malades mentaux (expression picturale des) (suite)
Tests et créations libres
Les tests de dessin
Il ne s'agit pas ici d'épreuves où le sujet doit analyser un dessin proposé (T. A. T., Rorschach), mais de celles où il doit lui-même dessiner.
Ces tests permettent tant l'évaluation de l'intelligence que l'étude de la personnalité et des tendances des patients.
On peut distinguer plusieurs catégories de tests.
Tests d'après un sujet imposé : test de Binet-Simon (inclusion d'épreuves de dessin dans ce test classique de développement de l'enfant) ; " Draw-a-man test ", ou test du " bonhomme ", de Goodenough ; à la fois de niveau d'intelligence et projectif, pour enfants, test de l'arbre de Koch (décelant retards et régressions de l'affectivité, pour enfants et adultes) ; Levy-animal-drawing-story (LADS) de S. et R. Levy (projectif à partir de la symbolique du bestiaire) ; test de la " maison " de Kerr, repris par Minkowska.
Test de complément : Wartegg-Zeichentest (WZT) (établissement d'une typologie).
Tests de copie : Visual-Motor-Gestalt-Test de Bender (estimation du développement mental de l'enfant par l'intermédiaire de son niveau visuo-moteur avec possibilité de discrimination entre troubles organiques et fonctionnels).
Les créations spontanées
Il s'agit de créativité libre et personnelle, sans modèle et sans thématique imposée.
L'organisation d'ateliers d'" art-thérapie " dans les services hospitaliers a permis d'offrir la possibilité de création picturale à des sujets non seulement dépourvus de toute technique, mais même dénués de toute sensorialité picturale particulière. Dans les cures ambulatoires, il est nécessaire que le patient (adulte, car l'enfant s'exprime très immédiatement par une activité plastique) possède une certaine appétence.
Dans l'utilisation de ces créations spontanées, les considérations diagnostiques, cliniques et thérapeutiques sont étroitement associées. Le dessin a été créé par une conscience et pour une conscience ; il n'est plus une chose, un objet, un " en soi ", mais un " pour soi " et un " pour autrui ". Son contenu peut s'inscrire en termes d'action (contenu-scène), ou se manifeste par des objets (contenu-objet), ou s'appauvrit, se vide et tend à disparaître (contenu-fuite). Ces contenus sont en relation directe avec le malade, son conscient, son subconscient, son inconscient.
Expression picturale et maladie mentale
Expression picturale et psychose maniaco-dépressive
La production du malade excité, du " maniaque " évolue des gribouillages informes, éclaboussés, des taches de l'excitation aiguë aux œuvres de l'hypomane, subexcité, mieux composées, mais dont les éléments s'intègrent de façon cocasse et inattendue. Les thèmes sont mégalomaniaques, érotiques ou scatologiques. Les couleurs sont vives ; les traits, les taches, les signes d'écriture s'entremêlent, se chevauchent et donnent un aspect de confusion. La malpropreté, l'inachèvement traduisent la " fuite des idées ".
Les " mélancoliques " cessent en général toute œuvre artistique spontanée. Si on les place dans un groupe, en atelier, leurs œuvres sont d'une extrême pauvreté : sombres, grises ou noires, ou ne couvrant qu'une infime surface de papier.
Les déprimés simples, ou névrotiques, arrivent à des compositions plus élaborées. Les couleurs rouge et noire apparaissent fréquemment en cas d'idées de suicide.
Au cours de la psychose maniaco-dépressive ou de la cyclothymie, les périodes sombres alternent avec des périodes éclatantes.
Expression picturale et schizophrénie
Les premières études sur les dessins spontanés de schizophrènes (Morgenthaler, Prinzhorn) ont tenté d'en déterminer des caractères formels spécifiques. Les fondements psychologiques de la création plastique ont comme pulsions essentielles : la tendance ludique, la tendance à l'embellissement, la tendance constructive, la tendance à la reproduction, le besoin symbolique.
Les caractéristiques dominantes sont l'" inquiétante étrangeté ", l'autonomie des éléments par rapport au rythme de l'ensemble (caractère où convergent autisme et ambivalence), le défaut de résonance chez autrui : œuvres marquées du sceau de l'isolement et du solipsisme le plus terrifiant.
Dans la monographie sur Adolf Wölfli furent soulignés le caractère formel dit " de remplissage ", le contenu symbolique des dessins, les annotations ornementales et musicales, l'utilisation de l'œuvre dans un sens cosmogonique, l'absence de perspective réelle, les répétitions s'accompagnant de variations sur un thème de base, la tendance au décoratif qui vide peu à peu le contenu de ses possibilités de compréhension, enfin la tendance de l'œuvre au monumental.
À la suite de ces travaux se référant à la psychologie de la forme, des lois générales furent dégagées : grande richesse symbolique des dessins, réalisme intellectuel, stylisation et répétition, loi d'agglutination des images, qui conduit à de multiples images composites et fondues, combinant des formes humaines, animales, végétales ou minérales de façon à produire une forme unique à haute signification magique. Les mécanismes de déplacement et de déguisement se rattachent aux phénomènes de la condensation-agglutination. L'accent affectif se déplace ainsi sur une image particulière, plus expressive et mieux tolérée.
Expression picturale et délire
Dans le délire —organisé ou non, sur fond lucide ou dissocié— , il y a refus ou fuite du monde réel, protection contre lui, invention d'un monde imaginaire. Les peintures sont souvent le révélateur plastique de l'élaboration et de la construction de ce monde irréel, de cette cosmogonie originale. Les thèmes y sont soit évidents, soit précautionneusement cachés ; la structure est en relation directe avec l'esprit du délire.
Expression picturale et maladie organique
L'épileptique, dans les formes graves, révèle son ralentissement et son affaiblissement dans des productions dégradées et puériles ; dans les formes légères, il peut produire des œuvres originales de forme, de couleur et de contenu et présentant une puissance certaine. L'automatisme comitial a été étudié en tant que source d'inspiration.
Le dément fait des gribouillages informes d'où se dégagent parfois les préoccupations érotiques ou des idées de grandeur.
Le débile, ou oligophrène, dessine de façon maladroite et puérile, mais il est parfois capable de composer des œuvres proches de celles des arts populaires, contrastant heureusement avec ses autres formes d'expression.
Les études chez les déments et les débiles posent le problème de l'intelligence et de ses troubles touchant au langage, aux praxies et aux gnosies. Des travaux s'attachèrent aux troubles de la création chez les aphasiques et lors d'interventions neurochirurgicales mutilantes.
Génie et folie, art et névrose
De tout temps fut posée la question de la relation génie-folie (haut mal, maladie de Vénus, mal dionysiaque). Plus proches de nous, Lombroso et Nordau placèrent le génie sous le signe de la folie et de la dégénérescence. Puis la névrose remplaça la folie comme condition première d'une possibilité créatrice. Mais si Freud rapproche l'artiste et le névrosé dans leur éloignement de la réalité par des conduites de substitution et déclare que la découverte de l'inconscient a été due aux artistes, il n'a jamais voulu réduire l'art à une simple formulation pathologique. Même quand la névrose authentique d'un artiste a pu jouer vis-à-vis de son œuvre, celle-ci ne peut être considérée comme purement névrotique et traitée comme telle. La force créatrice et la névrose entrent dans un rapport qui peut être dialectique ou non, selon leur équilibre. La référence à la névrose d'un artiste apporte certes quelque chose du matériel psychique sur lequel il exerce ses possibilités et sur les raisons qui les ont amenées à en jouer, mais ne dit rien de leur origine. L'artiste névrosé donne une forme à sa maladie et la rend accessible aux autres. L'œuvre est à l'artiste ce que le symptôme est au malade.
L'Art brut
La question des relations entre le génie et la folie imprègne aussi une perspective d'art spontané, non culturel, appelé " Art brut " et dont la notion a été dégagée par l'artiste Jean Dubuffet. Les collections de la Compagnie de l'Art brut, réunies en un musée privé à Lausanne, comprennent des œuvres d'artistes sains ou malades, mais avec une proportion assez importante d'artistes aliénés. Ces œuvres s'apparentent par le fait qu'elles ont été exécutées par des créateurs n'ayant reçu aucune formation artistique, poussés par un intense besoin intérieur de s'exprimer et le faisant dans une forme et un style sans aucune attache avec les mouvements historiques de l'art.