portrait (suite)
Le XVIIe siècle : les rapports individu-État-vie sociale
Le portrait au XVIIe s. incarne les rapports de l'individu avec l'État : portrait de cour dans les monarchies de France, d'Angleterre et d'Espagne, portrait bourgeois et collectif en Hollande. L'influence du portrait flamand royal, décoratif, de grand format, est internationale à travers Van Dyck et Rubens. Enfin, des techniques nouvelles voient le jour : la gravure assure une plus grande diffusion des modèles (Thomas de Leu, Claude Mellan, Nanteuil, artistes eux-mêmes, ou Michel Lasne et Gérard Edelinck, divulgateurs). Le portrait flamand du XVIIe s., inspiré du portrait vénitien, est en général un portrait en pied, de coloris chaud, présentant un personnage entre rideau, colonne et paysage. Les portraits de Rubens sont à la fois portraits de cour et portraits intimes (Hélène Fourment, Louvre), dont la technique, très souple, surprend par son audace et dont l'inspiration fougueuse est romantique (Isabelle Brant, Washington, N. G.). Van Dyck, peintre de cour, a tendance à idéaliser davantage et à harmoniser les portraits par une coloration nacrée ; sa peinture est un écho aussi bien de la noblesse génoise que de la société raffinée de la cour anglaise : Charles Ier (Louvre) est une interprétation pleine d'aisance du modèle mis au point par Mytens (le roi debout, un peu décalé à côté de son cheval, dans un grand paysage). Ce type de portrait dans un paysage fera école durant tout le XVIIIe s. anglais.
En France, le portrait sévère de la première moitié du XVIIe s. fait place à un style plus opulent. Au début du XVIIe s., il faut reconstruire la nation après les dommages des guerres de Religion : l'appel aux talents décide des Flamands à venir travailler en France, et la gloire du souverain va croître. Dans un style réaliste, grave et monumental, Pourbus (Henri IV ; Marie de Médicis, 1610, Louvre) élargit son métier flamand précis, aux couleurs légèrement acides et à la matière émaillée. Philippe de Champaigne, de formation flamande lui aussi, assouplit sa technique pour peindre, avec superbe et séduction, Richelieu " orateur pérorant sa propre cause devant l'histoire " ; il crée le type du portrait janséniste strict, dans la tradition nordique, en buste presque monochrome, noir sur fond neutre et dont toute la vie est celle de l'âme (Portrait d'homme, Louvre, dit autrefois Portrait d'Arnaud d'Andilly). Un art d'importation flamande fleurit à Toulouse grâce à J. Chalette dans ses portraits collectifs des Capitouls (musée de Toulouse). Au milieu du XVIIe s., le portrait va revêtir un aspect plus officiel avec les effigies d'apparat des grands dignitaires du régime : Turenne par Nanteuil, Séguier par Le Brun (Louvre). La réalité est toujours scrupuleusement observée (Autoportraits de Poussin), et des recherches psychologiques raffinées se font jour dans les portraits d'hommes rêveurs de Sébastien Bourdon (le présumé Fouquet de Versailles, l'Homme aux rubans noirs du musée de Montpellier). Dans la seconde moitié du XVIIe s., les perruques, draperies et fastes de Versailles se reflètent dans les portraits de Mignard, peintre de la femme et de l'accessoire, de Rigaud, peintre fastueux de la réalité " posée " (Louis XIV, Louvre), et de Largillière, plus sensible au mouvement. À côté de ce style pompeux, la province baroque trouve ses interprètes : Rivalz à Toulouse ou Lafage à Lyon (dessins). La transition vers le XVIIIe s. est annoncée par un goût croissant pour le mouvement et les couleurs gaies : Largillière dans ses portraits de groupe, Vivien dans sa technique nouvelle et rapide du pastel.
Le XVIIe s. est la plus riche période du portrait hollandais. Les marchands néerlandais sillonnent en maîtres les mers lointaines, et le pays s'enrichit. Le goût du portrait s'épanouit dans ce pays protestant où toute peinture religieuse est bannie ; le portrait est bourgeois, soit individuel, soit collectif et quelquefois de caractère ; le style se limite quasiment à une monochromie brun-noir, et les fonds sont neutres. Les portraits individuels ou de famille, sortes de portraits-souvenirs, sont très nombreux et évoluent depuis les figures droites un peu figées de Cornelis de Vos, Pot, Soutman, Mierevelt et Ravesteyn (ces deux derniers sont portraitistes de la famille d'Orange) jusqu'aux figures plus mobiles de F. Hals, Verspronck, G. Netscher, Van der Helst. Les portraits collectifs connaissent leur plus grand développement au XVIIe s. et sont l'expression des rouages de la cité : corporations pour le commerce (Rembrandt : Syndic des drapiers, Rijksmuseum), université (Rembrandt : Leçons d'anatomie du professeur Tulp ou Leçon du professeur Deijman), milice (Rembrandt : la Ronde de nuit, Rijksmuseum) ; nombreuses Compagnie d'arquebusiers de Saint-Georges et de Compagnie Saint-Adrien de F. Hals à Haarlem de 1616 à 1639 ; les Hospices et leurs régents (du même peintre, 1664, Haarlem, musée Frans Hals). Deux personnalités émergent : Frans Hals — que suit J. Leyster —, par la puissance de la forme, la nouveauté de la technique et l'audace de certains portraits de caractère (Bohémienne, Louvre ; Malle Babbe, musées de Berlin), et Rembrandt, par la puissance de son imagination et la ferveur de sa quête de l'âme du modèle. En Angleterre, des étrangers fondent un style : Mytens, flamand, crée v. 1620 le portrait du roi en pied avec son cheval, bientôt repris par Van Dyck ; Honthorst sera aussi peintre de cour. Vers 1650, des talents autochtones se révèlent : W. Dobson, au talent grave, énergique, ou R. Walker, précis et un peu sec. À la fin du XVIIe s., sir Peter Lely, d'origine hollandaise, est le peintre des femmes de la cour de Londres, auxquelles il confère un charme diaphane particulier ; Wright est le portraitiste officiel du roi, et Dahl celui de la reine.
Dans l'Espagne du XVIIe s., le portrait reflète le mysticisme, le réalisme picaresque et la monarchie : le portrait divin de Zurbarán, le portrait de genre de Ribera (Pied bot, 1652, Louvre) et de Murillo, le portrait de cour de Velázquez, que l'influence italienne a peut-être éloigné du portrait flamand rubénien ; Velázquez va peindre à la gloire de la royauté dans une technique très libre et un style héroïsé (le Duc d'Olivarès et Balthazar Carlos, Prado) ou simplement somptueux pour la famille royale : il sera imité par Carreño de Miranda, dans un style plus sec, et Sánchez Coello, qui exploite une palette plus chaude.
Le XVIIIe siècle : vie de société
Le XVIIIe s. est la période de l'expansion française à l'étranger : la France exporte le portrait de cour, figure en pied, parée comme une poupée, située dans un cadre raffiné ; la philosophie et l'esprit français pénètrent, à partir des auteurs de l'Encyclopédie, dans toutes les cours des despotes éclairés. On observe aussi un enrichissement de la sensibilité avec la théorie sensualiste de Locke et de Condillac, qui mène au portrait dit " au naturel ", sous l'influence anglaise. Le goût pour le portrait augmente au point que l'on dépose des brevets pour obtenir celui-ci mécaniquement soit par le procédé de la chambre noire (utilisé dès le XVIIe s.) ou de la silhouette, soit au moyen du physionotrace ; des mesures économiques et législatives sont prises pour limiter le nombre des portraits au Salon (en 1699, ils représentaient déjà le tiers de l'ensemble des tableaux exposés). En France, à la suite de Rigaud et de Largillière, le portrait officiel est pratiqué par les Van Loo, de Troy et, avec plus de simplicité, par Raoux et Grimou. Le XVIIIe s. est le siècle de la femme, que célèbrent des portraits allégoriques (Nattier : la Duchesse de Chaulnes en Hébé, Louvre), d'apparat (Boucher : Madame de Pompadour, Munich, Alte Pin., Tocqué : Marie Leczinska, Louvre), ou intimes (Boucher : Mademoiselle O'Murphy, Munich, Alte Pin.). Si Aved, Nonotte et Drouais se consacrent au portrait de cour international, la grande originalité du XVIIIe s. est le portrait psychologique, qui évoque le brio de la vie de salon, rend compte de la mouvance de l'être saisi dans une technique rapide, le pastel. M. Quentin de La Tour réduit les visages à un regard, à un sourire (Mademoiselle Fel, musée de Saint-Quentin, et Autoportrait, musée d'Amiens) ; il est suivi par J.-B. Perronneau, qui procède d'une manière encore plus moderne, par larges raies obliques et rencontres de couleurs (Abraham Van Robais, 1769, Louvre), et Boze. On peut aussi classer dans les portraits psychologiques les rapides et arrogantes figures de Fragonard. Au cours du XVIIIe s., la simplification des goûts et le désir d'intégrer l'individu dans son univers expliquent les portraits d'artistes en négligé, les nombreux portraits de chasseurs dans un paysage (Autoportrait de Desportes, Louvre) et les portraits de genre de Chardin (Enfant au toton, Louvre) et de Lépicié. À la fin du XVIIIe s., une certaine sensiblerie fait augmenter le nombre de portraits d'enfants, et l'essor de la bourgeoisie fait le succès de Duplessis ; enfin, une mode nouvelle apparaît chez Vestier, Ducreux, Danloux, Roslin, Wertmuller ; elle est déjà presque néo-classique avec Mme Vigée-Lebrun, dont les figures, monumentales, se distinguent par leur sentimentalité de celles, plus nerveuses et lumineuses, de Mme Labille-Guiard.
Le XVIIIe s. en Angleterre est placé sous le signe de l'art de Van Dyck et du Préromantisme ; il s'ouvre sur les personnages à mi-corps, en mouvement et aux perruques poudrées, de Kneller (Membres du Kit Cat Club), puis Hogarth crée un style original et autonome : portrait reportage (Sarah Malcom, Édimbourg, N. G.) et portrait réaliste (Capitaine Coram, Londres, New Foundling Hospital), pendant que les " conversation pieces " de Mercier, qui apparaît comme une contribution anglaise au style rococo, présentent des portraits de groupes de petites dimensions, dans un intérieur ou en plein air, inaugurent une tradition qui se poursuivra avec A. Devis et Zoffany. Enfin, le type du portrait anglais du XVIIIe s., peint au naturel, en pied et dans un paysage, est traduit dans un style vigoureux, aux couleurs chaudes, par J. Reynolds (Lady Cockburn et ses enfants, Lord Heathfield, Londres, N. G.) ou avec un lyrisme plus frais par Gainsborough (Mrs Simpson assise, id.). Ramsay fut peut-être le créateur d'un genre adopté, avec des solutions diverses, par Romney (Lady Hamilton), Raeburn et Lawrence (la Reine Charlotte, 1789, Londres, N. G.), dont se rapprochent Hoppner et les miniaturistes Cosway et Engleheart. Aux États-Unis, à côté de la peinture d'importation européenne, avec Stuart, les Pearl, Trumbull et Earl, se développe la peinture naïve autochtone, aux formes plates et au dessin incisif dans des coloris frais.
Ailleurs, la vogue du portrait est moins grande : l'Italie est surtout la terre des décorateurs ; signalons les " conversations " de P. Longhi, les portraits au pastel de Rosalba Carriera (Portrait de jeune fille, Paris, Louvre), au métier un peu lourd mais dont le succès fut immense et détermina la vogue internationale du pastel, enfin le style sophistiqué, un peu lisse de P. Batoni (Rome), et de A. R. Mengs ; il faut mentionner aussi, à Bergame, les effigies chaleureuses de Ghislandi. En Allemagne et en Suisse, l'influence rococo fut grande sur Pesne, Mercier, Zick, Chodowiecki. Les deux grandes gloires de l'époque sont des maîtres attirés par le portrait psychologique : Liotard en Suisse, l'original voyageur de Turquie (Autoportrait et Madame d'Épinay, Genève), qui pratiqua aussi beaucoup le pastel, et Anton Graff en Allemagne (Autoportrait, Dresde, Gg). Le style néo-classique connaît deux aspects : glacé chez Mengs et préromantique chez A. Kauffmann et Tischbein (Portrait de Goethe, Francfort, Städel Inst.). En Espagne, au début du XVIIIe s., prévaut l'influence du portrait de cour international d'origine française, avec Jean Ranc et M. A. Houasse, puis d'origine italienne, avec Mengs ; enfin, le portrait de genre est représenté avec bonheur par Luis Paret y Alcazar, alors que le portrait proprement dit est superbement incarné par Goya qui met au point un type de figure en pied, isolée, sur fond neutre, dans une technique de glacis nacrés (La Tirana, Madrid, Acad. S. Fernando ; la Marquise de Pontejos, Washington, N. G.).