Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Gauguin (Paul) (suite)

Premier voyage à Tahiti (1891-1893)

Le succès relatif d'une vente aux enchères, le 23 février 1891, lui permet de s'embarquer le 4 avril après avoir reçu en un banquet amical l'hommage des symbolistes. Son unique eau-forte, gravée avant son départ, est un portrait de Mallarmé. Ébloui par la beauté des indigènes et des paysages polynésiens, Gauguin retrouve d'emblée à Tahiti les larges rythmes classiques des bas-reliefs égyptiens (Te Matete, musée de Bâle), la tendre spiritualité des primitifs italiens (La orana Maria, Metropolitan Museum) et les aplats contournés des estampes japonaises (Pastorales tahitiennes, Moscou, musée Pouchkine), qu'il utilise avec une suprême liberté plastique et chromatique (la Sieste, 1891-92 ?, coll. Annenberg). Exaltant la luxuriance des couleurs tropicales, il confère souvent à leur ténébreuse incandescence le symbolisme mystérieux des mythes païens (la Lune et la Terre, New York, M. O. M. A.) et des terreurs superstitieuses et sensuelles (L'esprit des morts veille, Buffalo, Albright-Knox Art Gallery). Au jour le jour, l'artiste consigne impressions et documents dans plusieurs récits illustrés : l'Ancien culte mahorie et Noa Noa (Louvre, cabinet des dessins), qui, revu par Charles Morice, sera publié dans la Revue blanche en 1897.

Retour en France (1893-1895)

De nouveau sans ressources matérielles, Gauguin revient en France de 1893 à 1895 ; déprimé par l'isolement, cultivant avec ostentation et mépris un exotisme désormais artificiel, il expose chez Durand-Ruel, n'obtenant qu'un succès de curiosité. Les toiles qu'il peint alors sont un rappel agressif et nostalgique de son expérience tahitienne (Aita tamari vahina Judith ; Mahana no Atua, Chicago, Art Inst.).

   Gauguin retourne au Pouldu et à Pont-Aven, où, blessé dans une rixe, il est contraint à l'immobilité. Il réalise alors un étonnant ensemble de gravures sur bois où il exprime l'effroi silencieux des cultes tahitiens dans une technique contrastée et précise renouvelée des xylographies primitives.

Second séjour à Tahiti (1895-1903)

Après une lamentable liquidation de son atelier en salle des ventes, Gauguin regagne Tahiti en mars 1895. Solitaire, endetté, malade, dépressif, il traverse dès son retour une terrible crise, aggravée par la mort de sa fille Aline. Les inquiétudes de la destinée humaine, un besoin encore accru de solidité plastique et de rythmes classiques marquent plus que jamais son art (Nevermore, 1897, Londres, Courtauld Inst. ; Maternité, v. 1896). Avant son suicide manqué de février 1898, il exécute une large composition, D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? (1897, Boston, M. F. A.), testament pictural où " le hâtif disparaît et la vie surgit " dans la somptuosité d'une matière austère. À partir de 1898, régulièrement soutenu par Vollard, puis par quelques fidèles amateurs tels que Fayet, Gauguin retrouve une certaine aisance matérielle, constamment compromise par la lutte procédurière contre les autorités civiles et religieuses de l'île. Il exprime son messianisme de persécuté agressif dans deux feuilles, les Guêpes et le Sourire, " journal sérieux " illustré de gravures sur bois, et dans les bois sculptés qui ornent sa case, " la Maison du Jouir " (1902, musée d'Orsay). Peints en 1899, les Seins aux fleurs rouges (Metropolitan Museum) et les Trois Tahitiens (Édimbourg, N. G.) témoignent encore du charme secret et étrange de ses larges volumes. Après son installation en 1901 à Atuona, dans l'île marquisienne de Hivaoa, Gauguin, de plus en plus affaibli, accentue en touches vibrantes le profond raffinement de ses accords verts, violets et roses (Et l'or de leur corps, 1901, Orsay ; l'Appel, 1902, musée de Cleveland ; Cavaliers sur la plage, 1902, coll. Niarchos). Pendant ces dernières années, il écrit beaucoup : lettres à ses amis, étude sur l'Esprit moderne et le catholicisme et Avant et après, importante méditation anecdotique et romancée sur sa vie et sur son œuvre. Il meurt à Atuona le 8 mai 1903.

L'influence de Gauguin

Divulguée par les expositions organisées après sa mort, son influence ne tarda pas à s'étendre au-delà du cercle des artistes qui l'avaient côtoyé à Pont-Aven ou des Nabis, qui, à l'académie Ranson, avaient reçu son message par l'intermédiaire de Sérusier. Les œuvres de Willumsen au Danemark, de Munch en Norvège, de Modersohn-Becker en Allemagne, de Hodler en Suisse, de Noñell en Espagne et du Picasso de ses débuts annoncent les emprunts encore plus significatifs de fauves et de cubistes français comme Derain, Dufy et La Fresnaye ou d'expressionnistes allemands tels que Jawlensky, Mueller, Pechstein ou Kirchner.

   Gauguin est représenté dans tous les grands musées ; celui d'Orsay conserve un bel ensemble du maître. Un musée Gauguin inauguré à Tahiti en 1965 contient de nombreux documents sur l'artiste. Une importante rétrospective a été présentée à Washington, Nat. Gal. of Art, 1988 ; à Chicago, Art Institute, 1989 ; et à Paris, Grand Palais, 1989.

Gavarni (Sulpice Guillaume Chevallier, dit Paul)

Dessinateur français (Paris 1804  – id. 1866).

Il fut l'un des plus brillants collaborateurs des journaux illustrés de lithographies en vogue au XIXe s. et laissa un œuvre fécond (plus de 8 000 pièces) : la Mode, où Émile de Girardin l'appela à collaborer aux côtés de V. Hugo, E. Sue, C. Nodier ou Balzac, l'Artiste, où parut sa suite Études d'enfants, la Caricature, le Charivari, qui publia de lui Fourberies de femmes en matière de sentiment, 1837, et les Étudiants et les Lorettes, 1841. En 1847, il publia dans l'Illustration des scènes de la vie londonienne. Étranger à la caricature politique, il dépeignit la société de son temps. À la fois mondain recherché et ami des classes modestes, il se fit moraliste humoristique. Son trait élégant s'attacha à représenter la figure féminine, et il devint l'historien des mœurs parisiennes sous la monarchie de Juillet, inspirant nombre d'écrivains tels que Murger ou Flaubert. Au cours de ses deux séjours à Londres (1847-1851), il prêta une attention nouvelle aux types populaires, aux quartiers pauvres londoniens qu'il présenta dans sa série les Anglais chez eux. À son retour, il reprit, en les renversant, d'anciens thèmes (les Parents terribles, les Lorettes vieillies, Ce qui se fait dans les meilleures sociétés) empreints d'une ironie amère, et traduits dans un style vif, concis et expressif. De ses voyages en France, en particulier dans les Pyrénées, il rapporta des aquarelles précises et sensibles (Louvre), trop oubliées de nos jours.