Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
E

enfants (suite)

Originalité de la peinture d'enfants

La parenté qui peut ainsi s'établir au niveau de l'acte créateur primitif prouve que, loin d'être une plaisante fantaisie, la peinture d'enfants touche aux couches les plus profondes de l'inconscient collectif. Il est important d'insister sur ce fait, mais on ne doit pas oublier pour autant que, indépendamment des différences déjà signalées avec l'art de l'adulte — celui-ci puisse-t-il être taxé de " primitif " —, la peinture d'enfants est riche de trouvailles inédites qui lui appartiennent en propre. Il y a des émotions, des sensations que seul un enfant peut ressentir et exprimer.

   Les phénomènes relatifs à l'expression picturale des enfants sont trop complexes pour être abordés ici dans le détail. Aussi nous bornerons-nous à attirer l'attention sur quelques principes généraux.

   Il faut savoir tout d'abord que, dans ses peintures plus encore que dans ses dessins, l'enfant fait très souvent appel à un répertoire relativement réduit de figures apparemment pauvres. Aussi bien, beaucoup des profanes reprochent-ils aux enfants de manquer d'" imagination " sous prétexte qu'ils font tout le temps des maisons, des bateaux ou des arbres. En réalité, si les enfants ont une prédilection marquée pour certains objets, c'est parce que leurs formes correspondent à des schèmes fondamentaux qu'il est possible de faire servir aux fins les plus diverses.

   Il est évident que la maison et le bateau, pour s'en tenir à ces deux figures classiques, mettent à la disposition de l'enfant un jeu de carrés, de rectangles, de triangles et de trapèzes dont il est possible de varier à l'infini les rapports et les proportions en fonction des problèmes spatiaux, des sensations corporelles et des sentiments à exprimer. On sait par exemple que la maison avec son toit, sa porte et ses fenêtres se prête aisément à une personnification qui est d'une autre nature que le portrait.

   Cela ne veut pas dire que les enfants ne soient pas capables de s'attaquer à la représentation du monde extérieur. Ils le font même parfois avec habileté, et c'est cela surtout qui provoque l'attendrissement des adultes. Il faut dire que ce réalisme, assez proche de celui des images populaires et des peintures naïves, est loin d'être dénué de saveur. Mais si les plus doués des naïfs ont plus de possibilités sur le plan artisanal, ils sont généralement privés de cette faculté qu'ont les enfants d'élever à la dignité d'archétypes des détails apparemment choisis pour leur intérêt anecdotique.

   L'un des domaines où l'originalité de l'art enfantin se manifeste très clairement est celui de la couleur. Malgré l'indigence relative des documents dont il disposait, Luquet en avait pour l'essentiel fort bien saisi le caractère en notant que l'enfant faisait appel tantôt au coloris " réaliste ", tantôt au coloris " décoratif ". La pratique de la peinture a permis d'approfondir ces notions et il semble maintenant qu'il vaille mieux parler de couleur conventionnelle et de couleur affective.

   Les enfants peignent par exemple habituellement le ciel en bleu, alors même qu'ils vivent dans un pays où il est le plus souvent gris, et ce n'est pas l'observation qui les conduit souvent à peindre les troncs des arbres en " marron " et les feuilles en vert. Aussi bien, l'intervention éventuelle de ce rapport doit-il être interprété comme une sorte de non-conformisme et non pas comme une représentation d'arbre à feuilles brunes, dont le tronc serait recouvert de mousse. On peut remarquer aussi que la masse des feuilles, surtout lorsqu'elle est figurée par un cercle, est très rarement jaune d'or ou orangé, alors que la beauté des couleurs automnales est généralement très vantée, à l'école en particulier. Au symbolisme des formes correspond donc, dans la peinture d'enfants, un symbolisme de la couleur. Mais, si le dessin se prête malgré tout à des recherches d'ordre intellectuel que l'enfant ne manque pas d'entreprendre, la couleur peut, quant à elle, exprimer ce qu'il y a de plus insaisissable, de plus secret chez chaque individu. L'enfant use de cette possibilité avec une intensité qui le conduit à une grande exigence quant à la qualité de la nuance, alors qu'il se contente presque toujours, pour la couleur conventionnelle, de la teinte mise à sa disposition.

   Bien que certains rapprochements, avec la peinture médiévale en particulier, ne soient pas à exclure, on voit que le système coloré des enfants ne ressemble à aucun autre.

   Chez certains adolescents, chez les filles surtout, la couleur affective tend à devenir l'élément essentiel du tableau. Cette évolution est souvent liée à celle de la matière. La plupart des enfants peignent à l'aide d'aplats, évitant le plus possible de laisser apparaître la trace du pinceau. Mais il arrive aussi que la peinture soit posée en épaisseur, généralement avec les doigts. C'est cette expérience, empreinte de sensualité, qui s'affirme souvent au moment de l'adolescence, donnant ainsi toute sa valeur à la couleur affective.

   La peinture d'enfants tend actuellement à se répandre dans de nombreux pays. En France, de nouveaux ateliers s'ouvrent tous les ans. Les uns sont privés, tandis que d'autres sont liés à des organismes tels que maisons de jeunes, centres sociaux, maisons d'enfants. Certaines écoles nouvelles en possèdent également. Les travaux exécutés dans les ateliers étaient autrefois, au moins en partie, rendus aux enfants. On s'efforce maintenant de les " conserver ". Cette formule permet tout d'abord d'éviter que des tableaux d'enfants ne passent dans le commerce d'art. Certains éducateurs pensent d'autre part qu'il est préférable que les enfants ne soient pas en contact avec leurs travaux récemment terminés, lesquels risquent par ailleurs d'être l'objet de critiques. Enfin, il est nécessaire de disposer, pour l'étude, d'une documentation comprenant des évolutions complètes.

   Il est certain, en effet, que l'expression picturale des enfants ouvre un nouveau chapitre dans le domaine des sciences humaines. Les futurs éducateurs, en particulier, doivent pouvoir en prendre conscience.