fêtes et peintres (suite)
Fastes médicéens. De Vasari à Jacques Callot
L'entrée de Léon X à Florence, en 1515, est marquée par l'abondance des architectures dressées dans toute la ville et par leur inspiration antiquisante : les arcs de triomphe, pyramides, statues colossales de dieux-fleuves entrent définitivement dans le répertoire ornemental, que la France ne tardera pas à emprunter à l'Italie. La portée de cette innovation est capitale dans l'histoire de l'architecture ; en ce qui concerne les fêtes, elle entraîne une intervention plus importante des architectes et des sculpteurs. Mais elle n'est pas sans conséquences pour les peintres : désormais ils auront souvent à réaliser des " bas-reliefs " en trompe l'œil, sur les socles, piédroits et frontons des monuments de carton-pâte masquant la façade d'un palais ou fermant la perspective d'une rue pavoisée. C'est par des travaux de ce genre que le jeune Vasari, en 1530, fait à Bologne, pour le couronnement de Charles Quint, ses débuts dans un domaine où il va passer maître : lorsque l'empereur vient à Florence six ans plus tard, Vasari a la direction des travaux. Il a de nombreux assistants et confie à Tribolo les entreprises les plus délicates. Il n'en travaille pas moins lui-même nuit et jour à décorer les étendards et les arcs de triomphe. Celui que Tribolo élève en 1539 à la Porta a Prato pour le mariage de Cosme Ier de Médicis avec Éléonore de Tolède est " couvert d'histoires et de figures " exécutées par Ridolfo Ghirlandaio et Battista Franco, tandis que Bronzino peint les exploits de Jean de Médicis dans des compositions " imitant le bronze " sur le socle du monument équestre, haut de 12 brasses (près de 6 m), érigé par Tribolo place Saint-Marc à Venise. En 1564, lors des funérailles grandioses que l'Accademia del Disegno fait à Michel-Ange dans l'église Saint-Laurent, c'est en grisailles que sont peints tous les panneaux évoquant sur le catafalque et les murs de la nef sa vie, ses vertus, ses grandes réalisations de peintre, de sculpteur et d'architecte. Vasari et Bronzino, conseillés par don Vincenzo Borghini, en sont les principaux responsables avec Ammanati, Benvenuto Cellini s'étant retiré parce qu'il jugeait insuffisante la place donnée aux allégories de la sculpture par rapport à celles de la peinture. L'année suivante, Borghini et Vasari sont chargés de célébrer avec éclat le mariage de Francesco de Médicis avec Jeanne d'Autriche, fille de l'empereur Ferdinand et sœur de Maximilien. Sur tout le parcours du cortège se dressent des arcs de triomphe dédiés tour à tour à la gloire de la dynastie impériale et à celle des Médicis, à l'Autriche et à la Toscane, à la Religion, à la Paix. Tous les artistes de l'Académie y travaillent sous la direction de Vasari, et parmi eux Bronzino, Santi di Tito, Federico Zuccaro, Jean de Bologne. Vasari imagine également les costumes d'une mascarade sur le thème des Métamorphoses des dieux, donnée pour le carnaval, dans le cadre des fêtes du mariage. Celles-ci inaugurent toute une série de fastueuses célébrations florentines, qui sont à la fois des manifestations de prestige et un moyen de gouvernement, car " il ne suffit pas, dit Borghini, que les gens vivent dans l'aisance et la tranquillité, il faut encore qu'ils soient heureux et contents ".
Dans ce contexte, le rôle des peintres est parfois accessoire, sauf quand ils sont aussi architectes, écrivains et courtisans, comme Vasari. De plus, dans les programmes savamment élaborés, les parties qui leur reviennent sont généralement les " histoires " exaltant les mérites du héros de la fête, vivant ou mort. Aux sculpteurs, les statues allégoriques ; aux architectes, les restitutions antiquisantes. L'intérêt de ces réalisations éphémères est aussi de nous éclairer sur un climat, sur un mode particulier de collaboration entre artistes (le Maniérisme y connaît une forme d'expression privilégiée), et parfois de nous révéler un aspect de leur talent, de leur personnalité qui nous échapperait sans les comptes rendus établis quand les lampions sont éteints.
De plus, les illustrations destinées à en conserver le souvenir ont été souvent confiées aux auteurs mêmes de ces décors provisoires, telles les gravures de Jacques Callot, qui, durant tout son séjour à Florence, de 1614 à 1621, partage avec Giulio Parigi la responsabilité d'organiser tournois, mascarades et spectacles. Elles nous en donnent une idée peut-être idéalisée, mais fidèle en tout cas à l'intention du peintre, au style qu'il a voulu donner à l'ensemble. Parmi les esquisses conservées, certaines sont des préparations pour les planches gravées, beaucoup sont des projets —de Zuccaro, Santi di Tito, Cigoli et autres — pour les décors eux-mêmes.
Peu à peu, cependant, les fêtes à Florence deviennent surtout l'occasion de représentations théâtrales, pour lesquelles on fait appel à des metteurs en scène spécialisés. Avec les projets de décors et de costumes dont ils sont chargés, la collaboration des peintres prend une autre forme, qui sera étudiée plus loin.
Cette évolution est plus facile à suivre à Florence, parce que les fêtes y sont plus fréquentes, plus brillantes, plus longuement commentées aussi par les écrivains attachés à la cour des Médicis, qui ne se lassent pas d'insister sur la supériorité de leur ville en ce domaine. Mais toutes les villes d'Italie ont connu les triomphes à l'antique, les squelettes drapés de noir, les déguisements et les " machines " extraordinaires. Vasari lui-même ne limite pas son activité à Florence : en 1550, il organise à Rome les fêtes données par le banquier Altoviti en l'honneur du pape Jules III, nouvellement élu. En 1530, à Mantoue, Giulio Romano, " qui n'avait pas son pareil, dit encore Vasari, pour l'invention des architectures provisoires, arcs de triomphe et décors de comédie ", montre à Charles Quint, " frappé de stupeur et d'admiration, la mascarade la plus fantastique et les costumes les plus extravagants qu'on ait jamais vus ".
La Renaissance en France. Peintres français et peintres italiens
En France, les entrées royales de la Renaissance prennent un caractère nouveau par l'unité de style et d'inspiration que leur donnent les programmes élaborés par les humanistes. Dans l'histoire de la peinture au sens strict, elles sont importantes parce qu'elles reflètent les fluctuations que connaît la faveur respective des artistes français et des artistes italiens. En 1531, pour l'entrée à Paris de la reine Éléonore, Guillaume Budé choisit les thèmes à illustrer, mais cette tâche est confiée à des artistes italiens. En 1540, pour accueillir Charles Quint à Fontainebleau, Jean Cousin collabore avec Rosso et Primatice (Rosso fit également des dessins de costumes pour des mascarades, dont nous pouvons imaginer l'originalité d'après les estampes de Boyvin). Mais, pour l'entrée d'Henri II à Paris en 1549, toute l'équipe engagée est française, tant pour la conception que pour l'exécution : Jean Martin et Dorat donnent les idées, Philibert Delorme, Jean Goujon, Charles Dorigny et Jean Cousin construisent et décorent les portiques, arcs de triomphe, obélisques, désormais de rigueur en France comme en Italie. Parmi les décors de " plate peinture " figure une Lutetia nuova Pandora, " les cheveux épars sur les épaules et au demeurant tressés à l'entour de sa tête d'une merveilleuse bonne grâce ", dont nous avons sans doute un écho dans le tableau de Jean Cousin Eva prima Pandora (Louvre), au reste transposition de la Nymphe de Fontainebleau de Benvenuto Cellini. En 1560, Primatice est seul responsable des réjouissances organisées à Chenonceaux en l'honneur de François II : les allusions à la mort d'Henri II — colonnes brisées, cyprès, devises funèbres — se mêlent au répertoire habituel de pyramides et de fontaines, de victoires et de renommées. Mais les beaux dessins de mascarades, comme celui du Chevalier au cygne, conservé à Stockholm (Nm), montrent que le talent de Primatice peut s'exprimer de façon plus originale et plus poétique à l'occasion des fêtes de la Cour. Pour l'entrée de Charles IX à Paris, en 1571, Ronsard et Dorat sont chargés " de la facture et composition de la poésie, ordonnance et devis de la perspective et peinture ". Les sculptures seront de Germain Pilon, les peintures de Nicolò et Camillo Dell'Abate. (L'entrée avait été d'abord prévue en 1569. Des marchés avaient été passés alors avec Antoine Caron. Trois ans plus tard, sa collaboration sera écartée.) La Ville de Paris, offrant un banquet à la reine, commande pour la salle du repas un véritable cycle peint — l'Histoire de Cadmus —, que l'on a comparé à ceux de Mantoue.
Parmi les autres thèmes illustrés, on retrouve une allégorie peinte par Rosso dans la galerie François-Ier, à Fontainebleau : l'éléphant " signifiant la révérence que nous devons à la religion catholique ". Le symbole n'est pas nouveau : en 1454, Olivier de La Marche, à Lille, apparaissait dans une tour placée sur le dos d'un éléphant pour symboliser la sainte Église ; mais il connaît une nouvelle vogue à la faveur des luttes entre protestants et catholiques : un peintre proche de Caron, v. 1585, évoquera avec le Carrousel à l'éléphant une joute opposant les deux partis, analogue à celle qui eut lieu en 1572 pour le mariage d'Henri de Navarre et de Marguerite de Valois (de même, le Chevalier au cygne, qui figure parmi les dessins de Primatice, avait été, cent ans plus tôt, l'une des attractions d'un fastueux " entremets " à la cour de Bourgogne).
Plusieurs tableaux de Caron — Auguste et la Sibylle, le Triomphe du Printemps, le Triomphe de l'Été — doivent avoir été inspirés par des fêtes de cour, cortèges, tournois et fêtes nautiques. Le peintre en était d'ailleurs l'un des organisateurs, tant pour le mariage du futur Henri IV que pour celui du duc de Joyeuse avec Marguerite de Vaudémont en 1581, dont le " clou " fut le Ballet comique de la reine. L'épithalame de circonstance, composé par Jean Dorat, évoque l'activité déployée à cette occasion par " toute l'excellence
Des plus industrieux artisans de la France
Pilon qui ne craindrait un Scopas en sculpture
Et Caron qui défie un Appelle en peinture ".