Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Duccio Di Buoninsegna

Peintre italien (Sienne v.  1260  – id. 1318-19).

Le problème des débuts de Duccio

Le premier document qui le concerne date de 1278 et porte sur la décoration de douze coffres-forts de la Commune ; l'année suivante, il est payé pour avoir peint une couverture de la " Biccherna ". Mais ces documents ne nous apprennent rien sur la première formation de l'artiste, qui, peu d'années après, prouvera sa très haute culture et le prestige dont il jouissait lorsqu'il sera chargé d'exécuter en 1285 la Maestà (Madone Rucellai) pour la compagnie des Laudesi à S. Maria Novella de Florence. Le langage savant de cette œuvre, qui n'a que des liens insignifiants avec la vieille culture siennoise, de goût byzantin, inaugure en effet une tradition tout à fait nouvelle pour cette ville, sinon pour Florence, désormais dominée par la culture de Cimabue. C'est d'ailleurs en remarquant les rapports de Duccio avec l'art de Cimabue que la critique moderne a reconnu dans un séjour auprès du maître florentin la source de l'affranchissement de Duccio vis-à-vis de l'archaïque tradition siennoise du XIIIe s. Devant formuler une hypothèse plausible sur les mystérieux débuts de Duccio, certains historiens ont ainsi suggéré d'y deviner un moment d'équilibre assez instable entre plusieurs tendances : de sévères notions byzantines à l'arrière-plan, l'influence de la tendance expressive prononcée et de la technique orientale de Coppo di Marcovaldo (à Sienne en 1261), enfin les premiers reflets de l'art de Cimabue antérieur aux fresques de la basilique d'Assise. On a même supposé, de façon hypothétique, l'attribution à Duccio, v. 1280, de quelques œuvres (Crucifix, Florence, Palazzo Vecchio et Carmine). Pour confirmer les rapports du jeune artiste avec Cimabue, on a, d'autre part, reconnu la présence de Duccio parmi les peintres qui exécutèrent, très vraisemblablement sous la direction de Cimabue, les Scènes de l'Ancien Testament dans la basilique supérieure d'Assise : les restes de la Crucifixion et l'une des figures d'Anges du transept sont les parties qui paraissent les plus convaincantes pour confirmer cette identification (Longhi), qui semble aussi fort plausible sur le plan chronologique, si l'on admet que les œuvres en question correspondent à l'activité de Duccio durant les années qui précèdent 1285, date de la Madone Rucellai. Antérieure est la Madone avec l'Enfant, autrefois à Crevole (Sienne, Opera del Duomo), image pathétique et d'une grande noblesse, où l'influence de Cimabue, propre à ces premières années de Duccio, est encore transposée dans l'atmosphère classicisante créée par la persistance des souvenirs byzantins.

La " Madone Rucellai "

Ces mêmes souvenirs subsistent, mais plus cachés, dans la grande Maestà (dite aussi Madone Rucellai ), exécutée en 1285 pour la compagnie des Laudesi (Offices), où les anciens schémas, interprétés avec une sorte de vibrante concentration intérieure, se fondent dans l'élégance de la nouvelle sensibilité gothique. La force plastique de Cimabue acquiert la légèreté propre aux ivoires sculptés ; elle se voit adoucie par un chromatisme resplendissant, plus vrai, et pourtant empreint d'un fort accent d'Antiquité classique. La Madone Rucellai marque ainsi le triomphe d'une conception classicisante du renouvellement gothique de la peinture toscane. L'écho des courants français les plus avancés tout comme le langage florentin, qui naissait alors grâce à Giotto et qui se fondait sur une construction rationnelle de l'espace et des volumes, seront interprétés par Duccio et par ses élèves selon une élégance formelle abstraite, unissant la préciosité antiquisante des couleurs à la conception harmonieuse des lignes et des rythmes.

   On remarquera que cette première maturité stylistique de Duccio ne manqua pas d'avoir une certaine influence sur Cimabue lui-même. Le désaccord des critiques sur l'attribution à l'un ou à l'autre peintre de quelques œuvres de signification plus grande (Madone à l'Enfant de Castelfiorentino ; Flagellation de la Frick Coll. à New York ; Maestà de l'église des Servi à Bologne) en est la preuve.

De la " Madone Rucellai " à la " Maestà " (1285-1308)

De ces années, encore proches de 1285, quelques œuvres indiscutables de Duccio paraissent fort significatives, comme la petite Maestà (musée de Berne), la minuscule Madone des Franciscains (Sienne, P. N.) et le dessin pour le vitrail du chœur de la cathédrale de Sienne, datant de 1288 d'après les documents.

   Les spécialistes, par contre, ne se sont pas encore entendus sur l'attribution à Duccio lui-même d'un certain nombre d'œuvres : la Madone sur un trône de la Gal. Sabauda de Turin, le petit triptyque avec la Madone et l'Enfant sur un trône et des Scènes de la vie du Christ et de saint François, malheureusement abîmé (Cambridge, Mass., Fogg Art Museum), le Crucifix autrefois au château de Bracciano, la Madone à l'Enfant de Buonconvento (Sienne), la Madone et l'Enfant, n° 583 de Sienne (P. N.).

   La critique retrouve l'unanimité à l'égard des œuvres qui annoncent désormais la conclusion magistrale de la carrière de Duccio, la grande Maestà peinte pour le maître-autel de la cathédrale de Sienne. De quelques années antérieures à cette œuvre paraissent ainsi la Madone à l'Enfant de la coll. Stoclet, à Bruxelles, le triptyque avec la Madone et deux saints de la N. G. de Londres et la Madone à l'Enfant de la G. N. de Pérouse. On reconnaît généralement quelque intervention de l'atelier dans l'exécution du polyptyque n° 28 de la P. N. de Sienne et dans les triptyques, pourtant fort beaux (avec une Crucifixion sur le panneau central), du M. F. A. de Boston et de Buckingham Palace.

La " Maestà " (1308-1311)

On sait qu'en 1302 Duccio avait exécuté une Maestà pour la chapelle à l'intérieur du Palazzo Pubblico. Le souvenir de cette œuvre, auj. perdue, doit se retrouver dans de nombreuses Maestà du cercle de Duccio, dont la pensée s'y trouve certainement reflétée. Par contre, la Maestà de la cathédrale (Sienne, Opera del Duomo), pour laquelle un contrat fut rédigé le 9 octobre 1308, est conservée presque intacte dans sa mise en page grandiose.

   Le tableau fut transféré solennellement de l'atelier du peintre à la cathédrale le 9 juin 1311. Il était peint sur les deux faces et complété d'une prédelle et d'un couronnement. En 1506, le tableau fut enlevé du maître-autel de l'église, et les deux faces furent ultérieurement séparées, ce qui entraîna la dispersion de quelques panneaux de la prédelle et du couronnement, en grande partie dans plusieurs collections et musées (Londres, N. G. : New York, Frick Coll. ; Washington, N. G. ; Fort Worth, Texas, Art Center Museum ; Madrid, fondation Thyssen-Bornemisza).

   C'est en repensant aux sources anciennes de son inspiration que Duccio composa, sur la face antérieure, la foule céleste qui entoure la Madone à l'Enfant, alors que, sur la face postérieure, il conçut, dans une succession serrée, les scènes de la Passion du Christ. Ici, mieux qu'ailleurs, on peut évaluer l'assimilation méditée et personnelle des expériences que la peinture florentine contemporaine tentait pour définir l'espace, assimilation qui prouve l'attention détachée que Duccio portait à l'art de Giotto. L'esprit de sa peinture ne change pas pour autant ; il reste hésitant entre la nostalgie d'une civilisation aulique et sacrée et le goût d'une narration animée et dramatique propre au langage gothique et quotidien.

La dernière période

La seule œuvre qui témoigne de la dernière période, obscure, de l'activité de Duccio (qui mourut en 1318 ou 1319) est un polyptyque avec la Madone et des saints (Sienne, P. N., n° 47), où la figure de la Vierge, d'une simplicité et d'une ampleur toutes monumentales, révèle l'intelligence toujours vive du maître à l'égard d'une culture nouvelle qui, désormais, tout en le devançant, lui rend honneur.

Les élèves de Duccio

Dès 1290, Duccio, véritable fondateur de l'école siennoise, exerça une profonde influence sur un grand nombre d'artistes qui se formèrent dans son atelier, collaborant parfois à ses travaux. Parmi ses élèves les plus proches et les plus doués, on peut citer le Maître de Badia a Isola, actif certainement dès avant 1300, le Maître de Citta di Castello, puis Ugolino et Segna (dont les fils Niccoló et Francesco illustrèrent, tard dans le siècle, le style " ducciesque ") ainsi que l'auteur de la remarquable Maestà de Massa Marittima. Il faut également rappeler tout ce que, à leurs débuts, des maîtres tels que Simone Martini (Maestà du Palazzo Pubblico de Sienne) et Pietro Lorenzetti (Maestà de Cortone) durent à l'exemple de Duccio.