Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Goya (Francisco de) (suite)

Les " Caprices "

L'année suivante, l'artiste mit en vente la suite la plus connue de ses gravures, les Caprices. Elle comprend 80 planches gravées à l'eau-forte, dont les fonds et les ombres sont enrichis de lavis à l'aquatinte, et Goya s'est souvent inspiré de dessins exécutés à Sanlúcar. Le recueil vise l'humanité en général, ses folies et sa stupidité, et constitue une étonnante satire des faiblesses de la condition humaine peint en 1788.

L'apogée du portraitiste

Goya exécute durant la même période le portrait de l'écrivain Moratín (1798, Madrid, Acad. S. Fernando), les deux portraits de la Reine Marie-Louise, en noir avec une mantille et à cheval (Prado), ainsi que le Portrait équestre du roi (id.). Cette exceptionnelle fécondité ne tarit pas les années suivantes. On sait aujourd'hui qu'il a peint avant 1799 la Maja nue pour Godoy et, un peu plus tard, la Maja vêtue (Prado). En octobre 1799, Goya est nommé premier peintre du roi. En 1800, il brosse le magnifique portrait de la jeune et frêle Comtesse de Chinchón (Madrid, coll. du duc de Sueca), habillée de blanc et assise sur un fauteuil. En juin, il commence le grand tableau de la Famille de Charles IV (Prado). Les personnages sont debout dans une salle du palais comme s'ils regardaient quelqu'un poser pour le peintre, à gauche dans la pénombre, près du tableau auquel il travaille, disposition qui rappelle celle des Ménines de Velázquez. La composition est celle d'une frise avec plusieurs groupes de personnages autour de la reine Marie-Louise. De 1800 à 1808, année de la guerre, le talent de Goya portraitiste connaît son apogée : le Prince de la Paix (1801, Madrid, Acad. S. Fernando), le Duc et la Duchesse de Fernán Núñez (1803, Madrid, coll. du duc de Fernán Núñez), le Marquis de San Adrián (1804, musée de Pampelune), Doña Isabel de Lobo de Porcel (1805, Londres, N. G.), Don Pantaleón Pérez de Nenin (Madrid, Banco Exterior), Ferdinand VII à cheval (1808, Madrid, Acad. S. Fernando), commandé juste avant le début du soulèvement de l'Espagne contre les armées napoléoniennes.

   En 1806, un fait divers donne à Goya l'occasion de manifester son intérêt pour le réalisme populaire : la capture du bandit Maragato par le moine Zaldivia. En 6 petits panneaux (Chicago, Art Inst.), cet événement, qui défraya alors la chronique, est restitué avec vigueur suivant une succession de scènes aisément lisibles.

La guerre de libération

La rébellion contre l'occupation française, conséquence de la dissolution de l'Ancien Régime et de la ruine politique et économique de l'Espagne, bouleverse Goya. Tout porte à croire qu'il faisait partie des Espagnols souhaitant pour leur pays des réformes en profondeur. Mais la brutalité de la soldatesque napoléonienne et les cruautés de la guerre aliénèrent tout attachement aux nouveaux représentants politiques. Pris entre deux positions qu'il détestait pour des raisons différentes, Goya passe les années troubles de la guerre dans une situation ambiguë mais on sait aujourd'hui qu'il n'a pas été " afrancesado ".

   Son intérêt se tourne de nouveau vers la gravure. À partir de 1810, il travaille à la suite des Désastres de la guerre, violente accusation contre le comportement des troupes françaises, et, en 1814, il exécute 2 grands tableaux, le Dos et le Tres de Mayo (Prado). Sa palette change alors de ton, les bruns et les noirs y prennent une place plus importante, comme en témoignent les portraits du Général Guye, du ministre Romero, du chanoine Juan Antonio Llorente (musée de São Paulo), de son ami Silvela (Prado). Sont encore plus éloquentes les quelques peintures que Goya conserva chez lui : le Colosse (Prado), le Lazarillo de Tormes (Madrid, coll. Maranon), les Forgerons (New York, Frick Coll.), les Majas au balcon, les Jeunes et les Vieilles (musée de Lille). Entre 1808 et 1810 ont dû être exécutées plusieurs natures mortes (l'inventaire de 1812 en mentionne 12), dont la saisissante Nature morte à la tête de mouton du Louvre.

Après la Restauration (1814-1824)

En mars 1814, le roi Ferdinand VII rentre à Madrid. Goya est lavé de tout soupçon de collaboration et reprend sont activité de peintre officiel. Dans ses portraits royaux (Prado) ainsi que dans d'autres brossés juste après la Restauration (le Duc de San Carlos, musée de Saragosse ; Ignacio Olmuryan, Kansas City, Nelson Atkins Museum), à la gamme dominante des tons sombres s'ajoutent de violentes taches de couleur, rouges, jaunes et bleues. À soixante-neuf ans, Goya peint un Autoportrait (Madrid, Acad. S. Fernando et Prado) et, la même année (1815), l'immense toile de la Junte des Philippines présidée par le roi (musée de Castres). L'idée originelle est empruntée à Velázquez, mais la réalisation est absolument personnelle et l'ambiance sombre du vaste salon a été fidèlement rendue.

Suites graphiques et peintures noires

En 1816, Goya met en vente les 33 gravures de la Tauromachie. La série est l'illustration de l'histoire des courses de taureaux ; Il peint encore des portraits : celui de Mariano, son petit-fils (Madrid, marquis de Lario), celui du Duc d'Osuna, fils de ses protecteurs (musée de Bayonne) et celui de la Duchesse d'Abrantès, sa sœur (Madrid, coll. part.), ainsi qu'une grande œuvre religieuse qui fut très discutée, Santa Justa y Rufina (1817, cathédrale de Séville, esquisse au Prado). À soixante-treize ans, Goya apprend la lithographie, technique alors toute nouvelle (la Vieille filant est datée de 1819). À la fin du mois d'août, la plus importante peinture religieuse de Goya, la Dernière Communion de saint Joseph de Calasanz, était déjà placée à l'autel de l'église San Anton des pères Escolapios à Madrid ; dans cette œuvre émouvante, rien de conventionnel n'apparaît et tout dans l'atmosphère sombre est dominé par l'expression de foi du saint mourant. De nouveau gravement malade, Goya peint un autoportrait avec son médecin Arrieta le soignant (Minneapolis, Inst. of Arts) ainsi que d'autres portraits d'amis. Pendant sa convalescence, comme il l'avait fait autrefois, il grave à l'eau-forte, dont il enrichit la technique par des procédés complexes, l'extraordinaire série des Disparates, ou Proverbes, dans laquelle son imagination traduit les visions les plus mystérieuses et sa fantaisie se donne libre cours. Si leur exceptionnelle beauté frappe toujours, le sens de la plupart des planches nous échappe et leur réalisation est liée à la décoration de sa maison (1820-1822). Goya avait acheté en 1819 une propriété sur les bords du Manzanares (maison du Sourd), aux environs de Madrid, et il en décora deux pièces, le salon et la salle à manger. Ce sont les 14 peintures dites " noires " (Prado), exécutées à l'huile sur les murs. Elles représentent un monde clos, où la hideur sous toutes ses formes se trouve exprimée, et marqué par le mythe de Saturne, symbole de mort et de destruction. Sa compagne Leocadia Weiss, représentée à l'entrée et habillée de noir, est accoudée à une sorte de tertre que domine la balustrade d'un tombeau (la radiographie a révélé en fait que c'était un rebord de cheminée). Les scènes les plus surprenantes, et dont l'interprétation est malaisée, sont le Duel à coups de gourdin, le Chien enseveli dont la tête seule émerge au ras d'un paysage désert, Deux Jeunes Femmes se moquant d'un homme. L'ensemble est peint avec hardiesse et avec une liberté technique totale, marquée par l'emploi constant du couteau à palette, qui étale les taches, restituant cet univers halluciné où se déchaînent la laideur, l'horreur et l'avilissement.

Les dernières années à Bordeaux

En 1823, un revirement de la politique espagnole fit que Ferdinand VII, qui avait accepté la Constitution de 1820, rétablit le pouvoir royal, soutenu par l'expédition du duc d'Angoulême. Les libéraux furent persécutés ; Goya se réfugia chez un de ses amis, le prêtre don José de Duaso, dont il fit le portrait (musée de Séville), puis il quitta l'Espagne. Il fut rejoint par doña Leocadia Weiss, cousine de sa femme et avec qui il vivait, et dont le fils, un libéral exalté, tombait sous le coup de la répression. Selon les documents, Goya avait demandé le 2 mai 1824 un congé, qui lui fut accordé, pour prendre les eaux de Plombières ; il passa à Bordeaux un court moment et alla ensuite deux mois (juin-juill. de 1824) à Paris. Là, il exécuta les portraits de ses amis Ferrer, œuvres sombres dépouillées de tout artifice (Rome, coll. part.), et une course de taureaux aux couleurs contrastées (Los Angeles, The Getty Museum). De retour à Bordeaux, hormis des voyages à Madrid, c'est dans cette cité qu'il demeura jusqu'à sa mort. Exilé par sa volonté, il demanda d'abord que l'on prolongeât son autorisation d'absence (1825), puis que lui-même fût mis à la retraite. La Cour lui accorda une pension de retraite équivalente à son traitement de peintre, 50 000 réaux par an.

   Les ultimes portraits des amis de Goya datent de la période de Bordeaux : Fernández Moratín (musée de Bilbao), Galos (Merion, Penn., Barnes Foundation), Juan de Muguiro (Prado), José Pío de Molina (Winterthur, coll. Oskar Reinhart). Il exécute une série de lithographies qui forment une suite célèbre connue sous le nom de Taureaux de Bordeaux. Il faut signaler également les miniatures sur ivoire, dont Goya parlait dans une de ses lettres à Ferrer et dont 23 ont pu être identifiées sur une quarantaine (Homme cherchant des puces, Los Angeles, coll. part. ; Maja et Célestine, Londres, coll. part.). Mais la Laitière de Bordeaux (Prado) est le tableau le plus illustre de ces dernières années ; elle représente, au terme d'une longue suite d'études de jeunes femmes du peuple, l'aspect le plus gracieux et le plus délicat de l'art de Goya ainsi que l'aboutissement de sa technique.

   Goya est représenté dans les grands musées du monde entier, mais la majeure partie de son œuvre est conservée à Madrid, dans des collections privées et publiques, au Prado particulièrement. En France, le Louvre et les musées d'Agen, de Bayonne, de Besançon, de Castres, de Lille, de Strasbourg possèdent de ses œuvres.