Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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perspective (suite)

La perspective dans la peinture moderne

On reconnaît généralement en Cézanne le précurseur du Cubisme et, partant, de la peinture moderne. Cela est vrai en un sens, mais on peut se demander s'il n'est pas finalement plus juste de considérer son œuvre comme la géniale et ultime manifestation du drame qui s'était noué au quattrocento.

   Quand le Cubisme reprendra pour son compte les structures cézaniennes, il ne sera plus question de perspective. On peut même dire que le Cubisme analytique constitue l'une des tentatives les plus poussées pour éviter cette sorte de confusion qui risque toujours de se produire, même parfois dans l'Art abstrait, entre le monde réel et le monde imaginaire dans lequel nous introduit le tableau. Dès lors, la perspective ne sera plus véritablement un objet de recherches. Quelle que soit l'admiration que l'on puisse avoir par ailleurs pour cet artiste, il est difficile, par exemple, d'accorder beaucoup d'importance aux allusions faites à la perspective par Paul Klee dans ses Esquisses pédagogiques (1925). André Lhote, quant à lui, dans un chapitre de son Traité de la figure (1950), laisse entendre que les artistes sont libres désormais d'emprunter aux diverses perspectives. Dans l'art moderne, en effet, la perspective débouche sur le problème plus général de l'espace.

   Plutôt que les peintres plasticiens, ce sont donc surtout les surréalistes qui ont continué à s'intéresser à la perspective renaissante à la suite de G. De Chirico, qui découvrit le " rapport troublant " existant " entre la perspective et la métaphysique ". Dans une œuvre de cet artiste, Vaticinateur (1915), on peut voir un personnage assez fantomatique devant un tableau noir où se trouvent des figures de perspectives. Ainsi, au moment même où les cubistes venaient de la détruire et tandis que l'enseignement du dessin en avait fait la grammaire du monde visible dans ce qu'il a de plus objectif et de plus rassurant, la perspective apparaît pour certains peintres comme une sorte de connaissance occulte et inquiétante.

Pérugin (Pietro Vannucci, dit il Perugino, en français le)

Peintre italien (Città della Pieve, Pérouse, vers 1445/1450  –Fontignano 1523).

En 1472, Pietro Perugino est inscrit à la compagnie de Saint-Luc à Florence. En effet, une influence évidente des contours incisifs et nets et du clair-obscur modelé d'Andrea Verrocchio se note dans ses premières œuvres (par exemple dans la Vierge du musée Jacquemart-André à Paris, celle de Berlin ou celle de la N. G. de Londres). Le jeune Pérugin collabore d'ailleurs à une œuvre de l'atelier de Verrocchio, la Crucifixion avec saint Jérôme et saint Antoine de l'église S. Maria et Angiolo d'Argiano, et exécute la Naissance de saint Jean-Baptiste (Liverpool, Walker Art Gal.) probablement pour la prédelle de la Madonna di Piazza, peinte par Verrocchio pour le dôme de Pistoia (apr. 1474). Par rapport à Verrocchio et à ses disciples florentins, on observe cependant chez Pérugin un intérêt plus vif pour la pureté des volumes et la diffusion de la lumière, hérité de Piero della Francesca. Et l'influence de la luminosité et des inventions architectoniques de Domenico Veneziano et de Piero (qui ont tous deux travaillé à Pérouse) apparaît très clairement dans les Scènes de la vie de saint Bernardin (1473, Pérouse, G. N.), toutes exécutées probablement d'après des dessins de Pérugin, mais dont seuls le Miracle d'Aquila et la Guérison d'une jeune fille semblent de sa main.

   La recherche d'un rythme classique, but constant de Pérugin, se fait déjà jour dans son Saint Sébastien entre deux saints (1478, fresque, église S. Maria à Cerqueto), et le meilleur exemple en est fourni par la fresque de la Remise des clefs à saint Pierre (1481-82, Rome, chapelle Sixtine). Ici, d'autre part, l'artiste commence à s'affranchir de l'enseignement de Piero della Francesca avec ses frises de personnages placées sur plusieurs plans, bien détachées du décor lointain, si différentes en somme des figures géométriques de Piero, enveloppées dans un espace profond. Toujours à la chapelle Sixtine, il collabore avec Pinturicchio aux fresques illustrant Moïse voyageant en Égypte et le Baptême du Christ. Une influence des paysages complexes et pittoresques de Pinturicchio se retrouve d'ailleurs dans un Saint Jérôme de Pérugin (Washington, N. G.) ; tandis que c'est sans doute l'art flamand qui inspire le paysage humide, attentivement observé, dans le beau Triptyque Galitzine (Crucifixion entre Saint Jérôme et Sainte Madeleine, id.) ; à ce propos, il faut se rappeler que le triptyque de Hugo Van der Goes, commandé par les Portinari (auj. aux Offices), était probablement arrivé à Florence vers 1483. Avec le Polyptyque Albani (la Nativité avec des saints, 1491, Rome, coll. Torlonia), on observe un nouveau rapport rythmique entre les deux parties bien distinctes de la composition — les personnages et le décor d'architectures —, centrées et symétriques. Cette disposition, très commune dans les cinq années suivantes, période où l'artiste vit et travaille surtout à Florence, revient dans des œuvres comme la Vierge sur un trône entre saint Jean-Baptiste et saint Sébastien (1493, Offices), la Vierge apparaissant à saint Bernard (Munich, Alte Pin.), la Pietà (Offices). La fresque tripartite de la Crucifixion (1493-1496, Florence, église S. Maria Magdalena dei Pazzi) marque au contraire un autre dépassement de cette " profondeur de l'espace " propre à Piero della Francesca : un paysage rythmique, banal, à larges champs souvent sans épaisseur, élimine tout décor à perspectives architectoniques. Et cela amène à la " présentation " simple des personnages, parfois rangés en lignes décalées au premier plan, d'une manière telle que R. Longhi y voit une dérivation des retables en faïence vernissée d'Andrea della Robbia : voir par exemple la Vierge et des saints (Bologne, P. N.), l'Ascension, centre du polyptyque monumental à deux étages de S. Pietro de Pérouse (musée de Lyon ; prédelle au musée de Rouen), les fresques murales du Collegio del Cambio à Pérouse (terminées en 1500), l'Assomption pour l'abbaye de Vallombrosa (1500, Florence, Accademia).

   Dans les dernières années du XVe s., le jeune Raphaël commence à fréquenter l'atelier de Pérugin : il collabore à une œuvre du maître, la prédelle du Retable de Fano (église S. Maria Nuova) et incite Pérugin à préférer au schéma un peu terne des années immédiatement antérieures des formes plus sveltes et plus brillantes : voir les deux Prophètes du polyptyque de S. Pietro (musée de Nantes), la Pietà (Williamstown, Clark Art Inst.), les médaillons de la voûte au Collegio del Cambio.

   L'art de Pérugin, pendant vingt ans encore, conservera un rythme élégant et langoureux, mais la veine est exsangue et l'invention tarie, l'artiste ayant accepté trop de commandes, comme le montrent l'Adoration des mages (1504, Città della Pieve, Oratorio di S. Maria dei Bianchi), le Combat de l'Amour et de la Chasteté pour le studiolo d'Isabelle d'Este (1505, Louvre), les travaux pour le polyptyque, auj. démembré (Déposition de croix, Florence, Accademia ; Assomption, Annunziata ; Saints, musée d'Altenburg), de l'église de l'Annunziata (Florence), commencé par Filippino Lippi (1504-1507), la voûte de la chambre du Vatican (v. 1507) où Raphaël et son atelier peindront ensuite l'Incendie du Borgo, la fresque avec la Nativité (Montefalco, église S. Francesco), les fresques de l'église S. Maria delle Lacrime à Trevi (1521). La fonction historique de Pérugin s'achève dès les premières années du XVIe s. Il est ouvertement critiqué par Michel-Ange, qui le traite de " gougnafier ". Son œuvre eut un rôle important à la fin du quattrocento, car elle diffusa le goût classique en Ombrie (Raphaël), en Toscane (Fra Bartolomeo) et en Italie septentrionale (Francia, Costa). Pérugin ne suivit pas pour sa part ce mouvement, qu'il avait tant contribué à faire naître par ses recherches d'amplitude et de monumentalité.

   Parmi les autres œuvres importantes de l'artiste, on peut citer Apollon et Marsyas (Louvre) et Saint Sébastien, la Déploration du Christ du palais Pitti (1495), la Madeleine (id.), le Triptyque de la chartreuse de Pavie (Londres, N. G.), la Résurrection (Vatican), le Mariage de la Vierge du musée de Caen et plusieurs portraits remarquables : Francesco delle Opere (1494, Offices), Don Biagio Milanesi et Don Baldassare di Antonio di Angelo (id.).

   Pérugin eut de nombreux élèves ou imitateurs, parmi lesquels on peut citer Tiberio d'Assisi, Giannicola di Paolo, Eusebio di San Giorgio et surtout Spagna.