Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
B

Bauhaus (suite)

Klee et Kandinsky

Il y avait d'ailleurs au sujet de cet enseignement une controverse entre les maîtres, controverse qui prit corps dans deux ouvrages parus dans la série des publications du Bauhaus : les Esquisses pédagogiques de Klee (1925) et Point, ligne, surface de Kandinsky (1926). Klee insiste sur la notion d'élaboration de l'art, le problème n'étant pas tant pour lui de connaître le degré de concret ou d'abstrait de la réalité apparue, mais d'observer une nature dynamique dans son développement organique. L'art est une " trans-formation ", une métaphore plastique de la nature. " [...] Il ne rapporte pas le visible, notait-il en 1920 dans sa Schöpferische Konfession, il rend visible. " D'où un enseignement qui partait du point, lequel, mis en mouvement, faisait apparaître la " ligne active ", mobile elle-même, et révélatrice de la " surface active ", dont les effets se combinaient dans un espace que Klee nommait " zone médiale ". L'emploi même de ces termes montre sinon l'influence de Kandinsky, du moins la concomitance originelle de leurs problématiques. Pour ce dernier, les concepts d'achèvement, de composition, d'harmonie prévalaient sur celui de devenir de la forme. Kandinsky préférait pour ses œuvres le qualificatif de " concret " à celui d'" abstrait ", comme Klee, d'ailleurs, dont les cours étaient, dans l'esprit, proches des siens. Kandinsky, en effet, établissait un strict parallélisme entre théorie et pratique, mais l'analyse se faisait toujours dans la perspective de la forme achevée, à laquelle il donnait une valeur objective et impersonnelle en substituant à la " nécessité intérieure " de l'artiste une " nécessité intellectuelle ", fidèle à une sorte d'existence préétablie de l'œuvre. Il y avait ainsi trois degrés dans l'élaboration du " dessin analytique ". D'abord, l'élément comme tel dans ses relations avec les autres éléments, puis leur structuration sommaire et la mise en évidence des articulations, ou " tensions ", de la construction par le trait épais ou par la couleur, enfin, en éliminant successivement les éléments secondaires, seuls les foyers d'énergie et les tensions étaient conservés. Dans une phase terminale, le complexe du dessin était encore simplifié pour parvenir à la plus grande sobriété en même temps qu'au cœur de la densité expressive, où le signe devient symbole. L'échange d'influences entre le Bauhaus et les peintres fut considérable. Feininger, par exemple, venu du Cubisme et préoccupé de problèmes de relations spatiales, précisera au Bauhaus une technique rationaliste de plans architecturaux. De même Schlemmer, sculpteur de formation et passionné de théâtre expérimental, créera une figure humaine rigide, mannequin de conception monumentale, et l'intégrera à une architecture vigoureuse, idéale. Ou encore Moholy-Nagy réduisant, dès 1922, un constructivisme lyrique à l'équilibre géométrique le plus rigoureux. Enfin, il est certain que, dans ses aquarelles " musicales ", Klee est redevable de la peinture de Hirschfeld-Mack, de même que l'enseignement du tissage l'a sensibilisé à la texture de la toile. On assiste par ailleurs, dès les années 20, à une convergence des mouvements constructivistes vers le Bauhaus. Un échange d'idées extrêmement fécond devait s'établir notamment avec le Suprématisme de Malévitch, de Gabo et de Lissitsky, fondateur à Moscou d'une institution similaire au Bauhaus, le Proun. Les contacts furent encore plus étroits avec la revue De Stijl, dans des publications réciproques et avec la création à Weimar en 1922 d'un éphémère groupe De Stijl. Par sa lutte contre l'Académisme et sa pédagogie résolument d'avant-garde, le Bauhaus se fit beaucoup d'ennemis. Une exposition, pourtant saluée avec enthousiasme par la critique, en 1923, exaspéra l'opposition, qui associait l'école à un foyer de bolchevisme sous prétexte qu'elle était née sous un gouvernement socialiste. La pression du Parlement de Thuringe sur Gropius devint bientôt intolérable. Le 1er avril 1925, le Bauhaus de Weimar ferma ses portes.

Dessau

En automne, la municipalité de Dessau accueillait le Bauhaus et Gropius put librement édifier un nouveau bâtiment. L'enseignement fut légèrement révisé à la lumière des expériences de Weimar. Quelques professeurs quittèrent le Bauhaus, d'autres, anciens élèves, accédèrent à la maîtrise : Josef Albers, Breuer, Joost Schmidt. Gropius démissionna en 1928 pour se consacrer entièrement à l'architecture. Hannes Meyer lui succéda, mais fut contraint de se retirer au bout de deux ans à la suite de conflits avec la municipalité. Mies Van der Rohe prit alors la direction de l'école jusqu'à sa destitution par le gouvernement national-socialiste de Saxe en 1932. Pour quelques mois, le Bauhaus se déplaça à Berlin avant d'être définitivement fermé par les nazis (1933). L'immeuble de Dessau devint une école de cadres nazis. Malgré cet éclatement, le Bauhaus atteignit après 1933 l'apogée de son influence. En effet, l'exil d'un grand nombre de maîtres et d'étudiants allait en étendre considérablement les idées, au point que l'enseignement actuel de l'art et de l'architecture est encore très largement tributaire de son exemple et de ses expériences. Les États-Unis en ont tiré parti les premiers ; Gropius, Feininger, Mies Van der Rohe, Moholy-Nagy s'y réfugièrent, et ce dernier fonda à Chicago en 1937 le New Bauhaus, qu'il dirigea jusqu'à sa mort, en 1946. Certes, les positions originelles de Gropius étaient encore empreintes d'idéalisme romantique, et elles furent — et sont toujours — controversées, mais il est le seul, avec l'aide précieuse d'un groupe de créateurs sans pareils, à avoir achevé une œuvre dont l'exceptionnelle richesse créatrice n'a d'antécédent que dans les ateliers de la Renaissance.

   À Berlin, le Bauhaus-Archiv, Museum für Gestaltung, conçu par Walter Gropius, s'est fixé pour tâche la conservation et la diffusion de travaux du Bauhaus et des mouvements qui lui sont apparentés. Le bâtiment de Dessau a relativement peu souffert de la guerre. Il a pu être restauré dans tous les détails de son état primitif. De plus, en décembre 1976 s'y est ouvert un centre de recherches interdisciplinaires consacré à l'architecture, l'urbanisme, le design et l'art. Une exposition consacrée au Bauhaus a été présentée (Milan, Castello Sforzesco) en 1996.