Raphaël (Raffaello Santi ou Sanzio, dit) (suite)
Les commandes Chigi
Le banquier siennois Agostino Chigi (1465-1520), l'un des plus grands personnages de Rome, fut, après les papes, le plus important patron de Raphaël. L'artiste peignit la fresque du Triomphe de Galatée (1511, Rome, Farnesina) pour sa résidence suburbaine, dont Peruzzi fut l'architecte. Raphaël se chargea aussi de deux chapelles, l'une à S. Maria della Pace (où il peignit les Sibylles, 1514, et projeta pour l'autel une Résurrection dont il avait exécuté des dessins), l'autre étant la chapelle funéraire de Chigi à S. Maria del Popolo, pour laquelle il a fourni les dessins de l'architecture, des mosaïques de la coupole (Dieu et les planètes, 1516) et de la statue de Jonas, sculptée par Lorenzetto. Il laissa la décoration de ces deux chapelles inachevée mais un autre ensemble, le plafond de la Loggia de Psyché à la Farnesina, exécuté en 1517, est resté, malgré certaines faiblesses de l'exécution dues aux collaborateurs et malgré les ravages du temps, l'un des ensembles les plus exquis et l'une des conceptions illusionnistes les plus brillantes de la Renaissance.
Tableaux de dévotion, retables, portraits
Durant les douze années de son séjour à Rome, Raphaël n'a cessé de produire des œuvres dans les genres qu'il avait abordés précédemment : retables, tableaux de dévotion et portraits. La Madone de Foligno (1511-12, Vatican), l'illustre Madone Sixtine (1513-14, Dresde, Gg), la Sainte Cécile (1514, Bologne, P. N.), la Vierge au poisson (v. 1514, Prado), le Portement de croix ou Spasimo di Sicilia (1517, id.) constituent une série imposante de retables d'une expression de plus en plus intense, au coloris de plus en plus sonore, d'une complexité croissante, qui trouve son terme dans la sublime Transfiguration (1517-1520, Vatican), presque achevée à la mort de l'artiste et qui fut exposée au-dessus de son catafalque.
Dans les tableaux de dévotion, Raphaël abandonne de même la manière simple, naturelle et encore détendue de l'époque florentine pour une animation plus grande et des compositions plus tourmentées. Les exemples les plus frappants sont la Vierge du duc d'Albe (Washington, N. G.) et surtout la Vierge à la chaise (Florence, Pitti) et la Vierge della Tenda (Munich, Alte Pin.), où les figures, d'une imbrication incroyablement complexe, ne s'harmonisent que par la science (désormais sans égale) du peintre. Dans la Sainte Famille de François Ier (Louvre), datée de 1518, ce style atteint des proportions monumentales.
Raphaël a mis la même imagination et la même force dans ses portraits, qu'il faudrait tous citer, car l'artiste découvre chaque fois une solution nouvelle (Portrait d'un cardinal, Prado ; Jules II, Londres, N. G. ; Laurent de Médicis, New York, coll. part.). Les portraits les plus marquants sont sans doute le Portrait de Balthazar Castiglione (v. 1515, Louvre), modèle du gentil-homme humaniste, et le Portrait de jeune femme dit " La Velata " (v. 1516, Florence, Pitti), qui en est l'équivalent féminin et où certains pensent pouvoir reconnaître la maîtresse du peintre. Raphaël et son maître d'armes (v. 1518, Louvre ; l'identification du personnage du premier plan est incertaine) et Léon X et deux cardinaux (1518-19, Offices) illustrent le style final de l'artiste appliqué à la réalisation de portraits à deux et à trois personnages.
Les dessins
Raphaël est peut-être aussi célèbre comme dessinateur que comme peintre. C'est dans ses dessins qu'il s'exprime de la façon la plus directe et la plus personnelle. Aussi ceux-ci ont-ils été collectionnés avec avidité ; l'Ashmolean Museum d'Oxford, Windsor Castle, le British Museum, le Louvre, les Offices, l'Albertina, les musées de Lille, de Francfort, de Bayonne en conservent des ensembles particulièrement importants. L'artiste occupe aussi une place dans l'histoire de l'estampe, non qu'il ait gravé lui-même, mais par sa collaboration avec Marc-Antoine Raimondi, qui nous a transmis certaines compositions qui, autrement, seraient restées inconnues, comme l'admirable Jugement de Pâris. Cette diffusion par l'estampe a contribué à l'importance historique de Raphaël, qu'il est impossible de sous-estimer. Les nombreuses manifestations organisées pour célébrer le 500e anniversaire de sa naissance ont été l'occasion de remises en cause, parfois fondées sur des examens approfondis suscités par les restaurations. Ainsi, l'Autoportrait (Offices) est authentifié par un dessin sous-jacent récemment découvert, ressemblant à celui de l'École d'Athènes et permettant donc de le dater vers 1510. L'attribution des dessins est en plein bouleversement. Ceux des dernières années, d'une veine plus picturale, accentuant les contrastes, d'une violence parfois prérubénienne, ont souvent été attribués aux élèves. Des dessins préparatoires pour la Transfiguration (sanguine), pour la Bataille de Constantin (pierre noire, Oxford, Chatsworth, Louvre), des modelli pour les Loges sont aujourd'hui redonnés au maître lui-même. La Vision d'Ézéchiel, elle aussi, apparaît comme autographe, parmi les peintures prêtant à discussion.
Ainsi, le Raphaël des dernières années se dépasserait constamment lui-même, et le recours aux collaborateurs ne suffit plus à expliquer l'ultime évolution du style.
L'appréciation de l'art de Raphaël n'est pas aisée et a été rendue plus difficile encore par le parallèle inévitable entre l'artiste et Michel-Ange, qui existait déjà chez leurs contemporains. Le sens infaillible de l'équilibre, la réserve même dans les grands mouvements rhétoriques, la personnalité effacée de Raphaël souffrent, à nos yeux du moins, de la comparaison, mais ils sont indissociables d'une fertilité d'invention sans égale. Le pouvoir d'assimilation et d'adaptation, joint à la profondeur du génie, alliant l'intensité à la grâce et à la mesure, fait de l'œuvre de Raphaël non une encyclopédie, mais une synthèse de la Renaissance classique et l'expression définitive de l'humanisme dans l'art.