expressionnisme (suite)
Peinture et révolution au Mexique
À la cohésion du groupe flamand correspond seulement, au cours de la même période, celle des Mexicains Rivera, Siqueiros, Orozco, Tamayo et, à un degré moindre, celle des Brésiliens Portinari et Segall. Si les Mexicains se réfèrent, comme les Flamands, à leur terroir traditionnel, en exaltant leurs origines indiennes, ils y ajoutent une dimension révolutionnaire et sociale qui les a conduits à être davantage des décorateurs (grandes fresques murales) que des peintres de chevalet. Dans les mieux venues de leurs toiles, ils égalent le lyrisme de Permeke (Rivera : la Broyeuse, 1926). Les cycles de décorations murales que Rivera inaugura en 1921 à l'École nationale préparatoire de Mexico ont eu le mérite de remettre à l'honneur la peinture monumentale ; mais, malgré l'intérêt du dessein et l'évidente dignité des thèmes (lutte du prolétariat, glorification du travail humain), trop souvent un réalisme emphatique l'emporte sur les exigences du style (Rivera : École nationale d'agriculture de Chapingo, 1927 ; Orozco : université de Guadalajara, 1936).
Tamayo, plus jeune, évita l'emprise d'un folklore qui impliquait une certaine soumission à la vision conventionnelle, et l'influence de Picasso fut chez lui libératrice (le Chanteur, 1950, Paris, M. N. A. M.). Portinari et Segall développèrent au Brésil un Expressionnisme analogue, où la tension acérée du dessin, la stylisation violente des formes relèvent, là encore, de Picasso (Portinari : l'Enterrement dans le hamac, 1944, musée de São Paulo).
L'Expressionnisme après 1945
Après la Seconde Guerre mondiale, on ne voit plus apparaître de mouvement figuratif expressionniste désigné comme tel. L'Abstraction va bientôt l'emporter dans tous les pays, et l'Expressionnisme abstrait américain, qui dut beaucoup, dans sa formation, à la leçon du Surréalisme et à celle de Picasso, n'en est qu'une forme particulière. L'Expressionnisme fait partie désormais de l'héritage du XXe s. ; on l'identifie à certains procédés techniques, plus encore à une attitude d'esprit dénonçant volontiers les aspects dramatiques ou pathétiques de la condition humaine, qui d'ailleurs ont changé au gré des circonstances historiques depuis le début du siècle. Un fait remarquable est la faillite de l'Expressionnisme figuratif après la Libération : ni Soutine ni Picasso, dont les tableaux sont exposés à la fin de la guerre, ne suscitent un nouveau mouvement. Le " misérabilisme " de Francis Gruber et de Buffet, qui dut son succès aux conditions de l'époque, se présente plutôt comme une dérivation tardive de la Nouvelle Réalité, surtout chez Gruber. En revanche, un Expressionnisme inédit, participant d'une évolution où les références à la réalité sont de moins en moins littérales, sinon absentes, est alors pratiqué par Fautrier et par Jean Dubuffet. Le premier traite la nature morte, le nu, le paysage, à partir de 1942, dans une relation très allusive, mais fort évocatrice, entre le sujet et son interprétation (série des Otages, 1943-1945 ; le Torse nu, 1944 ; Baby Mine, 1956). Dubuffet, dans ses portraits, ses personnages, ses études d'animaux, fait preuve d'un Expressionnisme plus délibéré, en s'inspirant de toutes les spontanéités offertes par la nature et par une imagination sans contrainte (graffiti, œuvres d'aliénés, dessins d'enfants) [Personnage accroupi, 1953, Paris, musée des Arts décoratifs ; Vache la Belle Fessue, 1954] ; et l'artiste ne dédaigne pas, à l'occasion, de reprendre des sujets qui appartiennent à la tradition expressionniste (la Récolte des pommes de terre, 1953, Stuttgart, Staatsgal.). Cette attitude et cette curiosité expérimentale sont partagées durant quelques années par le groupe belgo-hollando-danois Cobra (1948-1951) ; pendant cette période d'activité collective, Cobra s'est référé au dessin d'enfant comme à la poétique surréalisante de Klee et de Miró ; plus tard, les itinéraires personnels de Jorn, d'Appel, d'Alechinsky — expérience faite des techniques non figuratives — se sont maintes fois signalés par un expressionnisme vivace, coloré, que caractérise l'humour agressif. Mais entre 1950 et 1960, les jeunes artistes sont acquis à l'Abstraction : Fautrier et Dubuffet sont des peintres beaucoup plus âgés. Dans ces conditions, bien rares sont ceux qu'une figuration expressionniste, axée sur l'interprétation même fort libre d'un sujet, peut encore tenter. Au cours de cette décennie, signalons, en territoire parisien, les grandes études de personnages de Jean-Paul Rebeyrolle, d'une poétique beaucoup moins âpre que celle de Dubuffet (l'Homme à la cigarette, 1956, Paris, coll. part.). De même, c'est avec une belle insouciance des esthétiques alors en vogue que le Belge Hecq exécute entre 1954 et 1956 une suite de grands tableaux sur divers sujets, d'une verve épique ou burlesque très septentrionale (N'entends-tu rien venir ?, 1955). Ces différentes réalisations sont le fait d'individualités profondément étrangères à l'esprit de l'Abstraction, et il y a peu de rapports entre elles. Vers 1960, le succès même de l'Abstraction et l'esthétisme dans lequel elle risquait de se complaire entraînèrent la réaction du Nouveau Réalisme, et par contrecoup la recherche d'une Nouvelle Figuration où la composante expressionniste pouvait aisément prendre place. L'Anglais Francis Bacon est le meilleur exemple de cette nouvelle synthèse ; il exploite très habilement des procédés de composition empruntés à l'Abstraction et sur lesquels le personnage contemporain se détache dans un relief et un isolement saisissants (Portraits de George Dyer parlant). Mais la Nouvelle Figuration tourna court rapidement, bien qu'elle ait révélé des tempéraments comme le Grec Christoforou, l'Espagnol Saura, le Polonais naturalisé américain Maryan.
Depuis 1965 environ, le succès croissant des divers réalismes, avec l'exploitation directe des mythes contemporains et leur traduction par le relais photographique, a remplacé le subjectivisme et le faire encore traditionnels à quoi les peintres expressionnistes souvent s'identifiaient.