genre (peinture de) (suite)
Flandre
La Flandre du XVIIe s. est tout entière dominée par Rubens. S'il intervient dans l'évolution de la peinture de genre, ce n'est pas par sa Kermesse ou sa Ronde de paysans, mais par la puissance éclatante de son œuvre. Brouwer peint d'abord des scènes paysannes qui montrent son attachement à Bruegel l'Ancien. Un séjour à Haarlem près de Frans Hals lui fait acquérir ensuite une facture plus riche, plus souple : revenu à Anvers en 1631, il ajoute les subtilités poétiques de la lumière que lui suggère l'œuvre de Rubens : ses intérieurs de tavernes, ses buveurs, ses musiciens exploitent les ressources dans une gamme sans cesse différente de matières et de couleurs, pour traduire tantôt le bien-être paisible et tantôt la gaieté vulgaire, tantôt l'ironie et tantôt l'amertume.
Jordaens n'est pas allé en Italie, mais il n'ignore pas le Caravagisme, dont les conquêtes répondent à son goût pour l'expression du concret, qu'il avait développé d'abord au contact de l'œuvre d'Aertsen. À partir de 1630 env., il subira lui aussi l'ascendant de Rubens. Le Concert de famille, Le roi boit, dans leurs différentes versions, s'animent de toute la verve que le souffle baroque ajoute à la truculence flamande. Le réalisme moins agressif de Téniers, son goût pour les plaisirs raffinés des gens du monde et des princes collectionneurs constituent une variation en mineur qui connut le plus grand succès. À la suite de ces peintres, de nombreux petits maîtres peignent tabagies, kermesses, scènes campagnardes ou militaires, prolongeant le genre jusqu'au XVIIIe s.
Hollande
Le rôle de Rubens en Flandre a son équivalent dans la peinture hollandaise avec Rembrandt, bien que son œuvre ait marqué moins fortement le " genre " que les autres domaines de la peinture et des arts graphiques. Mais la peinture de genre, répondant au réalisme néerlandais et aux goûts de la clientèle, essentiellement bourgeoise, des Pays-Bas, trouve dans la Hollande du siècle d'or un développement privilégié. Avec la première génération des caravagistes d'Utrecht, l'écho de l'expérience romaine garde une éloquence franche et directe. Les " nocturnes " de Honthorst, la puissance grave de Baburen, les épisodes bibliques traités par Ter Brugghen à la manière de ceux de Caravage, ses " concerts " dérivés de Manfredi ont la force suffisante pour donner naissance à de multiples variations : P. Codde, J. Duck, les Palamedes peignent en petit format, et dans une gamme de tons raffinés, des scènes illustrant la vie mondaine ou militaire, la gaieté des cabarets, le charme des " moments musicaux ". Frans Hals, dans un autre mode, se rattache aux caravagistes par la vigueur joviale de ses types populaires, qui appartiennent à la peinture de genre dans la mesure où, au-delà du portrait, ils évoquent un style de vie, un milieu social, une époque.
Puis Rembrandt enseigne à Gerrit Dou, à Van Ostade, à Wilhelm Kalf un maniement plus subtil du clair-obscur, une sensibilité plus grande au mystère de l'atmosphère et des ombres. La Lecture de la Bible de Gerrit Dou doit presque tout au portrait de la mère de Rembrandt, auquel cet artiste emprunte aussi un schéma de composition caractéristique pour l'Épicier de village comme pour la Femme hydropique.
C'est après lui que s'ouvre la grande période de la peinture de genre hollandaise. Ter Borch, dans un coloris raffiné, donne une image apaisée, harmonieuse, des salles de garde et des délassements du guerrier. Sweerts, sur un mode poétique, traduit la gaieté des bambochades à l'italienne et la sérénité domestique des maisons hollandaises. Gabriel Metsu, réceptif à toutes les influences, se rapproche tantôt de Gérard Ter Borch, tantôt de Gerrit Dou, puis de Vermeer. Jan Steen peint des compositions animées, grouillantes ou tranquilles et intimes, voilant parfois une intention moralisante ou des allusions érotiques.
Autour de Vermeer, un autre courant se dessine — avec Pieter De Hooch, P. E. Janssens, Jacob Vrel —, celui de la vie silencieuse, du monde clos où s'enferment l'amoureuse pour lire sa lettre, le géographe pour sonder les secrets de l'univers, la dentellière pour manier ses fuseaux. Ici, par la magie de la lumière, par la richesse de la touche irisée, l'objet le plus humble prend l'importance et l'éclat d'un trésor.
Enfin, deux tendances s'affirment à la fin du siècle, celle des " conservateurs " (Mieris, Van der Werff), par qui la tradition se prolongera jusqu'au XVIIIe s., et celle des " indépendants ", réunissant des artistes fort différents, tels que Nicolaes Berchem, les Weenix, dont l'originalité et la fantaisie font pressentir parfois les caprices du Rococo.
Espagne
En Espagne, le Caravagisme trouve un terrain doublement préparé par les tentatives ténébristes de Navarrete (El Mudo) et par la vogue des thèmes picaresques mis à la mode par toute une littérature fort répandue dès le XVIe s. Ribera, qui visite Rome en 1613 ou 1614 avant de s'établir à Naples, donne avec l'Aveugle et son guide l'image des héros du célèbre Lazarillo de Tormes, dont s'inspire également Herrera le Vieux. Celui-ci contribue avec Pacheco à faire de Séville, dans la première moitié du XVIIe s., un foyer artistique florissant, où se formeront Zurbarán, Murillo, Velázquez. La vieille femme qui fait frire des œufs, le Porteur d'eau, le Déjeuner mettent en scène le petit peuple de Séville, dont on a dit qu'elle était alors la véritable capitale de l'Europe picaresque. Et les Femmes à la fenêtre de Murillo ne sont-elles pas l'illustration pure et simple de la Célestine ?Mais le Jeune Mendiant du Louvre, les enfants mangeant des fruits, jouant aux dés ou comptant leurs sous trahissent seulement la compassion du peintre pour leur existence misérable.
La fin du XVIIe siècle
Italie
Les prolongements du Caravagisme sont plus brefs en Italie que dans le reste de l'Europe en ce qui concerne la peinture de genre, étouffée par le mouvement académique et la grande peinture baroque. À Bologne, G. M. Crespi, à la fin du XVIIe siècle, échappe pourtant à l'idéalisme pour se rapprocher de la réalité quotidienne (Femme à la puce, Famille de paysans). En Lombardie, après les transpositions frénétiques que Magnasco fait subir aux sujets de genre, peuplés de soudards, de bohémiens et de moines hallucinés, Ceruti est le seul interprète de la vie des paysans et des gueux au milieu du XVIIIe s. Les Vénitiens, par contre, se plaisent à montrer les délices d'une promenade sur la piazzetta, les plaisirs du carnaval, l'agrément d'une visite au parloir des nonnes ou au Ridotto. Mais, pour Guardi, le chatoiement des silhouettes, les ponctuations des masques et des tricornes sur la toile comptent plus que le " témoignage " social. Le vrai peintre de genre de l'époque, c'est Pietro Longhi, d'ailleurs élève de Crespi. Lui ne se lasse pas de décrire dans tous leurs détails les menus événements qui tissent les jours encore ensoleillés des Vénitiens.
Le XVIIIe siècle
France
En fait, sauf dans ses premières peintures à sujets rustiques, l'art de Longhi, l'esprit de ses dessins, de ses petites compositions aimables et mondaines doivent beaucoup aux peintres français : Watteau, Pater, Lancret, dont il connaît l'œuvre par l'intermédiaire de la gravure.
Watteau, quant à lui, se rattache à la Flandre par sa formation à Valenciennes et par les artistes qu'il fréquente lors de ses débuts à Paris. Il en garde le sens de l'observation, le goût des études dessinées prises d'après nature. Il s'intéresse d'abord à la vie des camps, à celle du théâtre, aux montreurs de marmottes, puis aux amoureux en habit de satin, qu'il fait évoluer bientôt dans un univers de rêve. Les Fêtes galantes, l'Embarquement pour Cythère ne pouvaient passer à l'époque pour des peintures de genre, mais à nous, dans l'irréalité de leurs transpositions, elles découvrent un aspect du XVIIIe s. qu'aucun autre peintre n'aurait pu rendre avec la même " sincérité ". Et par sa dernière œuvre, l'Enseigne de Gersaint, Watteau montre bien qu'il est le plus subtil des " témoins " de son temps.
Après cela, les assemblées élégantes d'un de Troy, d'un Carle Van Loo, les jardinières enrubannées de Boucher sentent l'artifice, le souci du gracieux plus que du vrai.
Puis, à la suite du Régent, les amateurs commencent à s'intéresser à la peinture néerlandaise, à Gerrit Dou, à Metsu, à Mieris. Le génie de Chardin vient à son heure. Passant de la nature morte aux scènes d'intérieur, il intensifie simplement le sentiment d'intimité qui se dégage des premières toiles. Ses personnages n'ajoutent ni l'anecdote ni l'agitation. Ils s'intègrent naturellement à l'ambiance décrite. Et le peintre rend avec le même amour, la même probité, le geste de la mère et la courbe d'un pot, la saveur tactile d'un fruit et la tendresse d'un demi-sourire esquissé. Ses modèles ne " posent " pas, ils n'ont rien à dire au " public ". Celui-ci pourtant lui assure un succès régulier au Salon. En 1761, Chardin expose le Bénédicité, en même temps que Greuze (son cadet d'un quart de siècle) y donne l'Accordée de village : le " discours " après le silence. Diderot, qui aime beaucoup Chardin, exalte plus encore le " peintre de la vertu " qu'il reconnaît en Greuze. Chaque détail, chaque visage le retient, parce qu'il y découvre une intention du peintre. On sent en effet que tout est calculé, mis en place pour accrocher la sensibilité du public, tout comme dans la Malédiction paternelle ou le Paralytique. Et ce n'est pas à la Laitière qu'il faut demander un témoignage véridique sur les paysans de l'époque. Chardin domine, dans son siècle et même au-delà, toute l'histoire de la peinture de genre en France. C'est lui qui aura des imitateurs — un Jeaurat, un Lépicié —, tandis que Greuze finira oublié. Mais la vie des humbles n'est pas le seul domaine des peintres de genre : les plaisirs de la Cour, les bals parés, les fêtes en plein air sont joliment interprétés par Michel-Barthélemy Ollivier, Saint-Aubin, Moreau le Jeune, qui sait aussi s'arrêter devant un visage d'enfant endormi, tandis que Fragonard " arrange " un peu la réalité, sachant bien que le spectateur ne s'y trompe pas.