Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Testa (Pietro) , dit il Lucchesino

Peintre italien (Lucques 1611 – Rome 1650).

Arrivé jeune à Rome, certainement avant 1630, Testa fréquente l'atelier de Dominiquin, puis, peu de temps, celui de Pietro da Cortona. Encouragé par Cassiano dal Pozzo, il exécute pour lui des dessins des antiquités les plus célèbres de Rome. Cette fréquentation des milieux « antiquaires » ainsi que la connaissance approfondie des monuments romains déterminent toute une part de son œuvre : c'est chez Cassiano que, très vite, l'artiste dut connaître Poussin et le sculpteur flamand Duquesnoy. Les premiers tableaux de Testa, comme ses gravures contemporaines, se souviennent de Pietro da Cortona : Joseph vendu par ses frères (v. 1630-1632, Rome, Gal. Capitoline), de composition classicisante mais très cortonesque dans les effets lumineux ; petit Sacrifice d'Iphigénie, tout agité, de la P. N. de Bologne.

   Vers 1633, la Vierge de Lorette (Fermo, église S. Rocco) apparaît proche de Guerchin, avec un surprenant paysage naturaliste ; le Martyre de saint Étienne (Burghley House, coll. du marquis d'Exeter) et l'Amor vincit omnia (musée de Cleveland) sont à placer vers la même date. Le Massacre des Innocents de la Gal. Spada de Rome (v. 1635-1637 ?) représente un des sommets de l'œuvre : le sujet est traité dans un registre bien personnel, à la fois fantaisiste et dramatique, avec de saisissants éclats lumineux. Les deux violents Supplice de Prométhée et Supplice d'Ixion (v. 1637), doivent, eux, directement à l'exemple de Caravage. Des années 1640-1650 datent le très caravagesque Miracle de saint Théodore (Lucques, église S. Paolino), la Présentation de la Vierge peinte par S. Croce de Lucques (Ermitage) et la Vision de S. Angelo carmélite (1645-1646, Rome, S. Martino ai Monti), violente et romantique par l'effet de lumière artificielle. À la dernière période de l'activité de Testa appartient probablement aussi la très poussinesque Allégorie de Munich (Alte Pin.). Ce sont souvent ses gravures, fréquemment datées, et ses magnifiques dessins (souvent autrefois attribués à Rosa ou à Mola) qui permettent de préciser la chronologie de l'œuvre peinte d'un artiste complexe et déconcertant, dont certaines toiles brossées et chatoyantes, comme Vénus et Adonis de l'Académie de Vienne ou Morphée du palais Mazzarosa de Lucques, annoncent le settecento. La profonde discordance de sa volonté classique, bien manifeste dans son Trattato di pittura (entre 1640 et 1650), où il se fixe pour objet de « traiter de la peinture idéale », y plaçant plus haut que tout Raphaël et les Carrache, et de ses tendances profondes, expressionnistes et sentimentales, avec un goût constant de l'étrangeté marqué par la prédilection pour les sujets bizarres, désigne un tempérament mélancolique et inquiet, qualifié parfois de « romantique ». Sa mort tragique par noyade dans le Tibre, en 1650, est généralement considérée comme un suicide, que plusieurs causes directes peuvent expliquer : incompréhension des critiques, entreprise avortée du décor de l'abside de S. Martino ai Monti, destruction des fresques qu'il avait peintes vers 1642-1644 à la chapelle Saint-Lambert de S. Maria dell'Anima, qui furent remplacées par d'autres, exécutées par J. Miel.

Thaulow (Frits)

Peintre norvégien (Christiania, Oslo, 1847 – Volendam 1906).

Il se forme à l'Académie des beaux-arts de Copenhague, de 1870 à 1872, sous la direction du peintre de marines C. F. Sörensen, et à Karlsruhe, de 1873 à 1875, avec le peintre Hans Gude. Il se rend à Paris, où il demeure jusqu'en 1880, et est fortement marqué par la peinture de plein air, notamment par l'impressionnisme (paysages, vues citadines) avec effets d'eau, fleuves ou ruisseaux, mais il reste surtout attaché au réalisme des écoles nordiques. Le meilleur de cette période lui fut inspiré par la ville côtière de Kragerö, au sud de la Norvège (1881-1882). En 1892, Thaulow revient en France, où il se spécialise dans l'interprétation idyllique de petites villes du Nord (Dieppe, Montreuil, Étaples, Camiers) en des toiles dont le coloris raffiné lui valut une faveur internationale. Il a également visité l'Italie (1885 et 1894), les États-Unis (1898), l'Espagne (1903) et la Hollande (1904-1906). Parmi ses œuvres, citons la Chute d'eau Haugsfoss (1883, Oslo, Ng), Hiver en Norvège (1886, musée d'Orsay) ; la Madeleine, Paris (1893, id.), la Nouvelle Fabrique à Lillehammer (Paris, Petit Palais). Une exposition a été consacrée à Thaulow (Paris, musée Rodin) en 1994.

théâtre et peinture

Les peintres décorateurs de théâtre

Antiquité et Moyen Âge

Devant le mur de scène des théâtres antiques pouvait parfois s'appliquer un décor peint. On sait que Vitruve s'intéressa à la perspective scénographique et connut des traités grecs consacrés à cet art. Il est certain que les coulisses, les trappes et jusqu'aux rideaux de scène et aux machines n'étaient pas ignorés dans l'Antiquité. Une peinture murale d'Herculanum, une fresque de Boscoreale montrent des décors en trompe-l'œil qui reproduisent sans doute des rideaux de fond. Les « périactes », aux 3 faces peintes d'un palais, d'une maison et d'un bois, s'alignaient des 2 côtés de la scène et, pivotant ensemble, pouvaient former un décor tragique, comique ou satirique.

   Dans les mystères joués à la fin du Moyen Âge, de petites loges, ou « mansions », alignées côte à côte, formaient les lieux successifs de l'action. Elles étaient faites de matériaux légers et peints. À droite, vu de la scène, un bosquet figurait le paradis, il figurait à gauche la bouche d'enfer, faite de toiles peintes, dont la mâchoire articulée vomissait les diables et engloutissait les damnés. Des machines, des trappes permettaient de faire apparaître de saints personnages dans le ciel ; mais les décors étaient le plus souvent réduits à quelques toiles peintes d'un soleil ou d'une lune, d'étoiles dorées ou peut-être de quelques arbres. La représentation des mystères fut interdite en 1548 par le parlement de Paris. Au quattrocento, l'Italie redécouvre l'œuvre de Vitruve, dont la première édition est donnée en 1486. À l'exemple de l'Antiquité sont élevés des théâtres en hémicycles. Celui de Vicence, œuvre de Palladio, est encore intact, mais sa scène présente un décor architectural fixe, montrant l'enfilade de cinq rues bordées de bâtiments construits par Scamozzi en perspective raccourcie, en bois peint d'une couleur de pierre uniforme.

Les XVIe et XVIIe s. : l'Italie et l'Allemagne

Progrès de la perspective et décoration théâtrale sont indissolublement liés. Les premiers décors peints des temps modernes furent construits sur des scènes provisoires, à l'occasion de fêtes. Léonard dessina en 1496 un décor pour Danaé, de Taccone. Baldassare Castiglione conte qu'il vit à Urbino, en 1513, une représentation de La Calandria, du cardinal Bibbiena, avec « un décor de ville magnifique avec des rues, des palais et tours en relief accompagnés d'une splendide perspective ». La même pièce, jouée à Rome en 1518 avec un décor de Peruzzi, dont plusieurs dessins subsistent, était, selon Vasari, « d'une telle vérité qu'on croyait voir les objets réels et qu'on se trouvait au milieu d'une place véritable, tant l'illusion était parfaite ». Il s'agissait ici de constructions de bois et de toiles peintes, mais en volume, s'achevant sur une perspective en trompe-l'œil peinte sur un rideau de fond.

   Partout, à l'origine du décor de théâtre, on trouve les Italiens, architectes et peintres à la fois, tels Bramante, Raphaël, Giulio Romano et Peruzzi, qui en ont donné les modèles. Mais, ne pouvant être démonté rapidement, un décor unique servait pour tout un spectacle. Serlio illustre son traité d'architecture, publié en France en 1545, de 3 modèles gravés, selon les indications de Vitruve, pour les genres tragique, comique et satirique : rue et place bordées, pour le premier, de nobles architectures et, pour le deuxième, de bâtiments plus modestes et de boutiques, le troisième figurant un bosquet.

   Au dire de Daniele Barbaro, pour qui Palladio construisit la villa de Maser et qui fit publier et illustrer l'œuvre de Vitruve, ce serait en 1569 que le peintre et architecte Pedemonte peignait si habilement les rideaux de fond en perspective que le public ne pouvait discerner de solution de continuité avec les constructions en volume des 2 côtés de la scène. À Florence, Buontalenti aurait, en 1589, employé pour la première fois un décor de châssis coulissants, permettant plusieurs changements à vue ; ce décor est celui des Piérides (dessin à Londres, V. A. M.). Ce n'est pourtant qu'en 1618, semble-t-il, qu'apparut, au théâtre Farnèse de Parme, une machinerie plus perfectionnée, permettant de changer les décors en roulant les toiles de fond, en hissant les frises dans les cintres et en utilisant les dessous de scène, dont l'ouverture était formée d'un encadrement d'architecture et close par un rideau peint, fermé seulement à la fin du spectacle.

   Le décor peint va peu à peu faire appel à tous les procédés illusionnistes, imitant non seulement les perspectives et les reliefs, mais aussi les matériaux les plus divers, marbres de couleur, bronzes et dorures, bref utilisant les multiples ressources du trompe-l'œil, dans lequel les Italiens, décorateurs-nés, accoutumés à couvrir de vastes fresques où la « quadratura » joue le plus grand rôle les murs des palais et des villas et à élever les décors de fêtes, fantaisies d'un jour, sont passés maîtres. À l'âge baroque, les décorateurs de théâtre pourront créer des architectures fantastiques, puisque libérées de toutes contingences de poids, de fragilité et de prix. La machinerie ajoutera ses effets surprenants. On possède la description des prodiges que réalise Bernin, qui, en 1638, pour un tableau de l'Inondation du Tibre, précipite une cascade sur la scène et qui, en 1639, dans La Fiera di Farfa, jette la panique parmi les spectateurs en créant l'impression d'un violent incendie. La lumière artificielle, en effet, et jusqu'aux merveilles de la pyrotechnie vont créer une ambiance de rêve. L'opéra est né, avec sa musique, ses chants, ses ballets ; c'est un spectacle complet, dont les Italiens, toujours un peu magiciens, ont été les initiateurs. L'Europe entière les appellera, comme elle a appelé les troupes de la commedia dell'arte. En 1637, Sabattini publie sa Pratique du théâtre, dont un des principaux chapitres est consacré au décor.

   Puisque c'est à l'opéra que les plus remarquables décors, aux plus étonnantes transformations, et les machines les plus perfectionnées ont été mis au service de l'illusion, nous ne traiterons ici que du genre lyrique.

   À Florence, les ambassadeurs étrangers sont éblouis par les spectacles de la Cour, dont Callot, qui y fit aussi des décors, a laissé des gravures (Soliman, 1620). Alfonso Parigi, l'un des principaux décorateurs du spectacle baroque, propose en 1637 vingt changements pour un seul spectacle. Il ne s'agit donc plus désormais que de décors mobiles, peints sur des châssis revêtus de toile et sur des rideaux pendant des cintres ou sur des toiles de fond. Lucifer fuit avec ses démons, tandis que le ciel s'ouvre pour laisser apparaître saint Michel et ses anges. Pendant la seconde moitié du siècle, Florence possède un grand décorateur en Ferdinando Tacca. À Ferrare, les machines d'Andromède font surgir des eaux un monstre marin et descendre du ciel Persée sur son cheval ailé. Le grand décorateur de Parme est Domenico Mauro, qui, en 1690, met en scène Il Favore degli dei, avec des décors représentant une immense grotte d'une parfaite régularité et un paysage de rochers feuillus.

   Mais c'est à Venise que l'opéra brille du plus vif éclat. Le théâtre San Cassiano a été la première scène publique, bientôt suivie de 4 autres scènes d'opéra. Le grand Giacomo Torelli met en scène, au théâtre Novissimo, en 1641, Il Bellerofonte. Le palais des Doges et la Piazetta sont peints sur une toile de fond, tandis que des murailles et des navires s'alignent face à face en ordre régulier. Encore est-ce là un décor exceptionnel, car, en général, les portants des 2 côtés de la scène sont identiques, guidant l'œil vers le point de fuite situé au centre de la ferme.

   La plupart de ces architectes et décorateurs ne se contentent pas de travailler dans une seule ville. Ils sont réclamés dans les diverses cours d'Europe. À Vienne, qui fut un des hauts lieux du théâtre baroque, Lodovico Burnacini donna en 1667 les modèles des décors et des costumes du célèbre opéra Il Pomo d'oro voûte étincelante d'étoiles, nuages, pyramides, vases et plats d'or du royaume de Jupiter, antre rouge de Pluton et en 1678, pour La Monarchia latina trionfante, une grotte fort régulière, dont les roches s'effondrent tout à coup au fond de la scène, laissant apparaître des figures allégoriques perchées sur les nuées.

   À Munich, Francesco Santurini met en scène en 1662 la Fedra incoronata, où le public peut voir, à travers un rideau de tulle, une coupe de la mer, au fond de laquelle se cachent les sirènes, tandis qu'une barque flotte parmi les rochers à la surface de ces eaux feintes. C'est cependant un Allemand, Johann Oswald Harms, qui, en 1696, à Hambourg, monte Heinrich der Löwe avec un extraordinaire décor de navires dans la tempête. Peintes sur d'énormes rouleaux de bois hélicoïdaux que des hommes font tourner, les vagues semblent mouvantes et la machinerie donne à l'un des navires un mouvement de bascule. À Dresde, en 1693, les décors de Camillo generoso sont également l'œuvre d'un Allemand, Martin Kletzel, mais dans un goût purement italien.