Boucher (François) (suite)
La vieillesse
Dès 1752, Reynolds, de passage à Paris, constate que Boucher travaille beaucoup " de pratique ". Le peintre, surchargé de commandes, a accumulé un matériel énorme dans lequel il puise ses sujets (il avoue lui-même avoir exécuté plus de dix mille dessins) ; Diderot lui reproche sa facilité et ses coloris (" déflagration de cuivre par le nitre "). À la mort de Mme de Pompadour en 1764, Marigny ne l'abandonne pas et lui confie, en même temps qu'à Deshays, la première commande officielle de goût antiquisant pour Choisy que Boucher doit refuser pour des raisons financières. Le premier peintre continue d'exposer au Salon, bien que le public regarde désormais vers Greuze ou vers Fragonard. Malgré une vue affaiblie, Boucher déploie jusqu'au bout une activité débordante : voyage en Flandre avec Boisset (1766), tableaux religieux (Adoration des bergers, 1764, cathédrale de Versailles), décoration de l'hôtel de Marcilly (1769) et nombreux décors d'opéra (Castor et Pollux, 1764 ; Thésée, 1765 ; Sylvia, 1766). Quelques mois avant sa mort, il est désigné par l'Académie comme associé libre honoraire de l'Académie de Saint-Pétersbourg.
L'art de Boucher
Son génie avait fait de Le Brun le maître de l'art français pour près de quarante ans ; d'emblée, Watteau crée le genre de la fête galante et l'exploite à fond ; Boucher, élève de Lemoyne, qui renouvelle entièrement la peinture d'histoire dans le premier tiers du siècle, et maître d'artistes aussi différents que ses gendres Baudoin et Deshays ou Fragonard, peut-il être considéré comme un chef d'école, alors qu'il survit à son art ? L'importance de son œuvre est pourtant sans égale. Le peintre établit d'abord, dans son hymne à la femme, un nouveau canon parfaitement adapté à la société parisienne, et qui plaira tant à celle du second Empire ; sensible au bonheur intimiste et bourgeois (le Déjeuner, 1739, Louvre), il néglige la tendresse ou une retenue un peu sauvage et ne cherche pas à émouvoir, mais à saisir la beauté épanouie ou le charme piquant (l'Odalisque brune, Louvre ; Hercule et Omphale, Moscou, musée Pouchkine), qui lui vaut à tort la réputation d'un libertin ; il est bien le peintre du bonheur, moins érotique que d'une sensualité raffinée et parfaitement accomplie dans ses dessins : c'est aussi cela qu'il faut voir dans ses scènes mythologiques, qui constituent l'essentiel, voire le meilleur, de son œuvre, et dans ses très beaux portraits plus arrangés que psychologiques (Madame de Pompadour, Munich, Alte Pin.), quand il demeure un paysagiste plein de fantaisie et de charme (Frère Luce, 1742, Ermitage), un grand décorateur (le Repos en Égypte, Ermitage) et l'ornemaniste le plus prodigieux du XVIIIe s., tant imité au XIXe s. et dont l'œuvre incarne l'esprit encyclopédique qui séduit les amateurs de l'Europe du Nord. D'une culture très étendue (il connaît l'œuvre des Vénitiens à Paris et collectionne les tableaux nordiques [vente en 1771]), Boucher sait prouver sa virtuosité dans des esquisses fougueuses, mais dessine avec attention et " finit " ses toiles : il marque toute la fin du siècle, de Fragonard à David, de son goût pour le beau métier et de sa vision d'un monde heureux. Une rétrospective Boucher a été présentée (New York, Detroit, Paris) en 1986.