Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
G

gothique international

Vaste mouvement pictural qui se manifesta entre 1380 et 1450 environ dans toute l'Europe, présentant dans chacun des pays touchés des caractères stylistiques suffisamment semblables pour atteindre à une exceptionnelle unité de langage artistique.

   À la fin du XIXe s., Louis Courajod avançait la thèse d'une " gothicité universelle " avec laquelle se serait achevée la peinture médiévale ; il n'individualisait pas exactement le phénomène, qui, pour quelques décennies encore, resta privé d'une identification précise, en dépit de quelques contributions importantes, comme celles d'A. Schlösser (1895) et de P. Toesca (1912). L'expression " Gothique international " apparaît plus appropriée que d'autres dénominations (" art courtois ", " art cosmopolite ", " Weicher Stil ") parce qu'elle indique mieux ce qui fut la caractéristique particulière du mouvement : non seulement sa diffusion à l'échelle européenne, mais le fait qu'il fut le résultat homogène d'échanges innombrables et ininterrompus, d'un courant d'idées communes sur la peinture, d'influences réciproques, à ce point qu'aujourd'hui encore il est impossible d'établir avec certitude le lieu d'origine de certaines œuvres. Ce " dialogue artistique " ouvert par-delà les frontières est le fruit d'une situation culturelle et sociale commune aux différents pays européens de l'époque. Les grandes structures et les institutions médiévales connaissent alors une situation de crise et de déclin, que l'historien Huizinga a définie comme l'" automne du Moyen Âge ". Dans cette atmosphère de décadence s'accroît cependant le luxe des grandes cours européennes (Dijon, Prague, Milan, Paris) et des milieux aristocratiques qui en dépendent, au sein desquels se développe un mécénat insatiable. Le cérémonial " courtois " qui préside à chaque manifestation de la vie publique et privée, l'atmosphère d'évasion spirituelle qui en dérive se reflètent dans la profusion décorative de la peinture, dans les sentiments sophistiqués et alanguis, dans l'absence presque totale du réel, réduisant la peinture à une très élégante organisation de rythmes linéaires purs et de brillantes couleurs. Mais, en même temps, il entre dans le Gothique international un souci infini du détail descriptif, qui s'exerce à la fois sur l'atmosphère, les costumes et les types humains. Ce réalisme brillant et superficiel reflète toutefois la réalité dynamique de la vie urbaine et de l'économie, dont la bourgeoisie est l'élément principal. Vers la fin du XIVe s., la bourgeoisie assume en effet un rôle économique et culturel grandissant, se mêlant davantage à l'ambiance des cours, au sein desquelles elle se livre à un mécénat compétitif. À cette époque, les amateurs préfèrent les œuvres de petites dimensions (diptyques, petits retables portatifs, miniatures, tapisseries), au même titre que de luxueux objets personnels et tous facilement transportables. Ce fait favorise la circulation et les échanges des œuvres d'art et contribue fortement à la diffusion d'un style commun. Ce fut la miniature qui eut la préférence des collectionneurs de l'époque et par suite devint le véhicule le plus courant de cette circulation. D'ailleurs, la peinture sur panneau, qui connut relativement une moindre faveur en cette période, lui fut tributaire dans une certaine mesure.

Avignon

Il n'est pas aisé de retrouver les origines du Gothique international compte tenu de la simultanéité des expériences effectuées dans les différents pays et de la réciprocité ininterrompue des influences. Il est cependant certain que des faits antérieurs à tout le mouvement ont pu se produire en Avignon, devenu siège papal après le schisme d'Occident et où Simone Martini et Matteo Giovannetti laissèrent avant 1350 quelques très importants chefs-d'œuvre. C'est en Avignon, dans un climat de haute culture internationale, que différentes traditions artistiques entrèrent en contact, bénéficiant réciproquement d'un échange fécond d'expériences.

Prague

L'écho de ce brillant moment avignonnais peut être perçu fort tôt en Bohême dans les miniatures du Liber Viaticus, peint pour Johann von Neumarkt, chancelier de Charles IV, alors en rapport étroit avec Avignon, et dans le groupe de miniatures peintes entre 1387 et 1402 pour Wenceslas IV, bibliophile passionné, et parmi lesquelles se trouvait la Bible de Wenceslas (Vienne, B. N.). Sous le règne de Wenceslas, Prague, devenue un haut lieu de rencontre des différentes cultures européennes, est en particulier fort sensible à l'influence artistique italienne. C'est en Bohême que se manifestent les plus précoces expériences picturales du Gothique international, les fresques du château de Karlštejn, où Maître Théodoric peint en 1367 une série de Portraits fortement éloquents et dans lesquels il use d'un clair-obscur aux effets tragiques et lourds. Animées par un profond sentiment religieux et marquées par une atmosphère immatérielle obtenue par le jeu de la lumière et des couleurs, les scènes de la Passion du Maître de Trěboň (v. 1380, musée de Prague) sont le chef-d'œuvre de cette brève prééminence bohème.

Lombardie

Vers 1380 également, en Lombardie, Gian Galeazzo Visconti fait commencer la décoration d'une importante série de manuscrits destinés à la bibliothèque du château de Pavie : livres d'heures, classiques latins, romans de chevalerie français, Tacuina sanitatis (sortes d'encyclopédies botaniques et zoologiques comportant en outre des recettes médicinales et la nomenclature des travaux agricoles). Ces miniatures révèlent une observation aiguë de la réalité quotidienne, du paysage, du monde animal et du monde végétal ainsi qu'une nouvelle technique, à la fois savante et spontanée, un emploi délicat du clair-obscur. Parmi les miniaturistes qui exécutèrent ces travaux émerge la personnalité de Giovannino de' Grassi, qui enlumina notamment un Livre d'heures pour Gian Galeazzo Visconti (1395, Milan, bibl. Visconti) et laissa un carnet de dessins (Bergame, Accad. Carrara), études d'animaux domestiques et exotiques extrêmement pénétrantes et d'une haute qualité technique, probablement destinées à servir de modèles pour ses miniatures.

   Michelino da Besozzo, actif de 1388 à 1430 env., de culture internationale et doté d'une rare subtilité poétique, est le plus important représentant de la miniature lombarde. Son talent se réalisa pleinement dans la représentation toute mondaine de scènes religieuses comme dans l'Éloge funèbre de Gian Galeazzo Visconti (1402, Paris, B. N.) et dans l'extraordinaire Livre d'heures (Genève, bibl. Bodmer), tandis qu'une touche d'humour léger se perçoit dans ses panneaux, le Mariage mystique de sainte Catherine (Sienne P. N.) et le Mariage de la Vierge (Metropolitan Museum). Les rapports étroits que Gian Galeazzo entretenait avec la France facilitaient la connaissance de l'art français en Italie (on est documenté sur la présence à Milan de Jean d'Arbois, peintre de Philippe le Hardi, et de Jacques Coene, le maître possible des Heures de Boucicaut ), en même temps qu'ils favorisaient la pénétration en France des manuscrits lombards qui se trouvent cités dans les inventaires du duc de Berry sous le nom d'" ouvraige de Lombardie ".

Domaine franco-flamand

Les modes de la miniature lombarde et surtout l'observation aiguë de la nature deviennent alors des composantes importantes de l'ornementation de la miniature franco-flamande du début du XVe s. Dans les dernières décennies du XIVe s., la présence de peintres flamands est déjà attestée près les cours de Charles IV à Paris, des ducs de Berry et de Bourgogne, du duc Louis d'Orléans. Entre 1375 et 1381, Jean Bondol de Bruges prépare à Paris les dessins pour la tapisserie de l'Apocalypse (Angers, musée des Tapisseries). Vers 1375, Jean de Beaumetz, avec ses aides, peint 24 panneaux pour la chartreuse de Champmol, dont il reste 2 exemplaires (Louvre et musée de Cleveland). Jean Malouel, en 1396, travaille au service de Philippe le Hardi ; Melchior Broederlam, en 1395, peint 2 volets avec la Présentation au Temple et la Fuite en Égypte (musée de Dijon) pour un retable de Champmol. Ces peintres d'origine flamande affinèrent sans doute leur réalisme " bourgeois " au contact du goût aristocratique et des manières courtoises des peintres français d'alors, dont on ignore presque tout, les archives ayant été détruites, à l'exception de quelques noms, comme celui d'un Jean d'Orléans, qui fut au service du duc de Berry.

   Une œuvre importante, le Parement de Narbonne (v. 1375, Louvre), permet cependant d'avoir une idée du goût français de l'époque, exclusivement fondé sur un jeu linéaire infiniment raffiné. Au début du XVe s., Paris commence à assumer un grand rôle historique au sein du Gothique international, mandant près les cours françaises de nombreux miniaturistes. Les artistes, venant principalement des régions de la Gueldre, de la Meuse et du bas Rhin, joignent leurs expériences et les implantent sur l'ancienne tradition de la miniature française, représentée par le Maître anonyme de la Bible de Jean de Cys (1355, Paris, B. N.) et par celui des Heures de Guillaume de Machaut (1370, id.). Un groupe de miniaturistes surtout mosans qui se réunit dans un atelier de Paris est connu sous le nom d'" atelier du Maître de 1402 ". Un autre atelier important réunissait 3 grands miniaturistes connus sous le nom de leur plus fameux manuscrit : le Maître des Heures du maréchal de Boucicaut (il s'agit sans doute de Jacques Coene ; Paris, musée Jacquemart-André), l'énigmatique et très vif Maître des Heures de Bedford (British Museum) et le Maître des Heures de Rohan (Paris, B. N.), émotif et passionné, peut-être d'origine catalane, passé en 1416 au service d'Isabelle d'Aragon. À Paris travaillaient également des Italiens, tels Zebo da Firenze et des miniaturistes lombards au service de Christine de Pisan, femme de lettres d'origine italienne. Il faut noter, pour son exceptionnelle richesse, la collection réunie par l'infatigable collectionneur Jean de Berry et qui comprend en particulier le Psautier d'André Beauneveu, de Valenciennes (v. 1380, id.), les Très Belles Heures de Notre-Dame, dont les feuillets furent répartis entre la B. N. de Paris, le Museo Civico et la bibl. universitaire de Turin (ces derniers, très importants, furent malheureusement détruits dans un incendie), les Très Belles Heures (Bruxelles, Bibl. royale), sans doute du grand miniaturiste Jacquemart de Hesdin. Après la mort de ce dernier (1409), Jean de Berry fait appel aux neveux de Malouel, Pol et Jean de Limbourg, qui s'adjoignent ensuite leur troisième frère, Herman. On doit aux frères Limbourg le chef-d'œuvre absolu de la miniature gothique internationale, et sans doute de tous les temps, les fameuses Très Riches Heures (Chantilly, musée Condé), exécutées entre 1411 et 1416 env. et dans lesquelles le meilleur des traditions mosane, française et italienne se trouve génialement fondu.