Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
N

Nollekens (Joseph Francis)

Peintre flamand (Anvers 1702  – Londres 1748).

Père du sculpteur Joseph Nollekens (1737-1823), il fut l'auteur de conversation pieces, de tableaux de fantaisie et de portraits. Il arriva à Londres en 1733 et fit carrière en Angleterre. Proche de Mercier, il produisit de 1730 à 1740 de petits tableaux dans le style de Watteau, dont il avait étudié l'œuvre avec attention. Il est représenté au musée Ariana de Genève (Trois Personnages buvant et fumant).

nombre d'or

Au cours des siècles, une littérature prolixe s'est attachée au nombre d'or. Ce nombre apparaît, aux yeux de certains, comme un principe d'harmonie universelle régissant le microcosme et le macrocosme, ou comme la clé d'une conception absolue de la beauté — conception qui a trouvé, à certaines époques, une application chez les peintres dans la " construction " de la surface picturale, un peu à la manière dont les architectes en ont usé parfois pour leurs plans et leurs élévations. En ce cas, l'expression section d'or sera employée pour traduire la notion euclidienne du partage géométrique en moyenne et extrême raison, tandis que le nombre d'or en représentera l'aspect spéculatif. C'est lui qui, dès l'Antiquité, se pare de significations mystiques, esthétiques, ésotériques, et dont nous retrouvons un écho dans le vocabulaire des théoriciens de la Renaissance : divine proportion, nombre d'or, section divine, section d'or.

   Depuis les temps antiques, la section d'or apparaît comme la façon la plus logique de partager asymétriquement une droite selon les principes d'économie et d'harmonie. Euclide en donne la définition dans son Sixième Livre : " Une droite est dite coupée en extrême et moyenne raison quand la droite entière est au plus grand segment comme le plus grand est au plus petit. " Si a et b sont ces deux parties, on doit avoir :

   a + b / a = a / b. D'où : a / b = √5 + 1 / 2 = 1,618...

   Le nombre d'or, quotient d'un rapport, est donc égal à √5 + 1 / 2 ou 1,618...

   On peut remarquer que ce nombre, comme toutes les irrationnelles, peut être construit, c'est-à-dire géométriquement figuré avec un compas et une équerre.

   Ce nombre se retrouve dans les figures géométriques dérivées du pentagone (en particulier le pentagramme) et du dodécagone. Amplifié dans l'espace, le pentagone régulier donne le dodécaèdre et l'icosaèdre, 2 des 5 corps platoniciens.

   Quelles sont les origines du nombre d'or ? Elles semblent remonter aux pythagoriciens. Dès le VIe s. av. J.-C., cette confrérie, milieu d'intense culture mathématique, semble avoir attiré les esprits curieux de science et les mystiques. En fait, nos connaissances concernant cette secte se ressentent de la règle du secret qui accompagnait une longue initiation de cinq ans. D'après Lucien, le pentagramme, symbole du nombre d'or, aurait été le signe de ralliement des initiés. " Tout est arrangé d'après le nombre ", tel aurait été le fondement de leur philosophie, qui peut-être remonterait à l'ancienne Égypte. Cependant, que savons-nous de tout cela ? Si Pythagore a donné son nom à une doctrine, il n'a lui-même laissé aucun écrit, et pourtant au cours des siècles, les écrivains seront intarissables sur son compte en donnant une envergure considérable à une pensée déjà si riche par elle-même. L'expression " le Maître l'a dit " avait une valeur absolue et suffisante pour ses disciples et les adeptes de sa doctrine jusqu'au Moyen Âge.

   Aussi, dès son origine, le nombre d'or revêtira-t-il un caractère mystique, esthétique, ésotérique, que nous retrouverons tout au long de son histoire.

   De cette doctrine, Platon, qui semble avoir eu des rapports intéressants avec les milieux pythagoriciens, paraît nous avoir donné un reflet. Pour lui, le nombre est facteur d'ordre, de mesure, de beauté, que seul le philosophe nourri de mathématiques sait apercevoir. Le Timée nous livre ses conceptions sur l'harmonie et la proportion, en particulier sur la " médiété " géométrique, le lien le plus fort qui puisse unir trois termes : " Mais que deux termes forment seuls une belle composition, cela n'est pas possible sans un troisième [...], il arrive ainsi nécessairement que tous les termes aient la même fonction, que tous jouent les uns par rapport aux autres le même rôle et dans ce cas tous forment une unité parfaite " (le Timée, 31 c-32 ). Nous retrouvons donc ici la définition de la proportion " dorée ". Un peu plus loin, pour expliquer sa cosmogonie, il reprend le dodécaèdre pythagoricien (12 pentagones), impossible à réaliser sans la section d'or et dont il fait le symbole de l'harmonie cosmique : " Le Dieu s'en servit pour le Tout, quand il en eut dessiné l'arrangement final " (le Timée, 55 ). Avec Platon, nous retrouvons l'aspect spéculatif, qui demeurera l'un des signes les plus typiques de l'usage pratique.

   Quant au mathématicien Euclide, dans ses Éléments, il revient un siècle plus tard, à quatre reprises, sur le partage en moyenne et extrême raison (liv. II, prop. 11 ; liv. IV, prop. 10-14 ; liv. VI, prop. 30 ; liv. XIII). Ce livre et tout l'héritage mathématique grec seront sauvés par les Arabes. Des auteurs tels que Nicomaque de Gérasa (Ier s. apr. J.-C.) et Boèce (VIe s. apr. J.-C.) nous en donnent aussi un reflet. Durant le Moyen Âge, ce sont les confréries de bâtisseurs qui transmettent la géométrie ésotérique pythagoricienne.

   Dès 1228, Léonard de Pise (Fibonacci), qui écrit le premier traité d'algèbre, découvre également une série additive dans laquelle 2 chiffres consécutifs forment un rapport qui tend vers le nombre d'or : 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, 89, 144... Un siècle plus tard, Campanus de Novare est sans doute le premier artisan du retour à Euclide, qu'il traduit et commente d'après une version arabe. Son livre, achevé en 1354, est imprimé à Venise en 1482. Dans de nombreux passages, il considère le nombre d'or dans une optique mathématique. Plus tard, c'est à la lumière de ces commentaires et de l'étude de Platon que Luca Pacioli, moine bolonais, compose son traité De divina proportione, paru à Venise en 1509, et non sans rapport avec le Traité des corps réguliers de Piero della Francesca, comme on l'a remarqué. Pacioli avance diverses raisons pour nous expliquer le choix de son titre. Cette proportion, apparentée à Dieu, est divine : comme lui, elle ne peut être définie de façon certaine, puisque irrationnelle ; comme lui, elle est toujours présente de façon invisible ; comme lui, elle est une, unique, invariable. Pacioli cite le Timée et insiste sur la nécessité de cette proportion sainte qui unit les 5 corps platoniciens. Léonard de Vinci les représentera sur les planches de l'ouvrage.

   La peinture est alors une satisfaction de l'esprit doublée d'un contentement de l'œil, " cosa mentale ", pour reprendre l'expression de Léonard, qui, comme tous les gens instruits de son époque, s'attache à la géométrie. Aussi conseille-t-il à ses lecteurs : " Ne lise pas mes principes qui n'est pas mathématicien. " Albert Dürer, au cours de l'un de ses voyages à Venise, au début du XVIe s., se rendit à Bologne, où résidait Pacioli, pour se faire initier " aux arcanes d'une perspective secrète ". Il est également l'auteur d'un Traité des proportions. Mais si nous connaissons mal quels rapports existent entre l'usage de la proportion dorée et les spéculations sur les proportions du corps humain, nous constatons qu'elles se sont attachées au problème des rapports proportionnés du corps à partir d'éléments anatomiques essentiels. Les humanistes de la première Renaissance redécouvrent librement l'architecture grecque et romaine et la philosophie géométrique de Platon. Ils posent leurs problèmes en essayant de les situer dans le contexte de l'Antiquité, dont ils se prétendent les successeurs. L'emploi des mathématiques ennoblit la peinture en lui conférant un aspect plus spéculatif dans la mesure, surtout, où l'organisation d'un " dessin " d'ensemble est commun à tous les arts, techniquement et théoriquement.

   " Puis la nuit se fait de nouveau sur les porteurs de torche ", affirme l'écrivain Ghyka, qui a étudié le nombre d'or au XXe s. Mais cet oubli n'est qu'apparent. Il serait dû aux progrès des sciences exactes. Euclide fait d'ailleurs l'objet de nombreuses éditions françaises, dont peut-être bénéficie notamment Poussin. Mais que conclure sans les témoignages scripturaires, pratiquement inexistants ?

   Les théoriciens du XIXe s. retrouvent l'intérêt extra-mathématique de la section d'or. Ils considèrent celle-ci comme la loi fondamentale qui imprègne la nature et les arts, et rejoignent les courants scientiste, mystique et théosophique du Symbolisme de la seconde moitié du siècle, qui influenceront souvent les artistes. Ainsi, Seurat, qui se formera dans un climat scientiste, développe-t-il une œuvre où l'origine de toute sensation d'harmonie est due aux nombres. " L'art, c'est l'harmonie. L'harmonie, c'est l'analogie des contraires, l'analogie des semblables " (lettre à Maurice Baubourg, 1890). Les théoriciens de la Renaissance — Ficin, Pacioli, Palladio — sont à l'origine de ces propos. Dans les toiles de Seurat, les personnages seront placés en général sur la section dorée, et c'est en ces termes que Lhote analysera la Parade.

   À partir de 1885, en opposition à ce courant, se crée le Symbolisme. L'influence de Moreau s'étend non seulement aux Nabis, mais aussi au groupe ésotérique des Rose-Croix, dont le chef, le sâr Peladan, traduit le Traité de la peinture de Léonard, livre qui influencera Jacques Villon. En 1890, l'ouvrage de Schuré les Grands Initiés connaît un succès considérable. La doctrine de Pythagore et particulièrement la science des nombres sacrés y sont exposées en une centaine de pages. À la même époque, une esthétique religieuse, à tendance pythagoricienne, fondée sur les mathématiques, le nombre, la géométrie, voit le jour à l'abbaye bénédictine de Beuron. Le père Didier Lenz révèle au novice Jan Verkade, ami de Gauguin et de Sérusier, le dessin du nombre, de l'équilibre et de l'ordre.

   Sérusier s'enthousiasme pour cette esthétique, qui lui permet d'atteindre " un art plus grand, plus sévère, et sacré ". Il fait des compositions, des figures nues avec la règle, les équerres et le compas de proportion réglé sur le nombre d'or. Son enseignement à l'Académie Ranson contribue à répandre l'usage des " saintes mesures ". Aussi, Sérusier put-il se proclamer le père du Cubisme, dont la première exposition fut placée sous le signe de la Section d'or (oct. 1912). Cette exposition était la suite logique du groupe de Puteaux, qui réunissait chez les frères Duchamp, passionnés de mathématiques, des artistes tels que Gleizes, Metzinger, Léger, Picabia, La Fresnaye, Apollinaire. L'organisation de la toile était le principal sujet de discussion : " L'idée s'est ancrée en nous qu'une toile devait être raisonnée avant d'être peinte ", avoue Villon, qui représente le meilleur exemple de l'emploi de la section d'or, transfiguré par un chromatisme délicat et subtil.

   André Lhote, par son enseignement et ses livres, contribue à faire connaître les lois auxquelles doit " obéir l'œuvre d'art pour échapper au débraillé sentimental ". Le Traité du paysage insiste sur la composition du tableau " pour solliciter ou retenir le regard ". La division de la surface selon le nombre d'or possède le plus de vertus. Il essaie d'atteindre le Beau idéal platonicien, et les règles vont l'y aider, pense-t-il.

   L'ouvrage de Severini, paru en 1921, Du cubisme au classicisme, porte un sous-titre révélateur de l'état d'esprit de l'artiste : Esthétique du compas et du nombre. Severini estime indispensable la connaissance de la géométrie pour construire une toile et revient aux idées de la Renaissance : le but suprême de l'art est de reconstruire l'Univers selon les lois mêmes qui le régissent.

   " Or, comme l'homme procède de la fonction dans son corps, dans la dimension de ses membres... ", Le Corbusier intègre la section d'or dans son fameux Modulor. Dans sa villa de Garches, il se sert de la diagonale comme élément de proportion. À l'heure actuelle, un peintre comme Agam emploie le nombre d'or en se servant d'un ordinateur pour définir les rapports entre les formes. Il obtient alors différentes combinaisons qui incorporent le temps (quatrième dimension) à l'œuvre.

   Un problème se pose dès lors : ces artistes — qui se réfèrent toujours plus ou moins à Léonard, qui, lui, ne parle pas de la section d'or — ne sont-ils pas plutôt attachés à un mythe créateur, véritable garant de la composition ? L'usage du nombre d'or apparaît d'ailleurs chez certains peintres au moment où ils sont attirés par des personnalités typiques du quattrocento, tels Uccello et Piero della Francesca. Et bien des artistes n'ont-ils pas superposé leur propre point de vue à des exemples anciens, sous prétexte de renouer avec une famille spirituelle dont la définition historique n'est pas toujours bien donnée ? Et cette faveur dont jouit parfois au XXe s. le nombre d'or ne semble-t-elle pas due à l'abandon d'un espace perspectif ou tout au moins à la volonté de développer une organisation plus rigoureuse de la surface ?

   Mais certains théoriciens, plaquant trop souvent des schémas mentaux sans partir d'une observation directe du document du passé, ont poussé très loin leur analyse et proposent des structures auxquelles les artistes n'avaient sans doute jamais pensé. Peut-on être bien assuré qu'il s'agisse de l'usage véritable de la section d'or dans telle composition de Raphaël, de Titien ou de Véronèse ? Sans doute, bien des schémas proposés nous offrent des coïncidences troublantes, pas toujours suffisantes. En revanche, bien des peintres présents se sont immédiatement emparés de ces études pour leur propre création.

   Étape d'une culture, l'usage du nombre d'or semble avoir proposé fréquemment un mythe créateur à qui avait besoin de traduire une conception particulière de l'harmonie. Dans bien des cas aussi il a pu devenir une méthode d'école, une déformation pédagogique, mais plus facilement en peinture qu'en architecture. Aujourd'hui, des spéculations mathématiques comme celles d'un Xénakis semblent avoir ouvert, par rapport à des formes artistiques nouvelles, une quête différente, bien que toujours associée à l'idée d'une structure supérieure.