théâtre et peinture (suite)
Le XVIIe s. : la Grande-Bretagne
Londres avait une grande avance sur Paris puisque l'on y comptait 10 théâtres publics en 1600 et 17 en 1629. Mais les théâtres élisabéthains, de forme circulaire ou polygonale, ne laissaient aucune place aux décors, dont les écriteaux tenaient lieu. En revanche, les décors apparurent dans des représentations données dans les grands collèges et auxquelles assistait parfois la reine ainsi qu'à la Cour. C'étaient des toiles de fond et des perspectives peintes d'après les textes de Vitruve, les modèles de Peruzzi ou de Serlio.
C'est le grand architecte Inigo Jones qui, en 1631, construit une scène à plateau tournant et des décors coulissants pour Clorida et en 1635 pour Florimène, à l'instar du théâtre Farnèse. Les dessins conservés à Chatsworth nous les font connaître, ainsi que les costumes, dont Inigo Jones donne aussi les modèles. En 1656, Davenant ouvre le Duke's Theatre avec le Siège de Rhodes, considéré comme le premier opéra anglais, dont la mise en scène luxueuse et les décors de John Webb, architecte et collaborateur d'Inigo Jones, firent date. Du Dorset Garden Theatre, construit par Wren en 1671, des gravures montrent les décors, parmi lesquels l'intérieur d'une prison.
Le XVIIe s. : la France
En France, les décors à transformation apparurent lors des ballets de cour, dont Francini, Florentin, avait la charge au début du règne de Louis XIII. Des gravures en conservent le souvenir. Les châssis de toile peinte qui représentent une forêt s'écartent pour laisser apparaître une toile de fond figurant en trompe-l'œil portiques, colonnes, niches et statues antiques encadrant un « palais enchanté ». Mais si Francini règle en 1619 la machinerie du ballet de Tancrède, c'est Daniel Rabel qui crée décors et costumes. Bien qu'il ne s'agisse pas d'opéra, citons, pour son caractère unique, le manuscrit illustré d'un nommé Mahelot, à la fois régisseur, machiniste et peintre des Comédiens du roi à l'hôtel de Bourgogne, qui montre les décors utilisés en 1633 et 1634 pour chaque genre de pièce : petits pavillons pour les comédies, grottes, arbres et rochers pour les pastorales, colonnes et thermes pour les tragédies. Dans la Folie de Clidamant, on voit un décor simultané : salle de palais au centre, chambre ouverte par un rideau à droite, vaisseau abordant au port à gauche.
En 1651, les aquarelles des costumes du ballet royal des Fêtes de Bacchus semblent l'œuvre d'Henri Gissey, qui, en 1660, occupera le premier la charge de dessinateur de la Chambre et du Cabinet du roi, c'est-à-dire de décorateur des spectacles, fêtes, pompes funèbres et cérémonies diverses organisés par les soins d'une administration nouvelle, les Menus Plaisirs du roi.
Cependant, la règle des 3 unités impose aux tragédies comme aux comédies un décor unique : rue, place, carrefour « à l'italienne » ou appartement, les acteurs jouant, entrant et sortant d'un côté ou de l'autre ; d'où l'invention du « palais à volonté » des tragédies classiques. C'était réduire à peu de chose le rôle du décorateur, auquel seul l'opéra offrira la possibilité de changements, toujours « à vue », et par conséquent un champ propice aux fruits de l'imagination.
En 1641, Richelieu avait inauguré le théâtre de son palais en faisant jouer sa Mirame devant un décor unique de Denys Buffequin : le jardin du palais d'Héraclée regardant la mer, dont une estampe montre les 2 rangées régulières de colonnes à bossages, de niches et de statues. Mais Mazarin ne se contente pas de décorateurs français. Il fait appel en 1645 à l'illustre Giacomo Torelli pour monter sur la scène du Petit-Bourbon, dont la troupe d'ailleurs est italienne, La Finta Pazza, grâce à laquelle, quatre ans plus tôt, il avait triomphé à Venise. La Gazette témoigne de l'enthousiasme que La Finta Pazza et ses machines, « jusqu'alors inconnues en France », y suscitèrent. Olivier d'Ormesson note dans son journal : « Je vis cinq faces [décors] de théâtre différentes, l'une représentant trois allées de cyprès longues à perte de vue, le port de Chio où le Pont-Neuf et la place Dauphine [sic] étaient admirablement représentés, la troisième une ville, la quatrième un jardin avec de beaux pilastres [...]. La perspective était si bien observée que toutes ces allées paraissaient à perte de vue quoique le théâtre n'eût que quatre à cinq pieds de profondeur (ce qui semble difficile à croire). » Ces décors furent gravés. Celui du jardin, avec une double rangée de thermes monumentaux enguirlandés de lauriers, est un chef-d'œuvre de goût et devait produire un effet superbe. Torelli se surpasse encore en créant, en 1654, les décors des Noces de Thétis et Pélée. Dans l'un, la scène était transformée en l'immense grotte du centaure Chiron ; dans un autre, on pouvait voir, sur les gradins d'un amphithéâtre antique, plus de 1 000 spectateurs peints en trompe-l'œil pour former le public d'un combat de gladiateurs. Une « apothéose », enfin, perchait dans les nuages plus de 100 figurants et acteurs. À son tour, le théâtre du Marais mit à son répertoire, dans son jeu de paume de la rue Vieille-du-Temple, des pièces à machines de Denys Buffequin, qui se succédèrent de 1648 à 1670. La Naissance d'Hercule montrait un décor de palais sous « un ciel brillant d'une infinité d'étoiles et paré de toutes ses planètes ». Au second acte, soudain, les palais s'effacent, glissent dans les coulisses, dévoilant un décor de campagne. Jupiter paraît dans les airs, puis l'Olympe assemblé disparaît aux regards, étonnés de voir des vaisseaux dans un port. Hercule naît enfin dans le palais d'Amphitryon, annoncé par le tonnerre et l'éclat de la foudre. Mais le texte est encore dit et non point chanté. Lorsqu'en 1661 la Toison d'or de Corneille sera représentée au Marais, le roi s'y rendra deux fois. C'est maintenant un grand spectacle, avec chœurs, musique et ballet, un opéra qui n'en porte pas encore le nom.
Le jeune Louis XIV aime les fêtes et souhaite posséder, en son palais des Tuileries, un théâtre incomparable, qui sera la salle des Machines, appelée ainsi parce que les machines furent très perfectionnées. Cette salle peut contenir 3 000 spectateurs. Il n'y en a pas d'aussi vaste en Europe. Pour la première fois en France, les loges forment un demi-cercle allongé. Gaspare Vigarani, qui remplace Torelli, retourné à Venise en 1656, en est un des auteurs. Il dispose d'une scène profonde de plus de 40 m, aux cintres et aux dessous assez développés pour permettre tous les effets. Elle est inaugurée en 1662 par un opéra de Cavalli, Ercole amante. Mais, lorsque le roi quitte Paris, et définitivement, en 1682, elle ne sera plus utilisée. En 1721, elle sera réouverte pour le ballet des Éléments, dansé et chanté par tout l'Opéra entourant le jeune Louis XV. Les décors sont peints par Antoine Dieu et par Oudry. Claude Gillot, artiste plein de fantaisie, a donné les modèles des costumes.
Depuis longtemps s'imposait la nécessité d'une salle publique réservée à l'opéra. L'abbé Perrin ayant obtenu un privilège pour la fondation d'une Académie royale de musique et de danse, la grand-salle du théâtre du Palais-Royal lui fut accordée en 1671. Il cédait en 1672 son privilège à Lulli, un Florentin. À la mort de Mazarin, Carlo Vigarani avait succédé à son père. Il crée en 1675 les décors de Thésée et Atys, mais c'est un Français, le jeune Bérain, qui dessine les brillants costumes. Il vient d'ailleurs de remplacer Gissey dans la charge de dessinateur de la Chambre et du Cabinet du roi, dont on a dit l'étendue. Pour l'opéra de Quinault et Lulli Proserpine, il crée des décors extrêmement riches, chargés d'ornements et de couleurs, et des costumes qui furent gravés et aquarellés. Il aime les baldaquins et les draperies dans un style un peu « tapissier ». La cour de Suède lui demande même des décors, qui seront peints et essayés à Paris sur la scène de l'hôtel de Bourgogne avant leur expédition à Stockholm. Gravures et aquarelles nous font bien connaître l'œuvre de Jean I Bérain, le travail gigantesque pour décorer plus de 50 opéras de perspectives d'architecture ou de vues d'une nature fort assujettie à l'ordre classique. Bérain est aidé par son fils Jean II, par Jacques Rousseau, peintre de perspectives, et par Claude Gillot. Mais aucun des décorateurs français du XVIIe s. n'est un architecte, ni même, Gillot mis à part, un peintre de tableaux.