Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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réalisme socialiste

Doctrine artistique soviétique exigeant du créateur " une représentation véridique et historiquement concrète de la réalité dans son développement révolutionnaire. Il doit en particulier contribuer à la transformation idéologique de l'éducation des travailleurs dans l'esprit du socialisme ". Les débuts du Réalisme socialiste remontent à 1918 : au lendemain de la victoire, le Comité central du parti bolchevique qui préconise la création d'un " art réaliste de propagande révolutionnaire et compréhensible pour les masses ". Après 1920, les attaques contre la gauche artistique se manifestent avec une nouvelle vigueur ; la Pravda publie des colonnes entières contre les " élucubrations abstraites d'inspiration petite-bourgeoise ". Dans cette atmosphère de polémique, de nombreuses organisations artistiques cherchent à répondre à l'appel du parti : le groupe N. O. J. (Novoe Obchtchestvo Jivopistsev), avec G. G. Riajski à sa tête, préconise " la création d'une nouvelle peinture, en s'appuyant sur la tradition et en utilisant les formes les moins modernistes, donc les moins dangereuses " ; le groupe Bytje (P. P. Kontchalovski et V. Kouprine) souligne sa vision matérialiste du monde et l'importance du sujet traité. L'année 1922 apporte, avec la naissance du groupe A. H. R. R. (Association des artistes de la Russie révolutionnaire, devenue ensuite Association des artistes de la révolution), une nouvelle interprétation de l'art. Les membres de l'A. H. R. R. se donnent comme tâche de présenter d'une manière à la fois artistique et documentaire l'aspect solennel des grandes transformations intervenues après la révolution d'Octobre. Les sujets l'emportent alors sur la forme : la vie quotidienne (forcément heureuse) des paysans et des ouvriers, la vaillance des soldats de l'armée rouge, les portraits des chefs du parti — toute une gamme de thèmes baptisée dans son ensemble " le réalisme héroïque ". La tradition artistique des Peredvijnki, dont beaucoup de peintres de l'A. H. R. R. sont issus, est, grâce à son rôle éducatif, aussitôt remise à l'honneur par Lounatcharski (commissaire du peuple à l'Instruction publique). Soutenus officiellement par les autorités, les artistes de l'A. H. R. R. mènent une lutte impitoyable (et finalement victorieuse) contre de nombreux courants de l'avant-garde. Ainsi commence le règne d'un nouvel art, dont une des vocations est de montrer l'attachement du peuple soviétique à ses chefs. Un des plus éminents artistes de l'A. H. R. R., Ysaak Brodski, peint, en 1918 déjà, plusieurs portraits de Lénine ; son exemple est aussitôt suivi par A. M. Guerassimov (Lénine sur la tribune, 1929, Moscou, Tretiakov Gal.), S. Malioutine (Portrait de Fourmanov, 1922, id.), N. Andreev (Portrait de Staline, 1922, id.), ainsi que par B. W. Ioganson (l'Interrogatoire des communistes, 1933, id.) et E. Katzman. Un autre sujet prédominant est l'épopée révolutionnaire et l'éloge fait à l'armée rouge ; M. Grekov peint en 1925 son fameux tableau Tatchanka (id.), K. P. Petrov-Vodkine donne en 1928 une image symbolique de la révolution, la Mort du commissaire (Moscou, musée central de l'Armée), A. Deïneka chante l'élan révolutionnaire (la Défense de Petrograd, 1928, id.). La beauté de la patrie inspire également de nombreux artistes comme Youon, Y. Machkov, B. Yalkovlev, A. Arkhipov. Jusqu'en 1933, l'A. H. R. R., tout en demeurant l'organisation artistique privilégiée, doit néanmoins accepter l'existence des autres. Mais, le 23 avril 1933, le Comité central du parti publie le décret sur l'" unification des organisations littéraires et artistiques ", créant de la sorte des syndicats uniformes. La grande exposition rétrospective des quinze ans de l'art soviétique est préparée aussitôt après : elle doit démontrer le succès de la nouvelle méthode et aider encore davantage à sa cristallisation. L'introduction, désormais officielle, de l'expression Réalisme socialiste et la formulation théorique de ses prémisses, élaborée par M. Gorki, ouvrent une nouvelle étape : les artistes doivent " servir les idéaux du parti communiste et contribuer de cette façon à la construction du socialisme ". Assujettie à des fins politiques, la peinture soviétique reste alors jusqu'en 1955 un instrument efficace pour propager le " culte de la personnalité ". Les œuvres de cette époque, exécutées avec un soin minutieux des détails, sont également limitées dans leur sujet. Les thèmes dominants sont en effet d'une monotonie exemplaire : la campagne enfin heureuse après la collectivisation (S. Guerassimov, la Fête au kolkhoze, 1937, Moscou, Tretiakov Gal.), la vaillance et la vigilance de l'armée (S. Tchouïkov, À la frontière, 1938, Saint-Pétersbourg, musée des Cultures orientales), les portraits des chefs d'État — parmi lesquels Staline occupe la place prépondérante (Guerassimov, Portrait de Staline, 1935, Moscou, Tretiakov Gal.). La guerre, en exaltant le nationalisme russe, fait revivre sur les toiles le passé militaire glorieux (N. Oulianov, Koutouzov, 1945, id. ; P. Korine, Alexandre Nevski, 1943, id.) lié à l'effort présent (G. Nisski, la Défense de Moscou, 1942, Moscou, ministère de la Culture ; V. Obincov, Stalingrad, 1943, musée de Riga ; A. Deïneka, la Défense de Sébastopol, Saint-Pétersbourg, Musée russe ; S. Guerassimov, la Mère du partisan, 1943, Moscou, Tretiakov Gal.). Après 1955, la " conception schématique et doctrinale de la méthode du Réalisme socialiste " est stigmatisée, au bénéfice d'une interprétation plus souple et plus libre. Une nouvelle recherche des solutions formelles peut alors se manifester (par exemple chez G. Korjev, P. Smoline ou D. Jilinski). Néanmoins, la doctrine du Réalisme socialiste demeure toujours la seule méthode artistique admise officiellement en U. R. S. S.

réalité (peintres de la)

Expression fréquemment employée pour désigner des artistes qui s'inspirent du spectacle de la vie quotidienne sans le tirer vers le réalisme caricatural ni le transposer sur le mode héroïque, et plus particulièrement ceux du XVIIe s. français.

   Elle prend place dans l'histoire de l'art avec l'ouvrage de Champfleury (lui-même romancier réaliste) les Peintres de la réalité sous Louis XIII. Les frères Le Nain, mais elle ne devient d'usage courant qu'en 1934, à partir de l'exposition organisée à l'Orangerie des Tuileries par Paul Jamot et Charles Sterling, autour des Le Nain et de Georges de La Tour, et intitulée " les Peintres de la réalité en France au XVIIe s ". L'expression fut alors reprise par diverses expositions et divers livres (Philippe Erlanger, 1946), et parfois tirée vers le XVIIIe s. (Ceruti), voire l'art contemporain (néo-réalistes), mais rarement employée à propos des caravagesques italiens ou des petits maîtres flamands.

   D'ordinaire, elle reste circonscrite à l'art français du XVIIe s. Malheureusement, l'approfondissement des études en ce domaine conduit de plus en plus à en limiter l'emploi. Elle qualifie de façon juste un des aspects principaux de cet art durant les deux premiers tiers du XVIIe s. et définit fort bien, comme le disait Paul Jamot en 1934, " une famille d'esprit ". Mais elle confond avec une facilité dangereuse des courants très divers : mouvement caravagesque (Valentin, Tournier, La Tour), inspiration burlesque symétrique, comme en littérature, de l'inspiration précieuse (Lallemand, estampes de Lagniet), peinture de genre plus ou moins liée à la bamboche italienne (Bourdon) ou aux développements nordiques (Le Nain, Michelin), nature morte (Linard, Moillon), portrait (Champaigne), paysage (Claude Lorrain). Enfin, elle contribue à fausser de nombreux problèmes (Baugin peintre de natures mortes, Stella portraitiste). Après avoir joué un rôle efficace dans la réhabilitation du XVIIe s. français, elle apparaît limitée désormais à la vulgarisation, et ne saurait prétendre à s'établir parmi les catégories reçues de l'histoire de l'art.