Ghislandi (Giuseppe, puis Vittore) , dit Fra Galgario
Peintre italien (Bergame 1655 – id. 1743).
Parmi les grands portraitistes du settecento européen, il représente, en face du portrait de cour français, une manière originale qui lie la tradition naturaliste lombarde au goût " néo-rembranesque " de l'Europe centrale. Élève, à Bergame, de Giacomo Cotta et de Bartolomeo Bianchini, il se forma à Venise, où il séjourna, une première fois, pendant treize ans (1675-1688), en se consacrant, selon son élève et biographe F. M. Tassi (Le Vite de' pittori, scultori e architetti bergamaschi, publiées à Bergame en 1793), " à faire de très grandes études personnelles d'après les œuvres de Titien et de Paolo Veronese ". Une deuxième fois, pour une période presque aussi longue (1693-1705), il travailla à Venise, en tant qu'élève et collaborateur, dans l'atelier de Sebastiano Bombelli. On fait remonter à cette période vénitienne sa rencontre avec la peinture de portrait de l'Europe centrale, représentée par le Bohémien Jan Kupecký, à Venise à partir de 1687 (et définitivement de retour à Vienne seulement en 1709). Son orientation vers le type de portrait rembranesque pratiqué en Europe centrale dut être confirmée, en ces mêmes années, par la connaissance et la fréquentation de Salomon Adler, mort à Milan en janvier 1709. Ce n'est toutefois qu'à partir de 1705 (Portrait de Cecilia Colleoni, Bergame, coll. Colleoni), après le retour définitif de l'artiste à Bergame (dans le couvent de Galgario, dont il allait prendre le nom), qu'il nous est donné de suivre dans ses œuvres le résultat de ces longues études. On voit désormais comment Ghislandi associe la " peinture en pâte " et " sans contour " de la grande tradition chromatique vénitienne à la recherche d'effets " naturels " puisés dans la tradition locale de Bergame et plus généralement de la Lombardie. Il n'est donc pas étonnant que Ghislandi ait été à ce point qualifié pour comprendre la signification profonde de Rembrandt : non sa leçon d'évasion picturale, mais une vision plus vraie et une technique " préimpressionniste ", attentive aux valeurs de la matière. On sait d'ailleurs qu'il exécuta une copie de l'Autoportrait de Rembrandt des Offices, achetée par l'Électeur de Saxe Auguste III pour Dresde en 1742.
Le Portrait du docteur Bernardi (Bergame, coll. Bernardi) et le Portrait du comte Secco Suardi (Bergame, Accad. Carrara) remontent à 1717. À partir de 1732, selon F. M. Tassi, " l'artiste commença à peindre avec son annulaire toutes les carnations, ce qu'il continua de faire jusqu'à sa mort, et jamais plus, pour faire les carnations, il ne se servit du pinceau, sauf en quelque partie secondaire ou pour donner les dernières retouches ; et de cette manière il a fait de très belles têtes, empâtées (" pastose ") comme l'on n'en a jamais vu, quoique faites entièrement par des touches, amenant à son extrême et cohérente conclusion technique et stylistique sa propre façon de concevoir la peinture ". Son Autoportrait (Bergame, Accad. Carrara) est daté de 1737, année à laquelle remonte aussi le remaniement, selon cette nouvelle technique, du visage de Francesco Maria Bruntino (id.), qui, pour la simplicité de sa construction et sa force de pénétration psychologique, peut être considéré comme un unicum du portrait " bourgeois " dans la première moitié du XVIIIe s. Il n'est d'ailleurs pas un cas isolé dans le parcours du peintre lombard, dont la galerie de portraits, trop riche pour être ici mentionnée en entier, comporte d'autres nombreux chefs-d'œuvre, depuis le portrait d'Isabelle Camozzi de' Gherardi (Costa di Mezzate, coll. des comtes Camozzi-Vertua) jusqu'à celui du Jeune Homme au tricorne (Milan, musée Poldi-Pezzoli), de celui de Bartolomeo Albani, député de la ville de Bergame (Milan, coll. Beltrami) à celui du Padre G. B. Pecorari degli Ambiveri (1738, Bergame, coll. Suardi), où le type de portrait de cour du XVIIIe s. cède le pas à une nouvelle conception de la représentation, qui établit un rapport humain d'égalité entre le peintre et le sujet portraituré, Ghislandi se plaçant alors au seuil de la peinture " plébéienne " que pratiquera Giacomo Ceruti.
Les meilleurs portraits de Ghislandi, à quelques exceptions près (Venise, Accademia ; Raleigh, North Carolina Museum ; musée de Lyon ; Louvre ; Washington, N. G. ; musée de Budapest), sont encore pour une bonne part conservés en Lombardie, à l'Accad. Carrara de Bergame surtout, à la Brera et au musée Poldi-Pezzoli de Milan, ainsi que dans de nombreuses coll. part. de la région.
Giacometti (Alberto)
Peintre et sculpteur suisse (Stampa, Grisons, 1901 – Coire, id., 1966).
Il fréquenta l'École des arts et métiers de Genève. Après un séjour d'une année en Italie (1920-21), où Cimabue, Giotto et Tintoret le frappent, il gagne Paris (1922) et étudie chez Archipenko et Bourdelle. Dès 1925, il partage son atelier avec son frère Diego, qui, surtout après 1935, lui servira de modèle. Il passe la Seconde Guerre mondiale à Genève et, en 1949, épouse Annette Arm. Après une première période, où sa peinture se rattache au Néo-Impressionnisme, il se rallie quelque temps (1925-1928) au Cubisme, puis, en 1930, au Surréalisme (Femme, 1926, Zurich, Kunsthaus). Mais la puissance et l'originalité de son tempérament lui rendirent l'orthodoxie surréaliste rapidement intolérable. Aussi, dès 1935, s'ouvre une période de huit années de recherches centrées principalement sur la représentation de la figure humaine, presque exclusivement en sculpture. Dès 1945, Giacometti revient de façon constante aux expressions picturale et graphique : dessins, lithographies et eaux-fortes, illustrations d'André Breton (l'Air de l'eau), de Georges Bataille (Histoire de rats), de René Char (Poèmes des deux années), d'Eluard, de Genet et enfin une importante série de peintures comprenant de très nombreux portraits d'Annette et de Diego. Monochromes — gris sur gris — dominés par les éléments linéaires qui articulent l'espace, ses dessins et ses peintures prolongent et aident à définir son œuvre de sculpteur. Comme lorsqu'il crée dans trois dimensions, Giacometti organise et construit le dialogue dépouillé de la figure et de l'espace dans une relation qui tend à l'absolue vérité et à l'unicité du sujet (la Mère de l'artiste, 1950, New York, M.O.M.A. ; Diego, 1951, Zurich, Kunsthaus). Son œuvre se manifeste comme une totalité qui met en cause le sens même de notre existence : ces innombrables personnages, têtes, bustes, qui nous percent de leur regard intense au point que l'on craint de les approcher, surgissent dans leur immédiateté comme un cri désespéré, comme l'expression la plus humaine d'un monde qui se disloque, entraînant avec lui une humanité décharnée, déjà pourrissante. L'artiste est représenté à New York (M.O.M.A.), Pittsburgh (Carnegie Inst.), Paris (M.N.A.M., Portrait d'Isaku Yanaïhara, 1956 ; Caroline, 1965), Detroit (Inst. of Arts), Saint-Paul-de-Vence (fondation Maeght), Zurich (fondation Giacometti) et dans des coll. part. L'Orangerie des Tuileries à Paris lui a consacré une rétrospective en 1969-70. En 1986, une exposition portant exclusivement sur la période de son " retour à la figuration " (1933-1947) fut présentée au Musée Rath de Genève et au M.N.A.M., Paris. Une importante rétrospective a été consacrée à l'artiste (M.A.M. de la Ville de Paris) en 1991-92.