Ruisdael (Jacob Van)
Peintre néerlandais (Haarlem 1628/29 – id. 1682).
Fils d'Isaack Van Ruisdael, Jacob signait déjà des tableaux en 1646, à dix-huit ans (exemple à l'Ermitage), ce qui rend fort improbable la vieille assertion de Houbraken, pratiquement abandonnée aujourd'hui, selon laquelle Ruisdael aurait fait des études poussées de médecine au point de pratiquer avec talent des opérations à Amsterdam. On ne connaît pas ses maîtres, mais on peut supposer qu'il a fréquenté à Haarlem l'atelier de son oncle Salomon et profité de l'enseignement paternel. Dès 1648, en tout cas, on le voit entrer à la gilde des peintres de Haarlem. Diverses œuvres — dessins ou tableaux — attestent ensuite d'assez nombreux déplacements à Alkmaar, à Egmond aan Zee et vers la frontière allemande : Bentheim, Rhenen, la région de Clèves, autant de sites où il sut trouver les motifs privilégiés de son répertoire. Vers 1656-57, il s'établit à Amsterdam comme tant d'autres artistes harlémois, notamment son cousin Jacob Salomonsz (en 1666) et le paysagiste Allaert Van Everdingen (en 1653), si proche de lui par l'inspiration " romantique " (cascades et forêts montagneuses). Citoyen de cette cité en 1659, il délivre en 1660 un certificat de bonne conduite à Hobbema, qui l'a servi et qui a été son élève pendant quelques années. Sa pauvreté et sa fin misérable semblent une légende complaisamment exploitée au XIXe s. : en fait, ses tableaux étaient estimés à des prix élevés, ses services d'expert appréciés, et le testament qu'il rédige en 1667 en faveur de son père — qui connut, lui, de chroniques soucis financiers et fut précisément son débiteur à plusieurs reprises — implique bien une certaine aisance du fils. En revanche, il est possible que Ruisdael ait été fragile de santé, sinon maladif, comme paraît l'indiquer la rédaction prématurée d'un testament dès 1667. En 1681, la communauté mennonite à laquelle il appartient le fait transporter à l'hospice de Haarlem, où il meurt bientôt.
D'une facture insistante et minutieuse, spécialement dans le rendu du feuillage, les premières œuvres du peintre, conçues dans un esprit tout graphique et selon un métier de graveur, en quelque sorte, montrent l'habituel répertoire " ruisdaélien " très vite fixé — dunes avec quelques arbres, entrées de forêts, marais entourés de frondaisons — et s'échelonnent de 1646 à 1650 environ.
À l'influence ambiante d'un Salomon Van Ruysdael (dans le graphisme capricieux des arbres) s'ajoutent ici celle de son propre père et surtout celle, non moins graphique, de H. C. Vroom, qui conserve un ultime souvenir des précieuses frondaisons elsheimériennes, ciselées à contre-jour sur un ciel clair. Dans les quelques eaux-fortes de Jacob, qui semblent toutes dater de cette première période, on trouvera même de lointaines réminiscences maniéristes des " caprices " sylvestres chers à un Roelandt Savery ou à un Gillis Van Coninxloo. À côté de l'influence déterminante de Vroom, il faudrait mentionner encore quelques rapprochements avec des œuvres exactement contemporaines d'un Gilliam Dubois et d'un Jan Van der Meer le Vieux (de ce dernier, citons le Chemin, 1648, Mauritshuis). Parmi les exemples de cette première manière, à la fois dure, précise et en même temps timide, mais non exempte d'une certaine fascination poétique devant le foisonnement de la nature, on peut signaler les paysages de 1646 et 1647 à l'Ermitage et à Munich (Alte Pin.), le fameux Buisson du Louvre et surtout le Bord de marais du musée de Budapest, où triomphe déjà le thème de l'arbre mort qui accroche la lumière par sa blancheur d'écorce ; on pourrait encore invoquer les Ruisdael de Leipzig (1648), de Copenhague (1646), du Mauritshuis (1648), de Cambridge (1647), de Vienne (Akademie) ainsi que le fin dessin du musée Condé à Chantilly.
À cette vision " rapprochée " et encombrée, comme envoûtée par le détail, succède bientôt, pour s'épanouir pleinement dans les années 50, une conception plus ambitieuse et générale, mieux structurée par grandes masses et fortes coulisses, cherchant à approfondir l'horizon (sans jamais, toutefois, le creuser excessivement, mais bien plutôt en contrôlant et en délimitant à une certaine distance l'évasion proposée à notre regard). Ce style grandiose mais resté très soigneux et très pénétrant d'exécution et de dessin s'affirme déjà dans l'important Paysage fluvial de la N. G. d'Édimbourg (1649) et atteint son apogée dans les nombreuses versions exécutées sur le thème du château de Bentheim (coll. Bacon, 1651 ; Dublin, N. G., 1653). Les voyages que Ruisdael effectue alors avec Berchem aux confins de la frontière allemande sont sans doute à mettre en rapport avec cette nouvelle étape " noble " et " héroïque " de la carrière de l'artiste. La part des motifs architecturaux (ponts, moulins à eau, écluses, châteaux) s'accroît ici de façon caractéristique, contribuant d'une manière essentielle à l'équilibre du tableau et à l'harmonie recherchée entre l'homme et la nature. Toute la peinture hollandaise de l'époque, de Rembrandt et Philips Koninck aux italianisants (Both, puis Berchem et Dujardin), vise d'ailleurs à une telle conception tout à la fois expressive, apaisante et " sublime ", qui n'est pas éloignée spirituellement des recherches " idéales " d'un Claude et d'un Dughet. Quantité de beaux exemples de cette manière équilibrée et puissante — l'une des meilleures du maître — sont à citer, notamment à la Wallace Coll. de Londres, à Brunswick (Herzog Anton Ulrich-Museum), à Berlin, à la Frick Coll. de New York (1654), au musée de Mulhouse et à Oxford (Ashmolean Museum). De ces années 50 date le Cimetière juif (Dresde, Gg ; autre version plus grande, sans doute plus achevée, à Detroit, Inst. of Arts), admirable dialogue entre les signes de mort et les éléments de vie qui ravissaient en Goethe autant le penseur et le poète que l'artiste et le visuel.
Après 1653, les œuvres datées deviennent rares, ce qui ne facilite guère l'établissement d'une chronologie. Aussi bien la manière de l'artiste oscille-t-elle également en fonction des thèmes choisis. Si, d'une façon générale, il tend à une coloration plus fine, plus chaleureuse et moins sombre, si l'apparition des marines et des vues urbaines qui sont prétextes à de grands effets de ciels nuageux paraît liée à l'établissement du peintre à Amsterdam — dans sa considérable production de Cascades et de Torrents encaissés, où il a visiblement subi l'influence d'Everdingen —, Ruisdael reste encore attaché à une palette sombre, à une nature chargée et à un lyrisme dramatique. Mais la mode permet, à travers les personnages parfois visibles dans ces paysages, de situer approximativement certaines œuvres, qui se laissent dater au début des années 60, tel le célèbre Moulin de Wijk à Amsterdam, qui constitue un parfait exemple de ce jeu quasi musical de la luminosité des nuages si bien perçu par Fromentin. À partir de 1660 justement se fait jour chez Ruisdael une tendance au paysage panoramique, à une spatialité accrue par l'insistance des horizontales et les contrastes de lumière, tendance qui rappelle la magistrale profondeur obtenue par un Philips Koninck : ainsi des nombreuses Vues de Beverwijk (Munich, Alte Pin.) ou de la vaste plaine de Haarlem (Rijksmuseum ; Mauritshuis ; Zurich, Kunsthaus), des Plages d'Egmond aan Zee (Londres, N. G.) ou de Scheveningen (Chantilly, musée Condé), des Champs de blé, où le jaune des céréales forme un point d'orgue lumineux aussi fort et convaincant que simple et vrai (musée de Lille ; Metropolitan Museum ; Rotterdam, B. V. B.), du Coup de soleil du Louvre, chef-d'œuvre entre tous, daté tantôt v. 1670-1675, tantôt peu après 1660 (cette dernière datation semble meilleure) et dont il faut rapprocher pour la qualité de l'émotion poétique le Paysage montagneux de l'Ermitage. À ces années de maturité se rattache encore le souci, dans les vues de forêts et de marécages, de structurer toujours plus clairement et plus fortement le jeu ornemental des troncs vivants ou morts (un arbre à l'écorce blanche, jeté en diagonale au premier plan, constitue un motif ruisdaélien favori et typique, qui sera inlassablement exploité ensuite par Wynants) : les Marécages de Londres (N. G.), de l'Ermitage, de Berlin avec un très bel arbre penché, éloquente reprise architectonique d'un motif " maniériste " à la Savery qui restait chez le peintre " pragois " purement décoratif et gratuit, montrent à merveille les qualités de gravité et de réflexion propres à Ruisdael.
Il faut enfin mentionner quelques rares essais de paysages hivernaux, généralement tardifs, d'une harmonie de tons très délicate et en parfait accord avec le sentiment d'intense mélancolie qui les caractérise si efficacement.
Dans son ensemble, toutefois, la production tardive de Ruisdael semble marquer une certaine baisse qualitative, en relation directe avec l'abondance des répétitions des mêmes thèmes à succès, telles les cascades. Une importante exposition consacrée à Ruisdael a eu lieu à La Haye et à Cambridge en 1981-82.