émail et peinture (suite)
La fin du XVIe siècle et la décadence
La seconde moitié du XVIe s. voit se prolonger la fabrication de pièces de types désormais traditionnels, telles les grisailles. Mais, à partir de 1560-1565 env., la mode de la polychromie réapparaît avec force, une polychromie qui ne prouve pas seulement un attrait nouveau pour la peinture (alors que la grisaille prouvait le goût de la gravure), mais surtout un attrait nouveau pour la joaillerie : souvent, sous l'émail translucide, sont placés des " paillons ", lamelles d'or destinées à accroître l'éclat de l'émail. Au début du siècle, l'émail peint voulait rivaliser avec la peinture. À la fin du siècle, il veut en surpasser l'effet. Pierre Courteys est encore capable d'une certaine discrétion. Sa génération voit triompher l'emploi des vignettes empruntées aux Quadrins historiques de la Bible de Bernard Salomon, édités par Jean de Tournes à Lyon pour la première fois en 1553.
Avec Suzanne Court, rien véritablement ne retient plus l'émailleur : ses émaux étincellent. Mais petit à petit se rompt le lien entre l'évolution des arts graphiques et celle, très ralentie, des émaux peints. Pourtant, des émailleurs comme le Maître I. C. sont encore en contact avec la cour royale. Mais cela ne suffit plus, d'une part parce que, pendant les guerres de Religion, la Cour ne constitue plus un centre artistique créateur, et d'autre part parce que les chefs d'atelier, trop souvent absents des ateliers limousins, n'y ont plus un rôle personnel dominant. En 1580, Bernard Palissy stigmatise le déclin des émaux, dont il constate le peu de valeur marchande.
Bientôt, l'émail va le plus souvent cesser d'être translucide. L'étain est mêlé à toutes les couleurs, qui sont alors sans éclat et qui vont servir à peindre des images pieuses particulièrement insipides, même si les Limosin, les Court, les Laudin réalisent encore parfois une belle pièce.
Le XIXe siècle
Au XIXe s., des historiens de l'art se muant en artisans vont tenter de redonner vie à cet art mort. Louis Bourdery et Claudius Popelin sont parmi les plus célèbres de ces pasticheurs, dont l'habileté technique est prodigieuse et qui se vantent que l'on puisse confondre leurs œuvres avec les chefs-d'œuvre du XVIe s. En réalité, nous sommes frappés de leur tendance à s'inspirer de la peinture, qu'elle soit flamande (comme le prouve cette Vierge à l'Enfant d'un triptyque du musée de Limoges, par Louis Bourdery), qu'elle soit italienne et plus ou moins raphaélesque. L'œuvre de Grandhomme se veut donc beaucoup plus originale : comme il n'est pas limousin, cette tradition provinciale s'impose à lui beaucoup moins fortement, même lorsqu'il s'inspire des Jeux d'enfants de Couly Nouailher. Quant à ses copies de tableaux de Gustave Moreau, elles sont tout à fait originales.
La miniature sur émail en France et à Genève
Le XVIIe siècle
La miniature sur émail appartient à une technique différente de celle de l'émail peint, dans la mesure où toutes les couleurs sont opaques, car l'étain y est mêlé ; ces couleurs sont posées avec un pinceau et non plus avec une spatule : l'émail peut alors rivaliser avec la peinture sur ivoire.
Félibien date de 1632 et attribue à Jean Toutin la découverte de cette technique. De celui-ci, on sait qu'il était capable de créer lui-même des gravures. Et à cette époque on faisait sans doute de l'émaillerie à Blois. Mais le premier des grands miniaturistes sur émail est Petitot. En Angleterre, il a dû entrer en contact, plus qu'avec Van Dyck, avec les petits maîtres miniaturistes sur parchemin que sont les Hilliard, Oliver, Hoskins. Mais en France, il copiera aussi les grands peintres, tels Mignard, Le Brun, Ph. de Champaigne, Honthorst. Il meurt en Suisse en 1691, surnommé le " Raphaël de l'émail ".
Petitot donne donc ses lettres de noblesse à un art qui paraît devoir rechercher par sa nature même le charmant, le petit, mais qui se met souvent dans le sillage de la grande peinture : un Charles Boit copie la Charité, d'après Jacques Blanchard, Vénus et Cupidon, d'après Luca Giordano. L'un des plus importants des ateliers, établi à Genève dans la seconde moitié du XVIIe s., celui des Huaud, ne craint pas la répétition des mêmes modèles : il copie sans cesse les Métamorphoses d'Ovide, l'Histoire de la Bible. Mais cela n'enlève aucun charme aux objets que les Huaud exécutent.
Le XVIIIe siècle
Cette tradition franco-genevoise se poursuit au XVIIIe s., et un homme comme Diderot n'est pas sans l'apprécier : dans son Salon de 1761, à propos de l'Accordée de village, de Greuze, il écrit : " Un homme riche, qui voudrait avoir un beau morceau en émail, devrait faire exécuter ce tableau de Greuze par Durand, qui est habile, avec les couleurs que M. de Montany a découvertes. Une bonne copie en émail est presque regardée comme un original, et cette sorte de peinture est particulièrement destinée à copier... ", les émailleurs ne s'en privent pas.
Un reçu pour une commande de 15 émaux destinés à Catherine II de Russie et exécutés par J.-H. Hurter, daté de 1787, montre quelles étaient les œuvres que l'on aimait alors à copier : Ariane abandonnée, d'après A. Kaufmann ; l'Hiver, d'après Rosalba ; le Cardinal Infant, d'après Rubens ; Henri IV, d'après Pourbus ; la Vierge, d'après Guido Reni. Ces petits objets sont donc de véritables témoins de l'évolution du goût pour telle ou telle peinture.
Le XIXe siècle
Sous l'Empire, la technique de la miniature connaît un regain de faveur, essentiellement en Suisse : Soiron peint par exemple en émail un Portrait de Mme Récamier, d'après Gérard. Il copie aussi des émaux, dont ceux de Petitot. Quant à S. G. Counis, le museo civico de Turin ne conserve de lui pas moins de 18 émaux d'après Corrège, Andrea del Sarto, Rubens, Raphaël, Titien.
Mais les modes passent. La Restauration et le gouvernement de Juillet voient le triomphe de la peinture sur porcelaine et le déclin de la peinture sur émail, limitée à de petites dimensions. Celle-ci devient l'apanage d'artistes féminins, telle Adèle Chavassieu d'Haudebert, qui débute au Salon de 1810 avec la Vierge à la Chaise et Jeanne d'Albret. De 1813 à 1824, elle reproduit 78 tableaux de la galerie Sommariva : ils sont au Castello Sforzesco de Milan. La production devient affaire de quantité. Souvent, les peintres sur émail travaillent pour la Manufacture de porcelaine de Sèvres, sur émail ou sur porcelaine : la concurrence de la Manufacture tue l'artisanat.
La miniature sur émail anglaise
Elle apparaît plus tardivement qu'en France : vers le milieu du XVIIIe s. Par conséquent, elle révèle des goûts différents et, dans la mesure où elle est considérée comme un art français, elle s'inspire beaucoup de la peinture française : les Fêtes champêtres de Watteau (dont le Colin-Maillard, gravé par Brion), le Maître galant de N. Lancret, les Amants de J.-M. Nattier, Pensent-ils au raisin ? et la Belle Aventure de F. Boucher sont des modèles cent fois repris, avec d'innombrables variantes.
Pour les portraits, les émailleurs ne cherchent pas leur modèle sur le continent : Reynolds, Gainsborough, Worlidge, Ramsay, Hoare sont les principaux des peintres dont les œuvres copiées en gravures sont la source des émaux anglais.
En effet, des gravures sont toujours, comme en France depuis le XVIe s., l'intermédiaire nécessaire entre les peintres et les émailleurs : c'est grâce à N. de Larmessin et à J.-P. Le-bas que ceux-ci connaissent Lancret, grâce à R. Purcell et à J. McArdell qu'ils connaissent les portraits de Reynolds, à Le Veau et à F. Vivares qu'ils connaissent les paysages néo-classiques. Certains recueils de gravures tels que The Ladies Amusement, or Whole Art of Japanning made Easy, publié vers 1760, étaient directement destinés aux émailleurs et aux peintres sur porcelaine.
Les Anglais ont créé une technique d'impression mécanique qui permet un éemploi beaucoup plus fréquent des mêmes modèles : les œuvres originales existent, elles sont très peu nombreuses.
Les difficultés économiques de l'Angleterre à la fin du XVIIIe s. ont obligé les manufactures d'émaux à fermer. De toute façon, à cette époque, les méthodes mécaniques de reproduction étaient si perfectionnées que l'aspect, sinon artistique, du moins artisanal, avait disparu.