Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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La Fresnaye (Roger de) (suite)

La période coloriste

L'influence de Delaunay devait bientôt se révéler très profonde et extrêmement féconde. Indubitable, elle fut aussitôt relevée par Apollinaire. Rendant compte du Salon d'automne de 1913, il notait en effet : " Dans le très petit nombre de toiles intéressantes figure, dans le premier rang, la Conquête de l'air de Roger de La Fresnaye, lucidement composée et distinguée. Aussi influence de Delaunay " (les Soirées de Paris).

   La Conquête de l'air (1913, New York, M. O. M. A.), qui reste sans doute l'œuvre la plus considérable de l'artiste, contient certes quelques acquis antérieurs et conserve un accent bien personnel, mais le rôle prépondérant joué par la couleur, dans l'expression de l'espace notamment, y est particulièrement significatif. Comme Delaunay, La Fresnaye utilise la loi du contraste simultané, qui lui permet d'aviver ses couleurs, de les rendre plus brillantes ou plus profondes — procédé qui a fait très justement vanter la luminosité remarquable de ce tableau —, et aussi d'en modifier l'intensité de manière à faire avancer ou reculer les plans colorés les uns par rapport aux autres. Cette omnipotence de la couleur se retrouve dans les 2 grands trumeaux qu'il exposa au Salon d'automne de 1913 dans le " Salon bourgeois " du décorateur André Mare — l'Arrosoir et la Mappemonde — ainsi que dans les séries des Natures mortes au diabolo, à l'équerre, à la bouteille de porto ou à la bouteille de térébenthine (1913-14), qui comptent parmi ses meilleures œuvres. Toutefois, ce sont probablement le 14-Juillet (1914, Paris, M. N. A. M.) et surtout l'Homme assis (1914, Paris, M. N. A. M.) qui, du point de vue technique, marquent le point culminant de cette période et plus généralement de toute la production de La Fresnaye. S'il l'utilise dans un sens moins dynamique que les Delaunay, la couleur, en effet, y prend malgré tout une valeur constructive et spatiale presque absolue, sans être à la fois " forme et sujet ". La Fresnaye se refusant énergiquement à aller jusqu'à la non-figuration, le sujet, enfin, n'y détermine plus les formes. Ce sont les plans colorés qui recréent le sujet, l'artiste partant maintenant des formes pour y arriver.

La réaction néo-classique

La Première Guerre mondiale devait malheureusement mettre un terme brutal à cette évolution. Bien que réformé à la suite d'une pleurésie, La Fresnaye s'engagea et partit pour le front, où il ne put guère peindre que quelques aquarelles. D'une santé bien trop fragile pour la vie qu'il y menait, il contracta la tuberculose en 1918 et dut être évacué. L'année suivante, il s'installa à Grasse avec son ami le peintre Jean-Louis Gampert, qui le soigna avec un remarquable dévouement. En 1919 et 1920, il exécuta un certain nombre de belles aquarelles encore empreintes du souffle coloriste de 1913-14, mais, dès 1920, avec le Portrait de J.-L. Gampert (Paris, M. N. A. M.), puis des œuvres comme le Bouvier (1921, Troyes, musée d'Art moderne, donation P. Lévy), la Table Louis-Philippe (1922, id.) et surtout le Portrait de Guynemer (1921-1923, Paris, M. N. A. M.), il tomba dans un néo-classicisme qui n'est peut-être pas sans qualités, mais marque une étonnante et déplorable rupture avec l'esprit des années d'avant guerre. Cette malencontreuse régression fut-elle consécutive à la perte de ses forces physiques ou ne fut-elle que le résultat d'un respect croissant envers la tradition ? Il est difficile de le dire avec certitude, ses écrits et notamment un long article qu'il publia en 1913 dans la Grande Revue (De l'imitation dans la peinture et la sculpture) dénotant une fâcheuse tendance à croire que toute innovation en art se limite à un apport partiel et ne fait qu'ajouter des détails à l'édifice bâti par les générations antérieures.

   Cette affirmation stérilisante laissera en effet toujours planer un doute sur les véritables possibilités de l'artiste, et il est permis de se demander si son idéal profond n'était finalement pas d'adapter un style moderne à une vision traditionnelle plutôt que de renouveler celle-ci totalement. Épuisé par la maladie, La Fresnaye fut incapable durant ses dernières années de produire autre chose que des dessins d'un classicisme presque ingresque.

La Haye (école de)

Ce nom a été donné à un groupe de peintres néerlandais dont la principale période d'activité s'étend de 1870 à 1890 environ. Si le fondateur, Johannes Bosboom, s'est fait surtout apprécier par ses intérieurs d'église et Jozef Israels par des scènes de genre entachées de sentimentalité, le mérite essentiel des peintres de La Haye, qui n'ignoraient pas l'école de Barbizon française, est d'avoir renouvelé en Hollande la conception du paysage, en lui offrant d'autres motifs de prédilection : les vues de mer ou de plage à marée basse dont les sites des environs de La Haye, Scheveningen en particulier, furent les modèles. Y furent attirés H. W. Mesdag (en 1868), Anton Mauve (en 1874), Jacobus Maris (en 1871), mais ses frères cadets Matthijs et Willem furent davantage retenus par le paysage traditionnel, rustique et urbain. Le meilleur peintre du groupe, J. H. Weissenbruch, connut pourtant une évolution analogue à celle de ses amis, d'une objectivité responsable d'un métier tout classique à une interprétation du sujet servie par une technique beaucoup plus libre. L'école de La Haye eut une influence importante, et les grands artistes de la fin du XIXe s. (Breitner, Van Gogh) partirent de ses leçons.

La Hyre (Laurent de)

Peintre français (Paris 1606  – id.  1656).

Son père, Étienne de La Hyre, peintre lui-même à ses débuts, lui inculque les premiers rudiments de son art. Cette éducation est complétée dans le milieu parisien de l'atelier de Georges Lallemant ainsi que par l'examen attentif des décorations du château de Fontainebleau (une œuvre de jeunesse comme la Tuile, Louvre, en témoigne). Il profita certainement des conseils de Quentin Varin, ami de sa famille et premier maître de Poussin aux Andelys.

   Sa première grande commande, Visite du pape Nicolas V au tombeau de saint François (1630, Louvre), exécutée pour la chapelle Saint-François des Capucins du Marais, allie des traits maniéristes à une sensibilité déjà ordonnée et classique. Celle-ci se manifeste aussi dans une toile comme le Chien gardant sa proie (1632, musée d'Arras), cas unique dans la peinture française de ce temps d'un tel sujet dont l'école flamande fournit de nombreux exemples. La passion de l'artiste pour la chasse peut l'expliquer. L'exécution des 2 mays de Notre-Dame de Paris, Saint Pierre guérissant les malades de son ombre (1635, Notre-Dame de Paris) et la Conversion de saint Paul (1637, id.), consacre sa réputation. Le caractère baroque de cette dernière œuvre, dont l'éclairage dramatique n'est pas sans rappeler Vouet ou Blanchard, marque le terme de la première phase dans l'évolution de La Hyre.

   À partir de 1640, il exécute des travaux de décoration (hôtels de Tallemant et de Montoron), dessine des cartons de tapisseries (série de la Vie de saint Étienne, pour Saint-Étienne-du-Mont à Paris, dessins au Louvre) et répond à la demande de nombreux amateurs pour des tableaux " de cabinet " ou à celles des ordres religieux commandant des retables pour les églises nouvellement édifiées. Il est aussi en 1648 l'un des douze fondateurs de l'Académie de peinture.

   Ces activités multiples sont à l'image des intérêts nombreux d'un artiste éclectique, mélomane et attiré par les mathématiques et l'archéologie. Peintre représentatif du milieu parisien, il amorce une réaction contre la fougue de Vouet, épure ses compositions par un effort lucide vers l'élégance et la sérénité (la Vierge à l'Enfant, 1642, Louvre). Le paysage prend dans ses œuvres une place grandissante, étayée toujours par quelque motif d'architecture dans un souci de précision archéologique, comme en témoignent déjà la Naissance de Bacchus (1638, Ermitage) ou l'un des chefs-d'œuvre de sa maturité classique, Laban cherchant ses idoles dans les bagages de Jacob (1647, Louvre), où l'action s'insère dans un paysage calme et transparent. Le coloris clair, proche des tonalités de Gentileschi, soutient discrètement le drame sans violence de la Mort des enfants de Béthel (1653, musée d'Arras) ou de Moïse sauvé des eaux (Detroit, Inst. of Arts). Dans le Paysage au joueur de flûte (1647, musée de Montpellier) ou le Paysage aux baigneuses (1653, Louvre), les personnages s'estompent au profit du paysage, qui devient le sujet du tableau (Paysage, musée de Lille). Ses biographes anciens affirment d'ailleurs qu'à la fin de sa carrière La Hyre multiplie les petits paysages que se disputent les amateurs. La limpidité de la touche et la finesse de l'observation ont fait penser à l'influence du paysagiste Jacques Fouquières, formé à Anvers et établi à Paris à cette époque. Ce goût prononcé se manifeste aussi, au cours des années 1640, dans une série de gravures très fines d'une rare sensibilité et d'une grande sûreté d'exécution, qui comptent parmi les meilleures (Paris, B. N.).

   Cependant, La Hyre peint jusqu'à la fin de sa vie des tableaux mythologiques ou antiques (Hersé et Mercure, 1649, musée d'Épinal ; Cornélie, musée de Budapest ; Baiser de la Paix et de la Justice, 1654, musée de Cleveland), d'amples et éloquentes compositions religieuses, telles que l'Apparition de Jésus aux trois Maries (Louvre), la Descente de croix (1655, musée de Rouen), l'Apparition du Christ à la Madeleine et les Disciples d'Emmaüs (1656, musée de Grenoble), très remarquables pour leur singulière puissance dramatique.

   Il ne subsiste que des morceaux dispersés pour témoigner de son activité de décorateur qui semble avoir été plus importante qu'on ne le pensait jusqu'à une date récente : Les allégories des 7 Arts libéraux provenant de l'hôtel Tallemant en sont les spécimens les plus remarquables et les plus célèbres : l'Astronomie (1649, musée d'Orléans), la Géométrie (1649, coll. part.), la Musique (1649, Met. Mus.), avec ses deux Putti (Dijon, Mus. Magnin), l'Arithmétique (1650, Heino, Fond. Hannema de Stuers), la Grammaire (1650, Londres, N. G.), la Dialectique et la Rhétorique (1650, coll. part.). On connaît de nombreux dessins de l'artiste, à la sanguine (Saint Jean, Louvre) et à la pierre noire (les Trois Grâces, musée de Montpellier). Son influence, trop mésestimée, s'exerça sur la production normande. Il est l'un des meilleurs représentants de " l'atticisme parisien " et compte parmi les plus grands paysagistes du XVIIe s. Une importante rétrospective a eu lieu en 1989 (Grenoble, Rennes, Bordeaux).