Sassetta (Stefano di Giovanni, dit)
Peintre italien (Sienne v. 1400 – id. 1450).
Avec Sassetta s'affirme la première prise de position de l'école siennoise à l'égard de la Renaissance florentine. Le retable de l'Eucharistie (1423-1426), peint pour la Cappella dell'Arte della Lana, est son œuvre la plus ancienne. Il est aujourd'hui démembré. Des panneaux de la prédelle se trouvent au musée de Budapest (Saint Thomas en prière), au Bowes Museum de Barnard Castle (Communion sacrilège), au Vatican (Saint Thomas devant le Crucifix), à la N. G. de Melbourne (Un miracle de l'hostie consacrée), à la P. N. de Sienne (Cène, Saint Antoine bâtonné), qui conserve aussi 8 Saints provenant des pilastres et 2 Prophètes des pinacles. Selon F. Zeri les deux fameux Paysages de la P. N. de Sienne, attribués à Ambrogio Lorenzetti, seraient des fragments du panneau central du retable. Dans cette œuvre, l'artiste présente un style qui, en traduisant la perspective par le rythme, emprisonne les souples cadences gothiques dans une structure plastique fragile, mais toute moderne, placée dans un espace limpide, qui reste le théâtre des plus anciens songes médiévaux. Cette différence profonde avec la position anthropomorphique et rationaliste des Florentins marquera du reste toute la vision de la peinture siennoise du siècle.
Entre 1430 et 1433, Sassetta exécute pour le dôme de Sienne le grand retable dédié à la Madone des Neiges (Florence, Pitti, donation Contini-Bonacossi). C'est avec un art de plus en plus subtil que, grâce à des enchaînements de rythmes précis et à l'ouverture sur un horizon lumineux, s'y conjuguent dans une synthèse tout à fait originale les nouvelles règles péremptoires de la perspective établies par l'école florentine et l'irréalité poétique et légendaire d'une vision ingénue. La prédelle surtout, avec l'Histoire de la fondation de Sainte-Marie-Majeure à Rome, exprime bien le miracle de l'art de Sassetta, où la lumière du nouveau siècle dilate largement l'espace des ciels concentriques issus de la cosmogonie médiévale.
À dater de ce moment, il n'est peintre à Sienne qui ne soit plus ou moins débiteur de Sassetta, qui, de son côté, suit avec intérêt les progrès de la culture de cette époque et de celle de Florence en particulier. Si, dans le polyptyque de l'église S. Domenico à Cortone (musée de Cortone), le motif central de la Vierge et les anges porte encore l'empreinte du gothique le plus délicat, la construction exacte des 4 figures latérales des Saints et l'harmonie heureuse des teintes dérivent de l'art d'Angelico, dont l'esprit mystique correspond d'ailleurs à celui du peintre siennois. De même, l'Adoration des mages (Sienne, coll. Chigi-Saracini) et le petit panneau du Cortège des mages (Metropolitan Museum), qui la surmontait à l'origine et où se reflètent l'éclat et le goût du luxe de Gentile da Fabriano, ne révèlent pas moins de contrastes dans les éléments fondamentaux que d'unité dans la rigueur du style. Cette considération permet d'ailleurs de penser que cette œuvre est antérieure à la Madone des Neiges, que pourraient suivre de près les fragments d'un Crucifix avec la Vierge et Saint Jean et le panneau avec Saint Martin partageant son manteau (Sienne, coll. Chigi-Saracini), admirables vestiges d'un chef-d'œuvre où, dans un mélange de calcul subtil et d'imagination candide, se reflétaient les conquêtes formelles réalisées dans la perspective par l'école toscane. Plusieurs Vierges à l'Enfant (Sienne, P. N. ; musée de Grossetto ; Washington, N. G.) se situent aussi dans la quatrième décennie du siècle. Dans une synthèse originale, le génie personnel de Sassetta réunit, sous le masque gracieux ou grotesque d'une humanité sans héros mais toujours liée à l'univers imaginaire gothique, toutes les expériences qu'il a accumulées — l'exemple d'Angelico, du dernier Masolino, de Paolo Uccello — durant cette période de crise " postmasaccesque " de la culture toscane.
De 1437 date la commande du grand Retable de saint François pour l'église San Francesco de Borgo San Sepolcro, que l'artiste ne terminera qu'en 1444. Les documents très précis concernant cette commande ont permis de reconstituer idéalement le polyptyque aujourd'hui démembré et dont la plupart des éléments ont été identifiés, à l'exception des panneaux de pilastre et de la prédelle. Sur la face étaient représentés : la Vierge trônant entre Saint Antoine et saint Jean l'Évangéliste (Louvre), le Bienheureux Ranieri Rasini et Saint Jean-Baptiste (Settignano [Florence], coll. Berenson), et, au revers, Huit Scènes de la vie de saint François (7 à Londres, N. G. ; 1 à Chantilly, musée Condé) entourant Saint François en extase (Settignano, coll. Berenson). Sur la prédelle, côté face, figuraient trois Scènes de la Passion, aujourd'hui réunies à Detroit (Inst. of Arts) et au revers des Scènes de la vie du Bienheureux Ranieri Rasini (2 au Louvre, 1 aux musées de Berlin). C'est sans doute le chef-d'œuvre de la longue activité et du grand art de Sassetta qui reflète les aspirations idéales d'une civilisation mourante ; mais celle-ci s'éteint dans un crépuscule lumineux et cristallin dont l'horizon lointain renvoie l'écho des ultimes artifices médiévaux afin d'exalter les histoires de saint François comme dans une légende mystique et courtoise à la fois. Sassetta mourut à Sienne d'un mal contracté, dit-on, tandis qu'il travaillait en plein air aux fresques de la porte Romaine, dont ne subsiste, dans la voûte, qu'une Gloire d'anges qui fut terminée par Sano di Pietro.
Parmi les peintres siennois le plus directement influencés par Sassetta, citons, outre Sano di Pietro et Pietro di Giovanni d'Ambrogio, le Maître de l'Observance, dont certaines œuvres ont longtemps été attribuées à Sassetta par plusieurs historiens, notamment la fameuse série de panneaux illustrant la vie de Saint Antoine (Washington, N. G. ; Metropolitan Museum, coll. Lehman ; New Haven, Yale University Art Gal. ; musées de Berlin).
Sassoferrato (Giovanni Battista Salvi, dit il)
Peintre italien (Sassoferrato 1609 – Rome 1685).
L'artiste arriva probablement assez jeune à Rome, où il entra dans l'atelier de Dominiquin. Vers la fin des années 30, il suivit son maître à Naples et y fit la connaissance de Francesco Cozza, autre disciple de Dominiquin. Deux tableaux d'autel peints à Rome, respectivement en 1641 et en 1643, la Vision de saint François de Paule dans l'église homonyme et la Vierge du rosaire à Sainte-Sabine, attestent le succès relatif du jeune peintre. Mais ce dernier tableau ne dut pas plaire puisque, à l'exception d'une Vierge à l'Enfant (1650) actuellement conservée au Vatican, nous n'avons plus trace d'aucune commande publique à partir de cette date. La nostalgie de la peinture ombrienne du quattrocento et de Raphaël, les années d'apprentissage auprès de Dominiquin — l'artiste le plus fidèle aux leçons de Classicisme des frères Carrache — sont à la source de l'art de Sassoferrato. Originaire des Marches, province voisine de l'Ombrie, l'artiste dut regarder très tôt les exemples de la peinture ombrienne du XVe s. et subir le charme des tableaux archaïsants, fermes et sereins de Pérugin, de Spagna ainsi que des premières œuvres de Raphaël. Une dizaine de tableaux trop rarement cités, de la basilique Saint-Pierre de Pérouse, constituent un ensemble important de copies d'après ces peintres. De ces maîtres, Sassoferrato retient la rigueur d'une composition lisible au premier abord, la pureté du graphisme, la rigidité des personnages, la douceur des paysages et de la lumière. Il existe de nombreuses autres copies d'après Raphaël, Garofalo et Titien. L'influence de Dominiquin sur Sassoferrato se manifeste surtout dans l'application du dessin et dans la pureté des formes, c'est-à-dire par un parti classique qui, dans le contexte du Baroque triomphant de Pietro da Cortona, de Bernin et de leurs élèves, revêt un sens quasi polémique. En outre, les cabinets de Dessins de Windsor Castle et de l'Art Inst. de Chicago conservent un grand nombre de dessins de Sassoferrato, le plus souvent des études préparatoires de composition et de détail, soigneusement mises au carreau, qui révèlent chez leur auteur des qualités de dessinateur hors de pair. Mais le Classicisme de Sassoferrato est sublimé dans un purisme archaïsant, grâce auquel il atteint souvent à des résultats qui semblent très voisins des expériences ultérieures des préraphaélites du XIXe s. La production de l'artiste peut se diviser en trois catégories : les tableaux d'autel, les petits tableaux de piété et les portraits ; la distinction entre la première et la deuxième étant parfois arbitraire, puisque Sassoferrato reprend, dans un plus petit format, des personnages copiés de ses plus grandes compositions. Sassoferrato aurait pu, par le jeu des commandes publiques, remplir les églises de Rome de tableaux d'autel. Il n'en a pas été ainsi, pour avoir encouru la défaveur du public au début de sa carrière. Parmi les tableaux d'autel, il faut citer l'exceptionnelle Nativité de Naples (Capodimonte), à mi-chemin entre Caravage et Cozza, et l'Annonciation d'Aspra (Casperia), chef-d'œuvre au coloris audacieux ; parmi les grandes compositions, citons la Crucifixion (Urbino, G. N.), la Déploration du Christ (Berlin), les Vierges à l'Enfant (Dublin, N. G., et Londres, N. G.).
C'est principalement aux tableaux de piété que Sassoferrato doit sa notoriété. Il créa deux ou trois compositions que lui et son atelier répétèrent à l'infini, pour répondre aux exigences d'une nombreuse clientèle privée. Les images de piété représentent toujours la Vierge, soit avec l'Enfant et des anges (Brera, et Dresde, Gg), soit seule, figurée en buste sur un fond sombre, la tête inclinée et les mains jointes (Dresde, Gg, et Londres, N. G.). La simplicité de la composition, l'expression d'un sentiment religieux paisible, voire doucereux, la finesse de l'exécution ont assuré leur succès. Sassoferrato exécuta également les portraits de quelques-uns de ses mécènes (Portrait de Mgr Ottavio Prati, Rome, G. N., Gal. Corsini ; Portrait de cardinal, Sarasota, Ringling Museum), qu'il est intéressant de comparer aux portraits de Dominiquin. Il fut méconnu de ses contemporains, et ce à tel point que, quelques années à peine après sa mort, on pensait généralement qu'il avait été un contemporain de Raphaël.