symbolisme (suite)
Le Symbolisme suisse
Les symbolistes allemands et autrichiens ont fortement marqué l'école suisse, qui est, pour cette période, très importante, avec des artistes formés à Vienne ou à Munich : Arnold Böcklin, barbare lyrique, fut hanté sans cesse par les mêmes thèmes héroïques ou mystérieux, chers au poète Carl Spitteler (Vestale, ca 1874, Darmstadt, Hessisches Landesmuseum) et par les mêmes angoisses solennelles (l'Île des morts, 1880, musée de Leipzig). Il aimait aussi peindre le peuple libre et sensuel des chèvre-pieds, des tritons et des centaures (Jeu de vagues, Munich, Neue Pin.) et exalter la puissance de la vie (Regarde ! la prairie est en joie, 1887, Darmstadt, Hessisches Landesmuseum). Son élève Albert Welti mêlait à une inspiration littéraire un goût certain du folklore montagnard (le Voyage de noces, 1896-1898, Zurich, Kunsthaus).
Hodler découvrit le Symbolisme après 1880 et traduisit sa méditation philosophique par des lignes sinueuses et des formes découpées, par des teintes claires jusqu'à l'évanescent (Eurythmie, 1895, musée de Berne). Il se servit souvent de la répétition rythmique pour accentuer encore le monumentalisme de ses compositions (le Jour, 1900, id.). Il influença Ernst Bicher et Félix Vallotton, qui fut aussi sensible à un certain dépouillement où jouent seules la ligne nette et la couleur crue (l'Enlèvement d'Europe, 1908, id.) et dont les sujets étranges furent parfois proches du Surréalisme. Augusto Giacometti, par contre, s'attacha à transposer sa rêverie en subtilités graphiques qui mettent l'accent sur le côté décoratif de l'œuvre (la Nuit, 1903, Zurich, Kunsthaus).
Les symbolistes slaves
Des tentatives artistiques spiritualistes apparurent aussi en Hongrie avec Rippl-Ronai (Jeune Fille à la rose, 1898, Budapest, G. N. H.), en Pologne avec Jacek Malczewski (le Tourbillon, 1893-94, musée de Poznań) et Jozef Mehoffer (le Jardin étrange, 1903, musée de Varsovie) ou en Tchécoslovaquie avec Jan Preisler, peintre, poète et illustrateur (le Lac noir, musée de Prague), et František Kupka, aux si curieuses évocations légendaires, orientales ou ésotériques (l'Âme des lotus, 1898). Comme Kandinsky, ce dernier délaissa rapidement le Symbolisme pour l'Abstraction. Les peintres russes, profondément marqués par l'intériorité pascalienne des romans de Tolstoï ou de Dostoïevski, très attachés à leur folklore national, inspirés par la musique de Rimski-Korsakov, se groupèrent étroitement et contribuèrent à la célébrité de la revue Mir Iskousstva (1898-1904). V. Vasnetzoff, Nicolas Roerich, Alexandre Benois et Ivan Bilibine s'intéressèrent à la création des Ballets russes de Serge de Diaghilev, pour lesquels Léon Nicolas Bakst réalisa des rideaux de scènes, des costumes et des décors féeriques (le Grand Eunuque, pour Schéhérazade, 1910, musée de Strasbourg). Plus visionnaire, Mikhaïl Vroubel, influencé par le Démon du poète Lermontov, oscille entre la tentation du désespoir et le lyrisme (le Démon terrassé, 1902, Moscou, Tretiakov Gal.).
Le Symbolisme italien
Déjà, dans les années 1860-1870, il existe chez les Macchiaioli une attirance vers le symbolisme du silence et de l'instant suspendu. On retrouve cette atmosphère de vide et de solitude dans les œuvres symbolistes socialisantes d'Angelo Morbelli (le Noël des oubliés, 1903, Venise, Galleria d'Arte Moderna) et dans les paysages alpins pointillistes de Giovanni Segantini. Attiré aussi par le fantastique symbolique, il les peuple de formes hallucinées accrochées dans les arbres (les Infanticides, 1894, Vienne, K. M.) ou d'apparitions éthérées (l'Ange de la vie, 1894, Milan, G. A. M.). Ses recherches marquèrent fortement Gaetano Previati, divisionniste inspiré, qui participa au Salon de la Rose-Croix, puis, en 1902, à l'exposition de la Sécession de Berlin (le Repos, id.), et Giuseppe Pellizza da Volpedo, aux allégories plus sentimentales (Espérance déçue, 1894). Sous les auspices de la revue Il Convito (1895-1898), à laquelle collaborait le grand romancier symboliste Gabriele D'Annunzio (la Ville morte, 1898), Nino Costa orienta le mouvement " In arte libertas " vers une imitation fidèle du style et de l'inspiration des préraphaélites anglais ; et Giulio Aristide Sartorio se rapprocha de Rossetti, dont il compliqua les recherches (la Diane d'Éphèse, 1897, Rome, G. A. M.). Les artistes participent aux revues Hermes, Novissima, Leonardo et Il Regno et s'inspirent du symbolisme littéraire : Adolfo de Carolis évoque en figures amples et structurées les poèmes de Giovanni Pascoli, Alberto Martini réalise après 1900 ses illustrations cruelles et démentes d'Edgar Poe tandis que la maison Alinari propose en 1899-1900 un concours pour l'illustration de la Divine Comédie. Le sculpteur Adolfo Wildt dessinait des visions religieuses stylisées et élégantes, d'une spiritualité un peu larmoyante et Felice Casorati, aux curieuses toiles émaillées (Voie lactée, 1914), était très influencé par les fantasmes colorés de Klimt, que Vittorio Zecchin imitait avec un sens aigu du coloris et de la matière (Salomé). Il est intéressant de souligner que le Symbolisme italien s'est développé fort tardivement, après la Première Guerre mondiale, alors que les autres pays d'Europe se tournaient vers l'Abstraction, le Postcubisme ou le Surréalisme.
En Espagne, le Symbolisme hante les fêtes nocturnes de Hermenegildo Anglada Camarasa, les rêveries de Juan Brull Viñoles et les allégories mystiques de Julio Romero de Torres (le Retable de l'Amour, Barcelone, M. A. M.), mais se tourne très vite vers l'Art Nouveau de l'école de Barcelone. Il trouvera ses chefs-d'œuvre dans la période bleue de Pablo Picasso.
Graveurs anglais et groupe des Quatre
En Angleterre, de nombreux artistes, comme R. Stone, F. Mariott, J. E. Southall ou Norman Wilkinson, marqué par les errances d'Oscar Wilde et d'Edgar Poe, transformèrent les rêveries préraphaélites en toiles d'un Symbolisme académique qui ne manque pas d'intérêt. Ils subirent aussi l'influence de Moreau (Arthur Rackham, Andromède) ou de Klimt (Keith Henderson, illustrations pour le Roman de la Rose, 1911).
L'artiste écossais Charles Rennie Mackintosh, au sein du groupe des Quatre, qui réunissait à Glasgow sa femme Margaret MacDonald-Mackintosh, sa belle-sœur Frances MacNair-MacDonald et le mari de celle-ci, réalisa des œuvres décoratives d'une stylisation géométrique très poétique, bien différente de l'Art nouveau français et parente des recherches de la Sécession (Hiver, 1895, Glasgow, Hunterian Art Gal.). Ces artistes s'attachèrent au raffinement de la matière et des couleurs, à la revalorisation d'un celtisme poétique (Margaret MacDonald, le Jardin de Kysterion, 1906, id.). Le graveur anglais Aubrey Vincent Beardsley, esprit pernicieux et sardonique, dessinait à la plume des personnages fantastiques et cruels (Salomé, illustration pour Oscar Wilde), parfois caricaturaux, originaux jusqu'au Surréalisme. Il a édité de fort belles affiches d'un graphisme audacieux (A Comedy of Sighs, Avenue Theatre, 1894). Il fut imité par Annie French (les Sœurs laides, Édimbourg, Scottish National Gallery of Modern Art) et par l'Américain Bradley (affiche pour The Chap-Book).
La même inspiration se retrouve en effet dans les œuvres de certains artistes américains, qui, à New York, reflétèrent les trouvailles symbolistes européennes. Ralph Albert Blakelock, Albert P. Ryder et James Hamilton sont plus singuliers que symbolistes, mais Elihu Vedder s'avère un illustrateur plein de sentiment (Muse de la Tragédie, 1899, Washington, National collection of Fine Arts). Si Edwin Austin Abley se tourne vers les thèmes préraphaélites (la Quête du Saint-Graal, 1895-1901, Boston, Public Library), Thomas Dewing préfère les figures de femmes mélancoliques (les Jours, 1887, Hartford, Connecticut, Wadsworth Atheneum) et Abbot Thayer les allégories évanescentes (l'Ange, ca 1889, Smithsonian Institution). James McNeill Whistler exécuta des tableaux éthérés aux subtiles harmonies de lumières (Nocturne en bleu et or, Londres, Tate Gal.) et des décors très proches de la Sécession (la Chambre des paons, 1876-77, Washington, Freer Gal.).
Le Symbolisme est donc un mouvement international qui, s'appuyant sur la littérature, a marqué tout l'art moderne comme avaient pu le faire les découvertes sensorielles de l'Impressionnisme. Tel le Maniérisme international de la fin du XVIe s., il a été partout le témoin de l'angoisse des intellectuels et des artistes devant un monde déjà dominé par la science et la machine et d'où fuyait Dieu. Il s'est souvent exprimé dans des évocations pessimistes, des spiritualités décadentes ou des débordements d'effets décoratifs. Il a ouvert la voie aux recherches des surréalistes, aux jeunes filles glaciales et aux hommes effarés du Belge Delvaux, aux architectures étouffantes de l'Italien Giorgio De Chirico, aux montres molles de l'Espagnol Salvador Dalí. Le Surréalisme sera un avatar psychanalytique du Symbolisme, centré sur l'insolite, l'objet figé chargé d'angoisse. Il ne s'agit plus dès lors de traduire les rêves éveillés des sensibilités aiguisées, mais de décrire le peuplement incohérent et incontrôlable du sommeil et de l'inconscient.
Si le culte du symbole a quelque peu favorisé les élucubrations de Dada, le Symbolisme synthétique de Gauguin ou de Klimt, mêlant l'esprit à la quintessence du décoratif, a aussi marqué le chemin des recherches abstraites de Kandinsky, de Klee ou de l'Orphisme.