Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Poussin (Nicolas) (suite)

Séjour à Paris (1640-1642)

Ce séjour fut pour Poussin lui-même un désastre. Après une courte période d'euphorie due à l'accueil enthousiaste que lui réservèrent le roi, le cardinal et le surintendant des Bâtiments, Sublet des Noyers, l'artiste se rendit compte que les travaux qu'on attendait de lui ne lui convenaient pas du tout : grands tableaux d'autel (Institution de l'Eucharistie pour Saint-Germain, Miracle de saint François Xavier pour le Noviciat des Jésuites, tous deux au Louvre), vastes peintures allégoriques pour Richelieu (le Temps révélant la Vérité, Louvre ; le Buisson ardent, Copenhague, S. M. f. K.) et, surtout, la décoration de la grande galerie du Louvre (jamais terminée et plus tard détruite). Ses difficultés furent accrues par les intrigues de Vouet et des autres peintres, qui sentaient que leur situation était menacée par sa présence à Paris. Poussin regagna finalement Rome, où il arriva à la fin de 1642. Il était parti en principe pour y chercher sa femme, mais il est tout à fait certain qu'il n'avait pas l'intention de revenir à Paris, décision favorisée par la mort de Richelieu et celle du roi quelques mois plus tard. Si sa visite à Paris fut officiellement un échec, elle lui permit d'affermir ses relations avec des collectionneurs français qui devinrent ses meilleurs clients à la fin de sa carrière. Le plus célèbre d'entre eux fut Paul Fréart de Chantelou, secrétaire de Sublet des Noyers, à qui Poussin écrivit une série de lettres qui restituent l'image la plus intime et la plus vivante de la personnalité de l'artiste.

Second séjour à Rome. Christianisme et stoïcisme

Pendant les dix années qui suivirent son retour à Rome, Poussin se révéla comme l'une des figures dominantes de la peinture européenne et exécuta les séries d'œuvres sur lesquelles sa réputation reposa deux siècles durant. La plus fameuse de celles-ci fut la seconde suite de toiles représentant les Sept Sacrements, peinte pour Chantelou entre 1644 et 1648 (coll. du duc de Sutherland, en prêt à la N. G. d'Édimbourg).

   La solennité, déjà sensible dans la première série, s'intensifie dans ces peintures. Les compositions sont monumentales, établies selon une symétrie sévère et une parfaite intelligence de l'espace ; les figures ont la gravité de statues de marbre ; les couleurs sont claires et même dures ; les gestes sont expressifs, et tout ce qui n'est pas essentiel est éliminé. La conception des séries est également originale, parce que Poussin s'attache délibérément à représenter les sujets selon les doctrines et la liturgie des origines de l'Église chrétienne ; ses savants amis romains l'y aidèrent, ainsi que l'étude des sarcophages et des fresques que les fouilles récentes des catacombes avaient mis au jour.

   Ces graves compositions chrétiennes ont leur pendant avec une série de peintures inspirées par le paganisme et particulièrement par la philosophie stoïcienne, en laquelle Poussin lui-même croyait, ce qui se reflète dans ses lettres et dans la conduite même de sa vie. Poussin aime maintenant à peindre des sujets tirés des Vies de Plutarque (les Funérailles de Phocion, coll. de lord Plymouth ; les Cendres de Phocion, Liverpool, Walker Art Gallery ; Coriolan, supplié par les siens, musée des Andelys) ou offrant des leçons d'une haute élévation morale quelquefois empruntés à des écrivains non stoïciens (Testament d'Eudamidas, Copenhague, S. M. f. K.). Comme nombre de ses contemporains, il n'éprouva aucune difficulté à concilier l'éthique du stoïcisme avec la doctrine du christianisme.

Les paysages

Durant les années 1640, Poussin eut la révélation de la beauté de la nature. Le paysage n'était jusque-là pour lui qu'un arrière-plan pour situer les personnages, bien qu'il ait reflété souvent l'esprit du thème. Il prend désormais une importance tout à fait nouvelle. Parfois, comme dans les 2 peintures illustrant l'Histoire de Phocion, la noblesse presque sculpturale des arbres et la ville classique, à l'arrière-plan, sont utilisées par l'artiste pour souligner la grandeur du caractère du héros. Dans le Diogène (Louvre), la luxuriante végétation exprime l'idéal du philosophe, considérant la nature comme source de tout ce qui est nécessaire au bonheur de l'homme. Dans le mystérieux Paysage avec un homme tué par un serpent (Londres, N. G.), il n'y a pas de thème explicite, mais le paysage exprime les forces mystérieuses de la nature, plus puissantes que l'homme. Ce sentiment du mystère et du pouvoir écrasant de la nature est la caractéristique essentielle des paysages que Poussin peignit dans les dernières années de sa vie. Dans l'Orion (Metropolitan Museum), l'humanité n'est rien et le géant Orion lui-même est écrasé par les grands chênes au milieu desquels il se meut. Poussin songeait à une allégorie des mouvements cycliques de la nature — ici à l'origine des nuages et de la pluie, forces fortifiantes —, qui lui fut probablement suggérée par les écrits du poète philosophe Tommaso Campanella, et des allusions similaires apparaissent dans la Naissance de Bacchus (Cambridge, Mass., Fogg Art Museum) et dans sa dernière œuvre, Apollon et Daphné (Louvre). En fait, dans ses derniers tableaux, Poussin semble avoir suivi un étrange itinéraire dans les derniers développements du stoïcisme antique quand des écrivains, tel Macrobe, transformaient les mythes helléniques et romains en allégories de l'évolution de la nature et inauguraient une tradition du symbolisme qui fut reprise à la Renaissance, mais rarement avec la ferveur et la compréhension poétique de Poussin dans les dernières années de sa vie.

Les dernières œuvres

Ces paysages allégoriques d'un monde de rêve (parmi lesquels on peut encore citer Orion du Metropolitan Museum de New York, Polyphème de l'Ermitage, Hercule et Cacus du musée Pouchkine de Moscou) sont peut-être les plus émouvants des témoignages ultimes de l'œuvre, mais les sujets religieux ne sont pas abandonnés. Dans une certaine mesure, ils prolongent ceux des années 40, mais ils s'en distinguent à la fois par un lointain détachement et un calme monumental (Sainte Famille, Ermitage, et Sarasota, Ringling Museum ; Mort de Saphire, Louvre ; Repos de la Sainte Famille en Égypte, Ermitage). Les Quatre Saisons (Louvre), peintes pour le duc de Richelieu entre 1660 et 1664, représentent une synthèse de tous les éléments du style tardif de l'artiste. Le cadre général expose la beauté de la nature ; le récit biblique se combine avec des allusions aux catégories médiévales (type et antitype) et, probablement aussi, à la mythologie classique. Le Printemps est dominé par Apollon autant que par Dieu le Père ; l'héroïne de l'Été est non seulement Ruth, mais Cérès ; les grappes de raisins de l'Automne sont le symbole de Bacchus aussi bien que du sang du Christ, et le serpent de l'Hiver appartient tout autant à Hadès qu'au Déluge. Là encore, la synthèse du christianisme et des croyances du paganisme est complète.

   Quand Poussin mourut, les cercles artistiques le respectaient, mais on ne l'aimait point et on ne l'imitait pas davantage. On lui reprochait en particulier son caractère rigide (Autoportrait, Louvre) et la dureté de ses commentaires sur les autres peintres. Il vivait de plus comme une sorte d'ermite séparé de la société romaine, fréquentant seulement quelques amis très intimes et se consacrant exclusivement à son art. Il n'eut pas d'imitateur parce que, contrairement à ses contemporains romains, il n'utilisa jamais d'assistant ni n'ouvrit d'atelier. Enfin et surtout, il développa dans son isolement un style uniquement destiné à satisfaire sa propre sensibilité et celle de ses plus proches admirateurs, et qui était en fait contraire au goût alors en faveur à Rome.

Fortune critique de l'artiste

À Paris, et en particulier à l'Académie royale de peinture et de sculpture, bien que le nom de Poussin fût le deuxième après celui de Raphaël, qu'on le présentât comme modèle à tous les jeunes peintres et que ses travaux fussent pris comme sujets de conférences sur la nature de l'art, Le Brun lui-même et ses collègues académiciens ne comprirent pas vraiment les qualités réelles de ses dernières œuvres. En outre, la situation culturelle devait bientôt changer. Les défenseurs de la couleur opposée au dessin et les partisans des Modernes contre les Anciens discutèrent la suprématie de Raphaël et de Poussin et prônèrent à leur place Rubens et les Vénitiens ; si bien que vers 1700, en dehors de quelques imitateurs plutôt ternes, comme Nicolas Colombel et François Verdier, les artistes parisiens les plus inventifs se dirigèrent vers une conception tout à fait différente de la peinture et contraire à l'idéal de Poussin.

   Au XVIIIe s., les critiques français continuèrent à honorer Poussin, mais les peintres ignoraient ses leçons, et, dans la période dominée par Boucher et Fragonard, son influence fut presque nulle. Avec le changement de goût à la fin du siècle, la fortune de Poussin tourna ; Vien et surtout son élève David reconnurent et proclamèrent son génie. Parmi les artistes de la génération suivante, il est naturel qu'Ingres l'ait cité comme un de ses dieux, mais il est révélateur de la relation ambiguë entre le Classicisme et le Romantisme que Delacroix ait manifesté un enthousiasme presque égal pour lui et écrit en son honneur l'un des essais les plus perspicaces. Poussin continua à être vénéré par les suiveurs d'Ingres, mais il eut une influence beaucoup plus féconde sur des artistes comme Degas et Cézanne, qui ne cherchèrent pas à l'imiter, mais qui appliquèrent les principes sous-jacents à son art aux problèmes qui étaient les leurs et propres à leur temps.

   Le XXe s. a manifesté un incontestable regain d'intérêt pour Poussin, stimulé par l'admiration de Cézanne et par les affinités que présentait son art avec le Cubisme et la peinture abstraite. Ce n'est pas fortuitement que Picasso, après 1918, s'est rapproché du classicisme du Poussin des années 1640 ou que les Puristes (Ozenfant, Jeanneret) ont considéré au même moment l'artiste comme un précurseur. Il est donc possible que la renommée actuelle de Poussin auprès des historiens d'art puisse, dans un avenir prochain, s'étendre aux peintres et que l'artiste devienne le héros d'une nouvelle génération. Une importante rétrospective Poussin comportant près de 250 œuvres (peintures et dessins) a été présentée (Paris, Grand Palais ; Londres, Royal Academy) en 1994-1995.