Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Provost (Jan)

Peintre flamand (Mons v.  1470  –Bruges 1529).

Franc maître à Anvers en 1493, il acquiert le droit de citoyenneté l'année suivante à Bruges, où se développera sa carrière artistique. En 1506, il épouse la veuve de Simon Marmion ; il se remariera ensuite trois fois. En 1520, Dürer le rencontre à Bruges et fait de lui un portrait dessiné. Le Jugement dernier (musée de Bruges), que Provost peignit en 1525 pour la salle des Échevins de l'Hôtel de Ville de Bruges, et qui est sa seule œuvre sûre, a servi à regrouper son œuvre profondément ancré dans la tradition brugeoise (Memling, Gerard David). Le cadre sculpté et doré en a peut-être été conçu par son compatriote Lancelot Blondeel. Le musée Groeningue de Bruges conserve en outre deux volets d'un retable provenant du couvent des Dominicains de Bruges, dont le centre est perdu, qui représentent au revers des portraits de donateurs, une allégorie morale sous la forme d'un Avare visité par la mort, ainsi qu'une grande Crucifixion (dépôt de l'église Saint-Nicolas de Koolkerke). Une Vierge de l'Immaculée Conception (Ermitage) doit probablement être identifiée avec le Retable de l'autel de saint Daniel, peint en 1524 pour l'église Saint-Donatien de Bruges.

   L'absence de toute œuvre documentée des premières années du peintre a conduit à regrouper sous son nom un ensemble de peintures accusant souvent des emprunts à Rogier Van der Weyden, mais dont l'attribution reste incertaine. Les peintures les plus personnelles de l'artiste — les volets avec des Scènes de la légende de sainte Catherine (Rotterdam, B. V. B. et musée d'Anvers) —, présentent des personnages lourds, aux têtes puissantes et quasi caricaturales. Parmi les œuvres qui sont attribuées à Jan Provost, on peut encore citer Abraham, Sara et l'Ange ainsi que l'Allégorie chrétienne du Louvre, une Sainte lisant (id.), pendant d'un Saint Zacharie (Prado), une Vierge à l'Enfant au Museo Civico de Plaisance, un triptyque avec la Vierge à l'Enfant et des saints dans les coll. royales britanniques et un triptyque de l'Adoration des mages à Stourhead (National Trust).

Prud'hon (Pierre Paul)

Peintre français (Cluny 1758  – Paris 1823).

En 1774, il vint à Dijon, où il fut élève de Devosge. Les études de ce dernier, d'après Bouchardon et Greuze, eurent une influence sur le modelé des ébauches du jeune artiste. Grâce à la protection du baron de Joursanvault, Prud'hon put faire un premier séjour à Paris (1780-1783), où il connut Wille et Pierre ; il gagna ensuite le prix des États de Bourgogne, qui lui permit de se rendre à Rome (1784-1788), où il exécuta sa première grande composition décorative, une Gloire des Condé, interprétation du plafond de P. da Cortona au palais Barberini (1786-87, musée de Dijon) ; on trouve déjà dans cette œuvre le type des figures de Cortone, qu'adoucissent un sfumato et une atmosphère vaporeuse appris chez Léonard et Corrège, les modèles préférés de l'artiste tout au long de sa carrière. À Paris et à Rigny, en Franche-Comté (1794-1796), sous la Révolution, Prud'hon fut un républicain enthousiaste (Cadet de Gassicourt, 1791, Paris, musée Jacquemart-André ; Saint-Just, 1793, musée de Lyon), qui devait bientôt recevoir des commandes officielles pour de grandes allégories politiques et patriotiques : la Sagesse et la Vérité descendant sur la Terre (1799, Louvre), le Triomphe de Bonaparte (1800, esquisse au musée de Lyon, d'attribution discutée), Diane implorant Jupiter (plafond au Louvre), la Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime (1808, Louvre, provenant du Palais de Justice de Paris). Pour une société nouvelle, avide de jouissances après les troubles révolutionnaires, Prud'hon ranima la tradition décorative du XVIIIe s., ainsi qu'en témoigne le décor allégorique, malheureusement démembré, fait pour l'hôtel du fournisseur Lanoy (1799), où, dans deux salons, il avait peint de gracieuses figures symbolisant les arts, la richesse, les plaisirs et la philosophie (esquisses peintes au musée de Montpellier ; éléments du décor au Louvre et coll. part.).

   Du fait de son isolement, il dut, pour vivre, se livrer à des travaux mineurs (vignettes, illustrations de livres). C'est ainsi qu'il illustra la Nouvelle Héloïse par des compositions encore proches du XVIIIe s., alors que, pour Daphnis et Chloé, l'illustration traduit une sensualité qui annonce le Romantisme. S'il fut en butte à l'hostilité des davidiens, s'il ne fut élu à l'Institut qu'en 1816, il n'en fut pas moins le peintre favori de la famille impériale, faisant le portrait du Roi de Rome endormi, (1811, Louvre) et de l'Impératrice Joséphine (1805, Louvre, esquisse au musée Jacquemart-André), dessinant le mobilier offert par la Ville de Paris à la nouvelle impératrice Marie-Louise. Sous la Restauration, il ne s'adonna plus guère qu'au portrait et à la peinture religieuse (Christ en croix, 1822, commandé pour la cathédrale de Metz, au Louvre), où il exprime toute son inquiétude morale. D'un naturel tourmenté, qui ne fut guère apaisé qu'au moment de sa liaison avec son élève Constance Mayer (1803-1821), Prud'hon traduit, particulièrement dans ses portraits, sa sensibilité et ses sentiments de sympathie humaine, comme on en peut juger par la vigueur du Devosge (musée de Dijon), par l'exquise subtilité de Madame Anthony (1796, musée de Lyon), tout en rose, blanc et bleu, par la sensibilité calme et mélancolique de Monsieur Anthony (1796, musée de Dijon), ou par la délicatesse sensuelle de Madame Jarre (1822, Louvre). De cette étonnante galerie, où il cherche surtout à émouvoir par des expressions de douceur mélancolique très attentive, le sommet est peut-être son portrait de l'Impératrice Joséphine (Louvre), où il a su accorder aux teintes de l'automne tant le charme flexible de la silhouette que l'inquiétude de l'expression ; de même, le couple des Anthony, comparable à celui des Sériziat de David, témoigne, à travers le jeu des masses lumineuses, d'une poésie plus secrète, moins éclatante que celle des brillantes silhouettes de David.

   Dans ses autres tableaux, Prud'hon montre la complexité de sa culture et celle de son milieu : néo-classique, précurseur du Romantisme, encore attaché par maints aspects au XVIIIe s., il travaille dans des directions opposées, marquant les différentes tendances d'une fraîcheur et d'un charme personnel qui font de lui véritablement un isolé au milieu de son époque. La forte impression que lui fit la révélation de l'art élégant de Léonard et des corrégiens est à l'origine de sa " manière " : la lumière rayonne à partir du centre de ses figures, dont l'arabesque est conduite avec une grande délicatesse, ainsi qu'en témoigne Vénus et Adonis, peint en 1812 pour Marie-Louise aux Tuileries (Londres, Wallace Coll.). Ce même charme sensuel, obtenu par un modelé doux, un regard et un sourire mystérieux (Jeune Zéphyr se balançant au-dessus de l'eau, 1814, musée de Dijon, ébauche en grisaille au Louvre), est encore renforcé par un clair-obscur lunaire (l'Enlèvement de Psyché, 1808, Louvre) et une atmosphère floue qui préfigurent, autant que la violence des ombres portées (ces tableaux sont fondés sur l'opposition des valeurs), le Romantisme (la Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime, Louvre). À cela s'ajoute un goût très net pour l'Antiquité, pour la composition en frise, le classicisme des formes, adouci seulement par des coloris estompés, bien différents des teintes claires des davidiens.

   L'obsession de retrouver l'âme même de l'Antiquité plutôt que d'en donner une imitation de pastiche, le souci de perpétuer la grâce du XVIIIe s. — et plus particulièrement celle des sculpteurs (l'Amour et l'Amitié, 1793, Minneapolis, Inst. of Arts) — dans des créations poétiques évocatrices de la beauté féminine (l'Amour endormi, Chantilly, musée Condé), conduisent Prud'hon à résister aussi bien à la froideur romaine qu'à la facilité des émules de Boucher, et, en unissant l'atticisme et le charme, il crée un nouvel alexandrinisme.

   Si les peintures ont souvent souffert par l'excès de bitume, il nous reste en revanche d'admirables dessins (séries importantes au Louvre et à Chantilly) qui nous transmettent la richesse et la variété de l'imagination de l'artiste. La prédilection de Prud'hon pour les études au crayon noir (avec des rehauts de blanc sur un fond gris ou bleuté) lui permet d'obtenir des effets de lumière argentée d'une rare délicatesse, où s'exprime pleinement la mélodie de formes souples, aux contours estompés. Les études de nus, de femmes et d'hommes (plus de 300 pièces recensées) sont justement célèbres, mais ne doivent pas faire négliger pour autant les nombreuses esquisses préparatoires pour les tableaux, telles que celles du grand portrait de l'impératrice Joséphine dans le parc de Malmaison.

   C'est aussi grâce à son œuvre dessiné que l'on peut mesurer l'importance de Prud'hon comme décorateur : projets de plafonds, de décorations murales, décors de fête, modèles de médailles, de colonnes votives, de meubles. Pour la décoration d'une salle de la Sorbonne, il compose un Séjour de l'Immortalité (grand dessin sur papier bleuté, Chantilly, musée Condé) qui préfigure les créations d'Ingres. À l'occasion du sacre de Napoléon, du traité de Tilsitt et du mariage de Napoléon et de Marie-Louise, Prud'hon reçoit la commande de décors, malheureusement détruits, mais dont le souvenir nous est gardé par une série de dessins et 2 esquisses peintes, dont les Noces d'Hercule et Hébé (Louvre). C'est aussi à lui que la Ville de Paris s'adresse pour fournir les modèles du berceau du roi de Rome et de la toilette de vermeil destinée à la jeune impératrice Marie-Louise, modèles dessinés qui nous révèlent un ornemaniste plein de verve et d'invention.