Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Fetti (Domenico)
ou Domenico Feti

Peintre italien (Rome v.  1589  – Venise 1623).

La première partie de sa courte carrière se déroula à Rome, où il avait été protégé par le cardinal Ferdinando Gonzaga, qui, devenu duc de Mantoue, l'appela à sa cour en 1614 et lui confia plusieurs commandes et la charge d'inspecteur de sa galerie. Envoyé par le duc à Venise, en 1621, pour acheter des tableaux, il s'y réfugia après un bref retour à Mantoue, en 1622, à la suite d'un incident avec un noble mantouan. Il mourut encore fort jeune, à Venise, le 4 avril de l'année suivante, victime de " fièvres malignes " ou, selon Baglione, des suites de " dérèglements ".

   Il s'était formé à Rome, à l'école de Cigoli (l'Ecce Homo, aux Offices, en témoigne), mais, attiré par Caravage, il s'intéressa surtout à l'interprétation néo-vénitienne que Borgianni donnait du Caravagisme. Il sut deviner en Rubens (à Rome au début du siècle) non seulement le grand baroque, mais aussi l'admirateur des Vénitiens. Ces impulsions furent déterminantes pour l'orientation de Fetti, qui, bien que n'étant pas vénitien, sut s'intégrer à l'histoire de cette culture pendant son court séjour dans la république, assimilant l'héritage du XVIe s. vénitien et contribuant au renouvellement de cette peinture au XVIIe s.

   Il est difficile de suivre chronologiquement l'évolution du style du peintre pendant sa courte carrière, car ses œuvres — pas plus les grands tableaux religieux que ceux de petit format (Paraboles, qui ont fait sa renommée, et scènes mythologiques) — sont très rarement datées.

   Dans la grande toile de la Multiplication du pain et des poissons (Mantoue, Palais ducal), probablement peinte à Mantoue à son retour de Venise en 1621, l'artiste montre sa connaissance de la grande peinture vénitienne du XVIe s. et, particulièrement, de Tintoret, tandis que l'interprétation naturaliste du récit évangélique, avec des accents d'une réalité populaire caractéristique du XVIIe s., porte la marque du Caravagisme. Cependant, le système expressif de Fetti est incontestablement nouveau et indépendant de toute contrainte culturelle. Son pinceau vibrant, léger et son chromatisme savoureux et lumineux poursuivent l'évocation d'un univers poétique et fantasque qui s'inspire à la fois d'un réalisme pittoresque et des visions nées d'une imagination inquiète et presque romantique. C'est le monde de la pensive Mélancolie (Venise, Accademia ; réplique avec variante peinte au Louvre), tout à la fois triste et florissante dans la lumière livide, de l'arrogant David (id.) et des nombreuses et célèbres Paraboles, souvent reprises par son fils Pietro Fetti. Citons la Drachme perdue (Dresde, Gg), le Vigneron et le Fils prodigue (Dresde, Gg), le Bon Samaritain (musée de San Diego et Boston, M. F. A.), la Perle (Dresde, Gg). Il s'agit là d'un ensemble de chefs-d'œuvre ; le goût de l'anecdote savoureuse, à la manière des " peintres de genre " nordiques, rappelle la sensibilité de Bassano, mais annonce celle des Bamboccianti. Ces œuvres paraissent toutefois nourries d'un sentiment d'inquiétude, malgré le brio de la couleur, dont la clarté lumineuse suggère l'exemple de Véronèse. Certains épisodes d'un réalisme dramatique n'évoquent-ils pas Bruegel (les Aveugles de Dresde, Gg) ? Conçue selon la tradition vénitienne du XVIe s., la Fuite en Égypte (Vienne, K. M.) présente des analogies avec l'art de Tintoret, la luminosité de Véronèse et, d'une façon toute nouvelle, avec la conception du paysage d'un Elsheimer. Les épisodes mythologiques du K. M. de Vienne (Andromède et Persée, Héro et Léandre, le Triomphe de Galatée), œuvres exquises et qui prouvent avec éclat le rôle essentiel que Fetti occupe non seulement sur la scène vénitienne, mais aussi sur celle, plus vaste, du Baroque italien, témoignent d'une veine plus élégiaque et d'une couleur plus rare qui annoncent le XVIIIe s. Une rétrospective lui a été consacrée à Fetti (Mantoue, Palais du Té) en 1996.

Feuerbach (Anselm)

Peintre allemand (Speyer 1829  – Venise  1880).

De 1845 à 1848, il étudia à l'Académie de Düsseldorf, où il fut l'élève de Lessing et W. von Schadow, puis fréquenta à Munich l'atelier de Kaulbach (1848) chez le peintre d'histoire Wapper. Il séjourna en 1850 à Anvers et de 1851 à 1854 à Paris. Il subit alors l'influence de Couture, dont il fréquente l'atelier, comme en témoigne par son coloris et sa technique sa première œuvre, Hafis devant une auberge (1852, musée de Mannheim). Après avoir séjourné à Karlsruhe, il part en 1855 pour Venise, où il s'imprègne de l'art de Palma, de Titien, de Véronèse ; de là, il se rend à Florence, puis à Rome, où il se fixe jusqu'en 1872 et où s'affirme son style méditatif et grave. Influencé par la Renaissance italienne, il peint des scènes inspirées de la vie et des œuvres de Dante, de l'Arioste, de Pétrarque et de Shakespeare, des compositions à thèmes bibliques et des sujets empruntés à la mythologie grecque. Il exécute de 1861 à 1865 de nombreux portraits de son modèle romain Anna Risi (Nanna), qui correspond à son idéal de beauté mélancolique et sévère (la Joueuse de mandoline, 1865, musée de Hambourg). Les principales œuvres de son séjour romain sont : Iphigénie (1862 et 1871, musée de Darmstadt ; Stuttgart, Staatsgal.), la Pietà (1863, Munich, Schackgal.), Hafis à la fontaine (1866, id.), Médée (1870, Munich, Neue Pin.), le Banquet de Platon (1869 et 1873, musée de Karlsruhe et Berlin, N. G.) et le Combat des amazones (1873, Nuremberg, Städtische Kunstsammlungen). De 1872 à 1876, il enseigne à l'Académie de Vienne et décore des plafonds pour cet édifice. En butte à de nombeuses critiques, il quitte Vienne pour Venise, lieu principal de son activité à partir de 1877. Sous l'influence de la Renaissance vénitienne, il peint en 1878 le Concert (Berlin, N. G., auj. détruit). Outre ses tableaux d'histoire, il a peint des paysages, des portraits et des Autoportraits (musée de Karlsruhe, 1852 et 1878). Le but de ses efforts était d'opposer à la peinture d'histoire, souvent banale à cette époque, des œuvres d'une signification plus haute, répondant à une conception austère. Coloriste doué, il utilise volontairement des tons retenus, composant de subtils accords de mauves et de verts, qui donnent aux drapés lourds et aux formes nobles une douceur mystérieuse ; ses compositions conjuguent avec bonheur rigueur majestueuse et intériorité impénétrable.

   Son art est marqué par sa culture humaniste, qui donne une profonde signification au contenu littéraire de ses œuvres, que contrebalance cependant un sens aigu de la forme. Ami de Böcklin, proche de von Marées, exact contemporain de Puvis de Chavannes, il s'oppose à Piloty et Makart. Il fut peu compris par ses contemporains et n'eut pratiquement pas de continuateurs.