Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Orozco (José Clemente)

Peintre mexicain (Ciudad Guzmán 1883  – Mexico 1949).

Ingénieur agronome, il suit les cours de l'Académie de Mexico à partir de 1908. Rallié à la révolution de 1910, il commence par publier des dessins satiriques, caricaturaux (scènes de la vie du peuple, études de prostituées), notamment dans La Vanguardia, journal du docteur Atl, et fait preuve, ainsi que dans ses peintures, d'un expressionnisme virulent et inventif qui rappelle parfois celui de Nolde, mais annonce aussi le parti synthétique de Grosz (Trois Femmes, 1913). Sa première exposition de dessins a lieu à Mexico en 1916, et il passe les deux années suivantes aux États-Unis. À son retour, il participe activement à la révolution de l'art mural, de caractère social et révolutionnaire, avec Rivera et Siqueiros. Très ému par l'assassinat du leader de la paysannerie, Emiliano Zapata (1880-1919), Orozco évoque dans ses tableaux comme dans ses premiers décors monumentaux la geste insurrectionnelle ; son style, à l'emporte-pièce, est plus proche de celui des gravures, très populaires, de Posada que de celui des fresquistes italiens, dont Rivera apportait la nostalgie (le Combat, 1920 ; la Trinité, 1923, École nationale préparatoire de Mexico). En 1922, il adhère au mouvement muraliste dirigé par le syndicat des peintres. Il expose à Paris en 1925 et, à partir de 1927, il est chargé de grandes décorations aux États-Unis et au Mexique : la maison des " carreaux de faïence ", école industrielle de Orizaba (1926), Pomona College, Claremont, Californie (1930) ; New School for Social Research, New York (1931) ; Baker Library, Dormouth College, Hanovre (1932-1934) ; palais des Beaux-Arts de Mexico (1934) ; université, palais du Gouvernement et hôpital Cabañas de Guadalajara (1936-1939), chapelle de Chapultepec (1947). Les réminiscences maniéristes et baroques (Michel-Ange, Tintoret) abondent dans cet art (Prométhée, Pomona College), qui aboutit trop souvent à une surprenante alliance entre l'emphase académique du XVIe s. et l'idéal musculaire du " superman " américain. Orozco a été lithographe, aquafortiste, et a laissé à la fin de sa vie d'excellents dessins que n'entache point un souci descriptif ou expressif de mauvais aloi.

orphisme

Le baptême officiel de l'Orphisme date du Salon des indépendants de 1913. " [...] notons, pour les historiens futurs ", consignait par exemple le critique Roger Allard dans son compte rendu, " qu'une nouvelle école, l'Orphisme, a pris naissance en 1913 [...] " (la Cote, Paris, 19 mars 1913) ; de son côté, un autre critique, André Warnod, écrivait : " Le Salon de 1913 sera marqué par l'éclosion d'une nouvelle école, l'école orphique " (Comoedia, Paris, 18 mars 1913). Corroborant cette constatation, Guillaume Apollinaire, enfin, s'exclamait, non sans une pointe d'orgueil : " C'est l'Orphisme. C'est la première fois que cette tendance que j'ai prévue et annoncée se manifeste " (Montjoie !, Paris, supplément au n° 3, 18 mars 1913).

   C'est effectivement Apollinaire qui avait inventé le terme (orphisme : culte rendu à Orphée) et l'avait employé publiquement pour la première fois lors d'une conférence sur la peinture moderne prononcée à l'occasion du Salon de la section d'or en octobre 1912. Qu'entendait-il par là ? Il semble qu'il ne l'ait pas très bien su lui-même et, plus encore, qu'il n'ait pas très bien su quelles limites assigner à cette nouvelle tendance. En fait, la confusion qui règne encore au sujet de celle-ci provient de ce qu'Apollinaire mêla inconsciemment deux problèmes qui étaient certes connexes, mais dont il eût fallu souligner la spécificité avant d'essayer d'en faire la synthèse : d'une part la création par les Delaunay d'un moyen d'expression picturale entièrement fondé sur la couleur, d'autre part l'élargissement du Cubisme initial par la naissance simultanée de plusieurs tendances plus ou moins hétérodoxes.

   Après sa rupture avec Marie Laurencin à la fin de l'été 1912, Apollinaire était venu chercher refuge chez les Delaunay, qui l'accueillirent avec une amicale compréhension dans leur atelier de la rue des Grands-Augustins.

   Robert Delaunay, activement secondé par sa femme, venait justement de subir durant l'été une très profonde évolution esthétique, qui l'avait mené de ce qu'il devait appeler plus tard sa " période destructive " à une sorte de peinture reposant uniquement sur les possibilités constructives et spatio-temporelles des contrastes de couleurs. Apollinaire se trouva donc être le témoin privilégié de cette évolution et en discuta naturellement longuement avec ses hôtes. Convaincu du bien-fondé de leurs idées, ravi en outre d'être le premier à les présenter au public, il en entretint ses lecteurs dans un article du Temps (14 oct. 1912) et publia surtout un important texte de Delaunay, intitulé " Réalité, peinture pure ", dans les Soirées de Paris (déc. 1912) et dans la revue allemande Der Sturm (déc. 1912).

   On remarquera qu'il n'est pas question d'Orphisme dans ces trois textes, mais plus simplement de " peinture pure ", expression employée par Delaunay lui-même, qui, malgré son amitié pour Apollinaire, n'apprécia jamais ce terme, qui ne rendait évidemment aucun compte de ses véritables préoccupations. " À ce propos, Apollinaire a parlé d'Orphisme, mais c'est de la littérature ", devait-il écrire plus tard (lettre à Sam Halpert, 1924, in Du Cubisme à l'Art abstrait. Les cahiers inédits de R. Delaunay, Paris, 1957). C'était au sujet de la série de ses Fenêtres de l'hiver 1912-1913, toiles qui avaient enthousiasmé Apollinaire et lui avaient inspiré l'un de ses plus beaux poèmes, les Fenêtres (" Du rouge au vert tout le jaune se meurt... "), qui parut en préface du catalogue de l'exposition Delaunay à la galerie Der Sturm, à Berlin, en janvier 1913.

   En fait, le terme d'orphisme apparaît pour la première fois sous la plume d'Apollinaire dans un article intitulé " Die moderne Malerei ", publié en février 1913 dans Der Sturm (n° 148-149). C'est avec cet article que la confusion prend naissance. L'auteur, en effet, commence par affirmer que les deux tendances picturales nouvelles qui lui semblent les plus importantes sont " d'une part le Cubisme de Picasso, d'autre part l'Orphisme de Delaunay ", affirmation qui, comme tout jugement esthétique, peut toujours être discutée, mais qui reste absolument raisonnable et apparaît même aujourd'hui comme la preuve d'une réelle lucidité. Malheureusement, Apollinaire dresse ensuite la liste des peintres influencés par ces deux grands créateurs. Or, si celle qui concerne Picasso est parfaitement défendable (Braque, Metzinger, Gleizes, Gris et — mais l'on sait pourquoi — Marie Laurencin), celle qui concerne Delaunay est empreinte d'une certaine fantaisie puisque l'on y trouve à la fois Léger, Picabia, Marie Laurencin, Marcel Duchamp et, pour l'Allemagne, Kandinsky, Marc, Meidner, Macke, Jawlensky, G. Münter et Freundlich, sans parler des futuristes italiens, qui se trouvaient ainsi relégués au rang de disciples d'un artiste qu'ils récusaient violemment. Il est certain que Marc et Macke subirent une forte influence de Delaunay ; il était d'autre part tentant de regrouper autour de lui des coloristes comme Léger et le Picabia de 1912-13, encore que ceux-ci aient suivi des voies strictement personnelles et bien différentes de la sienne. Mais ranger Marcel Duchamp, Kandinsky et les futuristes sous la bannière de Robert Delaunay était pour le moins malencontreux.

   De plus, il ne semble pas que les idées d'Apollinaire aient été bien arrêtées sur ce point, car cette liste subit de notables variations dans ses écrits de l'année 1913. Outre Delaunay, il y range le 18 mars, dans l'Intransigeant, Léger, l'Américain Bruce (qui était effectivement un disciple de Delaunay), Marie Laurencin et, avec certaines réserves, Gleizes et Metzinger. Mais, le même jour, paraît dans Montjoie ! un article (supplément au n° 3) où il cite également Léger et Marie Laurencin, mais ajoute Picabia et la " peinture vaguement orphique de Morgan Russell ". Le 25 mars (l'Intransigeant), il nomme Delaunay, Léger et Picabia, puis — sans bien préciser s'il les prend vraiment pour des orphistes — Marie Laurencin, Metzinger, Luc-Albert Moreau, La Fresnaye, le Hongrois Szobotka et Chagall. Dans les Peintres cubistes (Paris, 1913), il cite Picasso, Delaunay, Léger, Picabia, Duchamp et, en appendice, Pierre Dumont et Henry Valensi. En novembre, enfin, rendant compte du premier Salon d'automne de Berlin (les Soirées de Paris, n° 18), il parle des envois de Delaunay et de sa femme, puis de ceux de Gleizes, Kandinsky, Léger, Metzinger, Picabia et des futuristes italiens et conclut ainsi : " [...] c'est là une exposition historique, et si l'Orphisme s'est révélé la première fois aux Indépendants, c'est ici le premier Salon de l'Orphisme ".

   En réalité il semble que ce terme, qui au départ ne désignait que la seule peinture de Delaunay, ait fini par être appliqué par Apollinaire à tout ce qui était d'avant-garde, mais ne ressortissait pas au Cubisme orthodoxe, c'est-à-dire à celui de Picasso. De ce point de vue, l'expression de " Cubisme écartelé ", qu'il employait aussi parfois, était certainement moins fâcheuse, car elle ne risquait pas d'introduire de confusion.

   Sachant qu'Apollinaire était l'ami de tous les peintres avancés et le porte-parole quasiment officiel du groupe cubiste, la plupart des autres critiques lui emboîtèrent le pas et se mirent à parler de l'Orphisme comme d'un mouvement dûment catalogué. Lorsqu'on relit leurs comptes rendus du Salon des indépendants de 1913, on s'aperçoit toutefois que le terme ne fut guère employé que pour les exposants de la salle 45, où se trouvait la grande toile de Delaunay intitulée l'Équipe de Cardiff (1912-13, Paris, M. A. M. de la Ville). Le mot ayant été forgé pour celui-ci, tout le monde le considérait en effet comme le leader de la nouvelle tendance. Rares, il est vrai, furent les critiques qui ne séparèrent pas des orphistes au moins trois peintres qui exposaient dans la même salle : Van Dongen (classé depuis longtemps parmi les fauves), Chagall (encore très peu connu à Paris) et Alice Bailly. Tous en revanche réunirent autour de celui de Delaunay les noms de P. H. Bruce (réel disciple, on l'a dit, de ce dernier), de Morgan Russell (créateur avec Stanton Macdonald-Wright d'un mouvement intitulé Synchromisme qui, malgré les affirmations de leurs auteurs, était nettement influencé par Delaunay), de Francis Picabia, de Fernand Léger et du Tchèque František Kupka, dont les 2 toiles — Plans verticaux (1912-13, Paris, M. N. A. M.) et le Solo d'un trait brun (1912-13, musée de Prague) — ne présentaient guère d'affinités avec l'art de Delaunay, encore que leur auteur ait été, avec lui, l'un des premiers créateurs de la peinture non figurative, de laquelle relevaient du reste ces deux œuvres.

   Cette confusion entre l'esthétique de Delaunay et celle de Kupka devait durer particulièrement longtemps. Il n'y a guère qu'une dizaine d'années que ce rapprochement purement fortuit ne fait plus illusion. Détail curieux, on notera qu'Apollinaire lui-même ne mentionna même pas l'envoi de Kupka. Bien mieux, le nom de cet artiste ne figure dans aucun de ses écrits.

   Mais, quoi qu'il en soit de ce point de détail, il faut dire pour conclure que, le vocable d'orphisme ne correspondant à aucune tendance réelle, mais regroupant seulement et de manière tout à fait arbitraire un nombre très variable de personnalités extrêmement différentes, souvent même opposées (Delaunay, Duchamp, Kandinsky), il est impossible de retracer l'histoire d'un mouvement pictural qui n'a jamais existé en tant que tel, la seule histoire que l'on puisse valablement conter étant finalement celle du terme lui-même.