Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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plafonds et voûtes (suite)

La Renaissance vénitienne

Peu touchée par le Maniérisme, Venise, au XVIe s., a confirmé l'originalité de son art en élaborant une formule décorative dont cette époque, d'ailleurs, n'offre guère l'équivalent et qui comporte des innovations capitales. On constate d'abord que les voûtes peintes y sont aussi rares que les fresques, sans doute à cause du climat et de l'instabilité des sols ; il ne s'en trouve vraiment que dans les villas de la terre ferme. À Venise même, dans les salles de palais comme dans les églises, c'est le plafond, au sens propre du terme, qui sert habituellement de couverture et, en même temps, de support à la décoratioon peinte. Le plafond vénitien de la Renaissance est en bois, sculpté et le plus souvent doré, avec des caissons profonds, de formes et de dimensions variées, ingénieusement assemblés selon un schéma complexe ; encastrées dans ces caissons, des peintures sur toile ouvrent autant d'échappées sur un monde idéal, peuplé de figures qui répondent à l'exigence de lisibilité, grâce à leur échelle assez grande et au pouvoir de la couleur. En dehors de Venise, il est exceptionnel de voir ainsi la recherche de l'illusion s'accommoder du cloisonnement le plus rigoureux.

   C'est ainsi que les trois sujets bibliques peints par Titien pour le plafond de S. Spirito in Isola, et aujourd'hui dans la sacristie de la Salute, groupent des figures au fort relief qui semblent basculer selon plusieurs directions, afin de suggérer un espace que le spectateur puisse percevoir depuis différents points de vue. Cependant, Véronèse a défini plus complètement le style des plafonds vénitiens. Dans son œuvre, les compositions destinées à des parois, avec leur perspective " da sotto in sù ", qui abaisse la ligne d'horizon, ont déjà vocation à être regardées d'en bas. Le maître n'avait qu'un pas à franchir pour les intégrer au décor des plafonds. Ceux-ci ne sont pas exactement conçus pour la vision verticale, mais pour un spectateur qui les regarde obliquement, comme il est naturel, et qui se déplace depuis l'entrée jusqu'au fond de l'église ou de la salle. C'est pourquoi la composition est organisée selon des points de vue multiples, les figures supposées les plus proches étant celles qui obéissent le plus franchement à la perspective " da sotto in sù ". Quant aux architectures, qui occupent tant de place dans l'œuvre de Véronèse, elles sont aussi représentées en raccourci, et non à plat, ce qui a pour effet de les dresser dans le ciel. La richesse lumineuse du coloris contribue à la satisfaction optique du spectateur. Celui-ci n'a plus à renverser la tête pour lire une composition illogiquement étalée sur la toile ou logiquement soumise à la perspective verticale, mais découvre, au fur et à mesure de sa progression, un monde imaginaire qu'il peut supposer extérieur à l'espace clos par le plafond. C'est ce que démontrent magistralement, à Venise, la nef de S. Sebastiano, où trois épisodes de l'Histoire d'Esther se succèdent dans trois grands compartiments, plusieurs plafonds (ou parties de plafonds) du palais des Doges, notamment celui de la Sala del Collegio, où les Allégories des trois cadres médians ont pour accompagnement des figures isolées dans des caissons secondaires et orientées vers le centre de la pièce, ou bien l'Apothéose de Venise, qui forme un grand ovale au milieu de la Sala del Maggior Consiglio. Moins aérées et moins lumineuses, mais souvent plus dramatiques, les compositions plafonnantes de Tintoret appliquent aussi la perspective " da sotto in sù " et la multiplication des points de vue, comme le montrent l'octogone central de l'Atrio Quadrato, du palais des Doges, la Glorification de saint Roch, peinte en ovale, au-dessus de l'Albergo de la Scuola di S. Rocco, et surtout, dans le même bâtiment, le plafond de la grande salle, où des épisodes bibliques occupent les rectangles de la partie médiane et les petits ovales du pourtour. Dans la Sala del Maggior Consiglio et la Sala dei Pregadi du palais des Doges, les deux Allégories de la puissance vénitienne témoignent d'un parti quelque peu différent et moins inventif : l'étagement des figures du bas en haut d'une ample composition frontale.

   Nous avons noté la présence de fresques dans les villas de Vénétie. L'ensemble le plus remarquable est celui de la villa Barbaro à Maser. Dans le salon central, de forme carrée, Véronèse a conçu un espace encore plus " ouvert " qu'au palais des Doges, en adoptant une perspective plus franchement verticale, car le spectateur est censé se placer au milieu de la pièce. C'est pour la même raison que les figures de divinités, dans l'octogone supérieur, et celles des Éléments, dans les quatre écoinçons des angles, ont une disposition rayonnante. Servant de repoussoir à ce monde céleste, aussi aérien que lumineux, la large voussure, où des personnages apparaissent derrière une balustrade feinte, entre des colonnes torses représentées en raccourci, utilise magistralement les ressources de la " quadratura " au profit de l'illusion.

La première période baroque en Italie

Donnant le ton à d'autres foyers de l'art italien, Rome, au cours du seicento et au début du siècle suivant, a été le théâtre d'expériences prodigieusement nombreuses et variées dans le domaine de la peinture décorative. L'importance des plafonds et, plus encore, des voûtes dans l'Italie baroque s'explique par son goût du faste et de la couleur, sensible dans les palais comme dans les églises, et par le caractère triomphal que l'art né de la Contre-Réforme entendait imprimer aux lieux du culte. Des partis très divers ont été adoptés tour à tour et même simultanément ; si l'on compare cependant les voûtes et les plafonds peints de cette période à ceux du Maniérisme, on relève une tendance générale à abandonner la division insistante des surfaces, à élargir et à simplifier les compositions, à augmenter l'échelle des figures, à renforcer l'illusion de la profondeur, autrement dit à remplacer une esthétique un peu alambiquée par des effets non moins savants, mais plus francs et immédiatement perçus par le spectateur. Entre le type " fermé " et le type " ouvert ", les compromis n'ont certes pas manqué ; c'est toutefois le second, plus conforme à l'idéal baroque, qui a fini par s'imposer.

   Dans la formation du nouveau style, on discerne des influences aussi variées que celles de Corrège, des maîtres vénitiens, de Michel-Ange et de Raphaël, sans négliger l'acquis du Maniérisme. Il faut aussi noter le rôle important des spécialistes, souvent bolonais, de la " quadratura ", qui avaient déjà fixé au XVIe s. les règles de leur art. C'est ainsi que Tommaso Sandrino, à S. Giovanni Evangelista de Reggio Emilia, ou Gian Giacomo Barbelli, à S. Maria delle Grazie de Crema, en Lombardie, ont su dresser au-dessus de la nef un portique en trompe-l'œil qui fait oublier la courbure de la voûte. Longtemps associé à Agostino Mitelli, Michelangelo Colonna a décoré dans le même esprit beaucoup de palais et d'églises, notamment les salles basses du Palazzo Pitti à Florence, de S. Bartolomeo à Bologne. À Rome, Agostino Tassi a collaboré en ce sens avec Lanfranco, Dominiquin et Guerchin.

   Des deux grands courants qui ont animé l'école romaine à l'aube du seicento, celui du Caravagisme et celui des académistes bolonais, le premier est étranger par nature à l'évocation d'un monde supraterrestre ou au moins fabuleux ; mais le second a donné sa mesure dans la décoration monumentale. La première voûte importante de cette époque à Rome est celle de la galerie du palais Farnèse, peinte de 1597 à 1604 sous la direction d'Annibale Carracci. Si cet ouvrage fameux peut être qualifié de " baroque ", c'est par l'ample respiration qui l'anime. Il tient cependant au passé, c'est-à-dire à la Renaissance romaine, par le parti statique qu'il illustre. L'architecture feinte, enrichie de motifs de sculpture en trompe l'œil, y est employée non pour elle-même, comme elle l'aurait été avec les spécialistes de la " quadratura ", mais pour articuler harmonieusement la surface du berceau, dont elle épouse la courbure au lieu de la contrarier par un effet de perspective verticale. C'est dans les compartiments ainsi ménagés — par les seules ressources de la peinture — que s'inscrivent les sujets tirés des Métamorphoses d'Ovide. Chacune de ces compositions a sa perspective propre, peu favorable à l'illusion de la profondeur. Ce sont autant de " quadri riportati ", de tableaux — il s'agit en fait de fresques —, qui gardent un sens si on les détache par la pensée de leur assemblage décoratif et qui n'ont pas leur raison d'être dans la création d'un espace cohérent. Cette fragmentation — plus large cependant que celle des maniéristes — et cette limitation de l'envolée trahissent une tendance classique dont relèvent d'autres Bolonais. Sur la conque de la chapelle S. Silvia à S. Gregorio Magno de Rome (1608), Guido Reni dispose des anges musiciens derrière un balcon garni d'une tenture en trompe-l'œil, sans les échelonner en profondeur. Au casino Pallavicini, sa célèbre Aurore (1613) est le type du " quadro riportato " composé sans aucune recherche de perspective verticale et que l'on imaginerait aussi bien sur une paroi. À S. Andrea della Valle, Dominiquin peint les quatre Évangélistes sur les pendentifs de la coupole et des Scènes de la vie de saint André dans les grands compartiments triangulaires qui divisent la voûte de l'abside, enfermant ses figures dans des limites précises, les rapprochant de la surface au lieu de s'en servir pour suggérer un espace libéré des contraintes de l'architecture. Une même conception inspire des peintres dont les formes peuvent, à d'autres points de vue, appartenir au style baroque. À la cathédrale de Plaisance, les Prophètes de Morazzone et de Guerchin s'inscrivent dans les huit sections rayonnantes de la coupole. À Naples, Stanzione traite en " quadri riportati " des voûtes à S. Paolo Maggiore, au Gesù Nuovo et à la Chartreuse, où travaille aussi dans ce genre Caracciolo. Les églises napolitaines assureront longtemps la survivance du plafond à caissons peints, vite démodé à Rome ; Stanzione en donne un exemple à SS. Marcellino e Festo, et Preti à S. Pietro in Maiella.

   À partir de 1620, une tendance plus spécifiquement baroque s'est imposée à Rome et, par répercussion, dans d'autres foyers de l'art italien. Le dynamisme l'emporte sur l'équilibre observé par A. Carracci, G. Reni et Dominiquin. La fragmentation des surfaces se fait plus discrète ou disparaît même pour laisser s'élargir un champ où l'imagination du peintre peut se donner libre cours. Quand la " quadratura " est employée, ce n'est plus pour isoler les scènes les unes des autres, mais pour servir de repoussoir à la composition figurative et créer un effet ascensionnel. La représentation du sol occupe de moins en moins de place ; les sujets choisis sont ceux qu'il est normal de trouver au-dessus de soi dans les salles de palais ou dans les églises, à savoir des sujets de nature essentiellement céleste, avec des figures volantes ou précipitées. Aussi les thèmes glorieux, profanes comme sacrés, sont-ils à l'honneur. La perspective est spécialement étudiée pour le spectateur qui élève son regard vers la voûte ; tantôt elle est véritablement verticale — aussi demande-t-elle, pour être comprise, que l'on se place à l'aplomb du centre ou d'un point privilégié de la composition —, tantôt, et c'est le cas le plus fréquent, elle est conçue pour une vision oblique, ce qui donne lieu à des raccourcis moins accentués.

   L'importance des vides entre les figures, le dégradé des couleurs et leur luminosité contribuent à alléger la voûte. Le rôle du peintre n'est plus de reporter à la surface de la voûte des compositions qui en soulignent la consistance matérielle, mais de la faire oublier, de l'ouvrir sur un ciel fictif. L'illusionnisme est au bout de ces expériences.

   Rien n'illustre mieux ce qui sépare les deux tendances romaines que la comparaison souvent faite entre l'Aurore de G. Reni et celle que Guerchin peignit de 1621 à 1623 au casino Ludovisi. Une conception dynamique l'emporte ici sur la volonté d'équilibre. Inventé par Tassi, un vigoureux entablement en trompe l'œil exhausse les parois de la salle et éloigne du spectateur le sujet, vu " da sotto in sù ". On voit de même à S. Andrea della Valle les fresques de Dominiquin contraster avec l'Assomption dont Lanfranco orna la coupole (1625-1628). Renouant avec Corrège, cette composition d'un seul tenant multiplie les attitudes des figures, afin d'accroître dans toutes les directions l'effet de profondeur. Mais Lanfranco brise résolument, pour éviter toute impression statique, ce qui reste de régularité annulaire dans les coupoles de Corrège. On le voit affronter de la même façon Dominiquin à Naples, dans la chapelle S. Gennaro de la cathédrale, alors qu'à la chartreuse de la même ville, dans la nef, il revient à la voûte divisée en compartiments ; ceux-ci, il est vrai, sont solidaires les uns des autres grâce à la perspective et évoquent des fenêtres ouvertes sur un espace unique.

   Dans l'évolution des voûtes et des plafonds peints, la Gloire de la maison Barberini ou le Triomphe de la divine providence, peinte par Pietro da Cortona (1633-1639) à la voûte du salon principal du palais Barberini de Rome, marque un tournant décisif. La " quadratura " y reste présente, divisant l'espace en cinq morceaux ; mais elle tend à s'effacer sous les empiétements des figures et des nuages, ce qui rétablit l'unité de la composition. L'apport du peintre réside aussi dans la légèreté qu'il donne à l'ensemble, en entourant les figures volantes d'air au lieu de les assembler en groupes compacts ; c'est un vaste ciel lumineux que le spectateur croit découvrir en levant la tête. Dans les salles des Planètes au palais Pitti de Florence, Pierre de Cortone reviendra aux divisions exprimées par les stucs, mais dans un esprit nouveau, fixant un style de décoration profane qui associe étroitement sculpture et peinture, et dont le succès sera grand, comme l'attestent déjà les collaborateurs et les disciples du maître. Les compartiments, de formes et de dimensions variées, sont agencés de manière à assurer la suprématie du sujet central, de caractère céleste, sur les épisodes annexes qui l'entourent et occupent les retombées de la voûte. La galerie du palais Pamphili, à Rome, offre aussi une surface compartimentée, mais organisée de telle sorte que le regard puisse se déplacer sans effort sur toute la longueur de la pièce. Peint entre 1647 et 1665, l'ensemble décoratif de S. Maria in Vallicella met en œuvre deux partis différents. La Gloire de la coupole et l'Assomption de l'abside s'inspirent des modèles de Corrège et de Lanfranco, avec plus de légèreté, de luminosité et de profondeur. À la voûte de la nef, la Vision de saint Philippe Néri est le sujet d'un " quadro riportato ", mais de vastes dimensions. La perspective de la composition, de type vénitien, est calculée pour un spectateur qui regarde obliquement le plafond, depuis l'entrée. Dans les églises romaines, désormais, on trouvera souvent au milieu de la voûte principale une composition occupant ainsi un grand cadre allongé, dont la forme se fera de plus en plus chantournée.

   D'autres partis inspirent la voûte des SS. Domenico e Sisto (1674-75), où la " quadratura " de Haffner accompagne habilement et éloigne du sol une Glorification de saint Dominique, peinte avec beaucoup de légèreté par Domenico Maria Canuti, ou celle de la galerie du palais Colonna (1675-1678), où Giovanni Coli et Filippo Gherardi ont appliqué une perspective héritée de Véronèse à des compositions articulées selon un schéma qui rappelle celui de la galerie Pamphili. Bientôt, cependant, Baciccio, avec l'Adoration du Nom de Jésus peinte à la voûte du Gesù (1674-1679), provoquera une nouvelle révolution en faisant déboucher le courant le plus baroque de l'école romaine sur l'illusionnisme. La composition est présentée dans un cadre allongé et arrondi aux deux bouts, forme devenue fréquente à Rome, mais des figures volantes s'en échappent pour venir se mêler à celles qui sont modelées en stuc sur le pourtour. L'espace imaginaire fait ainsi irruption dans l'espace matériel de l'église. La voûte paraît s'ouvrir réellement sur un ciel où d'autres figures, échelonnées en profondeur, selon un axe oblique, entraînent le regard dans un tourbillon de couleur et de lumière qui exprime l'aspiration à l'infini.

   Il était donné au père Andrea Pozzo de conduire le courant baroque à son triomphe. Son invention a été de fondre dans une vision unique et harmonieuse le trompe-l'œil de la " quadratura " et l'espace céleste, auquel Pierre de Cortone et Baciccio avaient donné toute sa profondeur. Pozzo dessine l'architecture feinte avec une science absolue de la perspective zénithale, mais il la transcende par un dynamisme qui emporte le spectateur dans un monde imaginaire. À S. Francesco Saverio de Mondovì, en Piémont, la coupole centrale était de profil écrasé ; Pozzo la soulève idéalement par un portique qui se redresse quand on le voit d'un point déterminé et qui s'ouvre sur une Gloire de saint François Xavier occupant un ciel circulaire, mais décentré par rapport à l'ensemble, afin que celui-ci donne une impression de mouvement. À l'abside de la même église, les figures du Baptême des infidèles par saint François Xavier animent une balustrade et un portique dont le rôle est de contrarier par leur verticalité feinte la courbe de la demi-coupole, de dissoudre le support matériel de la vision. Un effet analogue se remarque à l'abside de S. Ignazio à Rome. Mais c'est la voûte de la nef de cette église (1691-1694) qui porte à son comble l'illusion. L'espace de l'architecture réelle, celui de l'architecture simulée et celui du ciel ouvert sont unis par la même force ascensionnelle, qui emporte aussi les figures échelonnées, dont l'ensemble symbolise la mission rédemptrice de l'ordre des Jésuites. L'œil ne discerne plus où s'arrête la construction réelle, où commence l'édifice cyclopéen qui prolonge l'espace pénétré d'air et de lumière, jusqu'à une hauteur vertigineuse, à condition d'être vu du point privilégié pour lequel est calculée la perspective. La " quadratura " n'a plus pour rôle de délimiter des champs où les scènes puissent s'inscrire ; elle s'associe étroitement au sujet représenté, les figures peuplant l'architecture et la percée centrale qu'elle fait déboucher sur l'infini. Appelé à Vienne en 1703, Pozzo simulera une coupole au centre de la voûte qui couvre la nef de l'Universitätkirche ; au plafond principal du palais Liechtenstein, il peindra un Triomphe d'Hercule dont les figures volantes, distribuées par groupes plus ou moins compacts, habitent le ciel ouvert au milieu d'un portique qui continue en raccourci les parois du salon, sur tout le pourtour, et qu'il faut aussi embrasser d'un point fixe. Ces travaux viennois de Pozzo auront un grand retentissement dans le monde germanique.

   Face aux prouesses de l'illusionnisme, une réaction classique se dessine à Rome vers la même époque. Carlo Maratta s'en fait le promoteur. Son Triomphe de la Clémence, peint en 1674 au palais Altieri, occupe strictement un grand " quadro riportato " formant plafond à la partie supérieure de la voûte ; sans bannir le raccourci, les figures sont étagées d'une extrémité à l'autre de la composition, au lieu d'obéir à une perspective zénithale. Cette formule de compromis sera souvent appliquée à la décoration des voûtes d'églises, comme en témoignent Giacinto Brandi à S. Carlo al Corso (1674), Baciccio lui-même, assagi et refroidi, aux SS. Apostoli (1707), Sebastiano Conca à S. Cecilia (1725). Ce baroque tempéré donne plus d'importance à la distribution harmonieuse des pleins et des vides qu'à la profondeur et au mouvement.

   On retrouve cependant en dehors de Rome d'importantes manifestations de la tendance qui fait triompher le type " ouvert ". À Gênes, par exemple, une brillante école de décorateurs, représentée principalement par Valerio Castello, Domenico Piola, la dynastie des Carlone, les Ferrari, s'emploie à donner un air de fête aux églises, surtout celle de l'Annunziata, et aux appartements des palais. Ces décorateurs possèdent un art qui associe souvent la " quadratura " d'origine bolonaise, qu'ils pratiquent avec une science particulière, à l'espace lumineux et coloré de Pietro da Cortona. Formé à Gênes, Baciccio transmettra à Rome le fruit de leurs expériences.

   Avec Dominiquin et Lanfranco, Naples avait bénéficié des apports bolonais et romain. La veine baroque de son école inspire dans la seconde moitié du XVIIe s. l'œuvre immense de Luca Giordano, dont la carrière déborde d'ailleurs largement le cadre de la ville. À la voûte de l'abbatiale de Montecassino (1697), aujourd'hui détruite, les épisodes de la vie de saint Benoît occupaient encore, au milieu d'un décor de stucs, des compartiments bien délimités, de forme alternativement rectangulaire et ovale, et n'appliquaient pas vraiment la perspective plafonnante. Au Carmine de Florence, la coupole de la chapelle Corsini, peinte vers 1680, montre une composition céleste d'un seul tenant, mais encore très dense et assemblant les figures en cercles superposés. C'est avec la voûte de la galerie du palais Médicis (Riccardi), dans la même ville, que Giordano donne sa mesure et propose un nouveau type de décoration, on ne peut plus " ouvert ". La " quadratura " est abandonnée, et l'approfondissement de l'espace est confié à des moyens purement picturaux. La composition, qui a pour sujet une Allégorie à la gloire des Médicis, se développe sur toute la surface du berceau et des deux lunettes terminales, en effaçant les divisions par le libre jeu des formes ; elle est d'une unité parfaite et est conçue pour que le regard puisse l'embrasser dès l'abord, mais aussi se déplacer selon les angles les plus divers. Le sol apparaît sur tout le pourtour, portant des figures dont le raccourci, modéré, est étudié pour une vision oblique et qui forment sur les quatre côtés une sorte de frise capricieuse, mais continue. Tout le reste est livré à la représentation de l'espace céleste, où les figures, soumises à la perspective zénithale, évitent, par l'irrégularité savante de leur distribution, de suivre une direction privilégiée. Ainsi, quel que soit le point de vue choisi par le spectateur, la composition reste lisible. Ce qu'offraient déjà les coupoles, avec la facilité procurée par leur courbure continue, on le trouve maintenant adapté à l'espace allongé d'une galerie. Sauf sur les bords, les vides tendent à l'emporter sur les pleins, les figures animant le ciel sans le charger ; il en résulte une grande légèreté, à laquelle contribue l'éclat lumineux du coloris. L'abandon de la " quadratura ", l'unité de la composition, la multiplicité des points de vue, la densité plus grande sur le pourtour, à sujet terrestre, que dans l'espace central, la tendance à l'allégement, la luminosité, définis ici, se retrouvent généralement dans les autres grandes compositions de Giordano : à l'Escorial les voûtes de l'église, en berceau mais traitées comme des coupoles, et surtout l'immense gloire céleste peinte vers 1692 au-dessus du grand escalier ; à la cathédrale de Tolède, l'Apparition de la Vierge à saint Ildefonse, qui orne la voûte allongée de la sacristie ; à la chartreuse de Naples, le Triomphe de Judith, que montre la voûte carrée de la chapelle du Trésor (1704). Après Giordano, le baroque napolitain trouvera son chef de file en Francesco Solimena, qui adopte le type " ouvert " sans l'audacieuse amplification de son devancier, comme le prouve le Triomphe de la foi, qu'il peint en 1709 à la sacristie de S. Domenico Maggiore, dans une percée figurant au sommet de la voûte.