Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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fleurs (suite)

Hors de France

Du XVIIIe s. italien, retenons Margarita Caffi, peintre de Crémone, dont le style, de forte influence flamande, plut à la cour tyrolienne des archiducs d'Autriche, et Francesco Guardi. Ce dernier se mit à la peinture de fleurs sous l'influence de son frère Antonio et de Gaspar Lopez, suiveur de Belvedere, qui apporta de Naples au début du siècle les derniers reflets de la peinture de fleurs napolitaine. Ses Fleurs sont placées à l'air libre, libérées de la pénombre des ateliers du Nord. La légèreté du coup de pinceau, la transparence des couleurs annoncent les libertés picturales du siècle suivant et font de Franscesco Guardi le plus grand peintre italien de fleurs.

Le XIXe siècle

Presque tous les artistes ont pratiqué la nature morte, et les " spécialistes " sont moins nombreux qu'aux siècles précédents. L'histoire de la nature morte et de la peinture de fleurs se confond avec l'histoire générale de la peinture.

Le début du siècle. Classicisme, Romantisme et Réalisme

La tradition de la peinture de fleurs se poursuit grâce aux élèves des Spaendonck et des Redouté, qui incarnent la tradition classique. La présence des artistes flamands et néerlandais à Paris est plus que jamais importante au XIXe s. avec les nombreux élèves de ces derniers (Van Dael, Van Pol). Le succès des livres de botanique, les collections d'aquarelles de fleurs du Muséum, les commandes fréquentes des manufactures sont le témoignage de la vitalité de ce courant, jusqu'au second Empire. Parmi ces élèves, il y eut beaucoup de femmes peintres, pour qui la peinture de fleurs représentait un art d'agrément.

   La peinture de fleurs " romantique " est principalement le fait de Géricault et de Delacroix. Si, du premier, on sait qu'il peignit des fleurs, sans que nous en conservions les traces, sur Delacroix, par contre, nous sommes mieux informés. Il définit lui-même l'originalité de ses aspirations : " J'ai essayé de faire des morceaux de nature comme ils se présentent dans les jardins, seulement en réunissant, dans le même cadre et d'une même manière un peu probable, la plus grande variété de fleurs " (lettre à Constant Dutilleux). Comme Delacroix, Diaz donne à ses fleurs vigueur et lyrisme.

   Deux peintres surtout illustrent la peinture de fleurs à Lyon, un des centres provinciaux les plus vivants du siècle dernier (les fabriques de soieries devaient susciter de nombreux talents). A. Berjon, au début du siècle, fut professeur, pour la fleur, à l'École des beaux-arts de cette ville. Simon Saint-Jean, un peu plus tard, peignit, à la Daniel Seghers, des guirlandes votives entourant des images de piété et des fleurs dont l'art s'adaptait parfaitement au décor de la soie.

   Vollon et Bonvin rappellent, au siècle des Goncourt, l'amour de la nature morte néerlandaise du XVIIe s. ; Courbet a peint des fleurs à deux moments de sa vie, à l'époque d'un voyage en Saintonge (1862-63), et pendant et après son emprisonnement à Sainte-Pélagie, en 1871. En Saintonge, il peint des fleurs en plein air, fortement maçonnées dans des couleurs vives, superbe évocation de l'abondance végétale. Les fleurs de la deuxième période sont plus intimes et lyriques.

   En 1861, un peintre venait de travailler dans l'atelier de Courbet, Fantin-Latour ; il devait être un des plus grands peintres de fleurs du XIXe s., celui en tout cas qui s'est le plus souvent adonné à ce genre. Certaines années, il ne peignit que des fleurs. Disposées dans un simple récipient de verre, elles se détachent sur un fond gris délicatement travaillé qui suggère l'atmosphère. On a dit de ses fleurs qu'elles étaient une édition féminine de celles de Courbet.

L'Impressionnisme et la fin du siècle

Avec les peintres impressionnistes, la nature morte prend un nouvel éclat. Compromise d'une certaine façon, puisque l'objet devient moins important que l'atmosphère qui l'entoure et que disparaît cette belle méditation sur la vie silencieuse, elle gardera en fait son importance. La peinture de fleurs est installée en plein air, puisque le peintre veut étudier l'intensité de la lumière selon la position du soleil ; les fleurs vont devenir autant de taches colorées, " accidents nécessaires à des jeux de clarté ".

   Les impressionnistes et les peintres rattachés à ce mouvement eurent des attitudes différentes devant la peinture de fleurs. Manet peignit une quinzaine de bouquets, surtout des roses et des lis, dont la présentation simple, dans un vase, illustre son sens moderne du réel ; la forme est suggérée par des indications rapides. L'art de sa belle-sœur, Berthe Morisot, se rattache plutôt à celui de Corot et à ses harmonies grises ; celle-ci peignit des dahlias, des roses trémières et des jonquilles, qui s'épanouissent dans une atmosphère vibrante et reflètent une discrète harmonie. Contrairement à plusieurs peintres impressionnistes, pour qui l'immobilité des objets offrait une possibilité plus grande d'observation, la nature morte était pour Monet, homme d'extérieur, un genre secondaire. S'il n'a pas peint souvent des fleurs en soi, elles sont présentes dans ses paysages. De 1880 à 1882, période qui suivit la mort de Camille, il peignit des fleurs, dont les Tournesols (1881, Metropolitan Museum), œuvre puissante et lyrique qui annonce les tableaux de Van Gogh.

   Renoir, en revanche, aimait peindre les fleurs et les utilisait souvent (de plus en plus à la fin de sa vie), disposées çà et là dans des compositions plus vastes ou prises en elles-mêmes comme sujets. Il s'est expliqué sur les fleurs, qui se prêtaient à ses recherches : " Quand je peins des fleurs, je pose des tons, j'essaie des valeurs hardiment, sans souci de perdre une toile. Je n'oserais pas le faire avec une figure, dans la crainte de tout gâter ; et l'expérience que je retire de ces essais, je l'applique ensuite à mes tableaux. "

   Monticelli a peint dans un certain isolement, mais a influencé la formation des deux artistes qui ont déterminé le sort de la peinture moderne, Van Gogh et Cézanne. On sait que Van Gogh copia ses fleurs et que Cézanne admira ses natures mortes.

   Van Gogh a peint des bouquets, souvent avec une seule sorte de fleurs, gerbes d'iris, tournesols, roses blanches. Pour la décoration de sa chambre, il eut l'idée d'une série de panneaux de tournesols sur des fonds jaunes et bleus. À l'inverse des tableaux de fleurs impressionnistes, où les plantes sont des taches de couleur sans forme, celles-ci sont très soigneusement étudiées dans leur tracé et individualisées.

   C'est surtout à l'époque de son contact avec les impressionnistes que Cézanne peignit des fleurs : 12 bouquets en cinq ans, de 1872 à 1877, puis 15 jusqu'à sa mort, dont 5 inachevés. S'il a peint assez peu de fleurs, c'est sans doute que son amour de solides constructions, alliées à des recherches d'harmonie, ne pouvait s'accommoder d'objets qui s'altèrent rapidement.

   La nature morte est aussi prétexte au rêve : elle devait inspirer quelques symbolistes, dont Redon. La représentation des fleurs a été pour lui, cas unique dans la peinture, un des moyens de traduire ses théories de la ligne et de la couleur. Que ses bouquets soient composés de fleurs réelles des champs ou de fleurs inconnues des botanistes, ils étonnent toujours par le rythme inattendu des couleurs, la qualité irréelle du ton, qui garde toute la virginité de pigment fraîchement écrasé, l'arabesque des contours et évoquent de " grandes taches flottantes et incertaines qui paraissent sur le point de s'abolir dans le fond ".

   Il faut aussi évoquer le rôle du décor floral dans l'ornementation graphique née ou issue de l'Art nouveau, de la rose de Mackintosh au chrysanthème de Mondrian, des fleurs vénéneuses de Beardsley à la rose de P. Iribe et aux somptueuses mosaïques végétales de Klimt.

Le XXe siècle

Cézanne avait mis en valeur l'objet, il a eu en cela un rôle précurseur si l'on songe à l'amour que porteront à l'objet les cubistes et les surréalistes. Les différents mouvements, les tendances, qui se succèdent, traduisent une accélération de la peinture. Presque tous ont pratiqué la peinture de fleurs. Parmi bien d'autres, deux artistes ont illustré le genre avec un spécial bonheur, Bonnard et Matisse. Bonnard place ses fleurs des champs dans un cadre d'exaltation domestique et les peint avec son esprit de bonheur bourgeois. La fleur est partout dans les œuvres de Matisse, de la Desserte, Harmonie rouge (1908, Moscou, musée Pouchkine) à la Branche de prunier, 1948 (fond vert), dans ses tableaux d'intérieur et de fleurs dans un intérieur. Matisse, passionné par la beauté propre des couleurs et leurs rapports entre elles, a toujours peint des fleurs, qu'il les traite dispersées, en arabesques colorées, ou réunies, flamboyantes. Le monde d'amour et de bonheur onirique de Chagall se pare souvent de bouquets allégrement brossés qui envahissent la composition.

   Parmi les surréalistes, c'est Max Ernst qui a le plus souvent peint des fleurs fantastiques grâce au procédé du frottage (Fleurs de coquillages, 1929, Paris, M. N. A. M.). Après la Seconde Guerre mondiale, la nature morte de fleurs a cessé d'être un sujet stimulant pour les artistes créateurs, même si l'imagerie s'en perpétue chez des artistes qui répètent des formules existantes.

   La fleur, symbole populaire d'amour et de paix, retrouve cependant un regain d'intérêt chez des artistes pop ou nouveaux réalistes (Warhol, Wesselmann, Raysse, Klein) : agrandie ou multipliée à l'infini, elle est prétexte à des déploiements de couleurs. Irrémédiablement absente dans les Pots de fleurs de Raynaud (Paris, M. N. A. M.), ou morte dans les herbiers de Gette (Paris, M. N. A. M.), elle suscite toujours sensations ou réflexions.