'album des gravures de Canaletto est justement dédié au consul de Sa Majesté britannique auprès de la république de Saint-Marc, charge qui fut donnée à Smith en 1744 ; les 31 eaux-fortes, cependant, furent exécutées en plusieurs années : en partie " idéales " et en partie copiées sur la réalité, elles représentent la lagune et les paysages de l'arrière-pays ; le peintre y obtient les pures valeurs de l'atmosphère même sans couleur, seulement en approfondissant et en marquant plus ou moins le trait.

   Il est probable qu'en 1742-43 Canaletto fit un deuxième voyage à Rome : ce fait pourrait être confirmé par quelques dessus-de-porte exécutés pour Smith (Windsor Castle), d'un goût fantaisiste et d'une bizarrerie inventive qui rappellent les " caprices " de Pannini. L'Angleterre constitue le deuxième pôle de l'activité de Canaletto ; ses vues étaient vivement appréciées par les Anglais (auj. encore les musées et les collections britanniques conservent plus de 200 peintures de l'artiste, soit plus de la moitié de sa production autographe), non seulement par les touristes du " Grand Tour ", mais aussi par ceux qui, dans leur pays, trouvaient familière sa simplicité toute rationnelle. Au cours de deux séjours londoniens entre 1746 et 1753, certainement organisés par Smith, la luminosité limpide et froide du ciel anglais, unie à un détachement contemplatif désormais bien acquis, inspire au peintre la représentation d'une réalité tout à la fois lyrique et immuable. Nombreuses sont les vues de la Tamise : celle de la Terrasse de Richmond (1746, Goodwood, coll. Earl of Richmond and Gordon) montre une perspective grandiose, organisée autour de la large courbure de la boucle du fleuve et de la diagonale de la terrasse ; la lumière méridionale met en évidence les virgules rococo des silhouettes roses et bleues. La perspective se dilate invraisemblablement le long de la grande allée centrale d'Old Horse Guards, vue de Saint James Park (1749, coll. Earl of Malmesbury), tandis que le charme de la campagne anglaise, douce et silencieuse, domine la vue du Château de Warwick (Warwick, coll. Earl of Warwick).

   Rentré à Venise en 1755, Canaletto y trouva le climat changé, aussi bien dans le marché que dans le goût (il est significatif que l'Académie ait attendu 1763 pour l'accueillir). De ces dernières années datent le Portique de palais (Venise, Accademia) et l'Intérieur de Saint-Marc (Windsor Castle), une nouveauté chez le peintre de la lumière solaire qui, presque à la fin de sa vie, suscite par des signes tourbillonnants de mystérieux fantômes dans l'ombre de la basilique. Ainsi disparaissait Canaletto, qui, à n'en pas douter, ouvrait la route qui mène, en passant par les paysagistes anglais du XVIIIe s. et Constable, au XIXe s. et au romantisme lucide de Corot.

   L'influence de Canaletto fut considérable non seulement à Venise même sur des artistes de premier plan, tels que son neveu Bernardo Bellotto, Francesco Guardi ou Michele Marieschi, mais aussi sur nombre d'imitateurs italiens (G. B. Cimaroli, G. Richter, F. Tironi, G. Moretti, G. Migliara) et étrangers, principalement anglais (S. Scott).