BACALL (Betty Joan Perske, dite Lauren) (suite)
Car son abattage, si réjouissant encore dans le Grand Sommeil, se révèle bientôt un piège. Il force les réalisateurs à déployer autour du personnage bacallien un réseau d'affrontements virils hors duquel elle ne peut guère jouer qu'un rôle décoratif ou, dans l'immédiat après-guerre, tenir l'emploi de garce froide, plus propice à Joan Crawford, Bette Davis et Barbara Stanwyck. Delmer Daves (les Passagers de la nuit) et John Huston (Key Largo) ne renouvelleront donc pas l'exploit de Hawks, et Bacall devra attendre le Michael Curtiz de la Femme aux chimères pour triompher dans un rôle de mante religieuse exploitant à nouveau tout son potentiel dramatique.
Après ce bref retour au film noir, elle s'oriente vers la comédie (Comment épouser un millionnaire, Les femmes mènent le monde), qui lui fait arborer le visage d'une femme adulte, accomplie et sûre d'elle-même. Déliée, suprêmement élégante, mondaine sans afféterie, elle laisse toujours deviner le tempérament d'une lutteuse fière de ses prérogatives (la Femme modèle, son film le plus accompli dans ce registre, sera tourné pendant la longue agonie de Bogart, qui mettra fin, en 1957, à douze années de mariage, jalonnées par quatre films en commun). Le mélodrame Écrit sur du vent tempère légèrement cette image, estompe son relief, privilégie une certaine vulnérabilité, sans altérer pour autant la distinction, la drôlerie et le tempérament très direct de la comédienne. Ces films mettent plus en valeur une forte personnalité qu'une actrice (c'est ainsi que Hawks la caractérisait, lucidement). Et c'est encore à ce titre, en survivante gouailleuse des années 40, qu'elle a animé à la scène Cactus Flower et Applause (version musicale de Eve, qui lui a valu le Tony). Après son dernier grand rôle, celui de l'émouvante veuve qui vit un amour en demi-teintes avec un « gunman » malade de cancer dans le Dernier des géants, le cinéma continue de faire appel à elle mais pour des rôles de complément. Intelligente, Lauren Bacall les accepte de bonne grâce et s'acquitte de sa tâche avec l'élégance et le professionnalisme qui sont depuis longtemps associés à son nom. En raison de son image, les rôles d'éditrice mondaine (Misery) ou de chroniqueuse de mode (Prêt-à-porter) ne lui posent aucun problème. Mais on la voit parfois dans des emplois plus inhabituels (Mr. North). Elle a publié une autobiographie (Lauren Bacall, par moi-même), en 1978 et un livre de mémoires (Maintenant), en 1995.
Films :
le Port de l'angoisse (H. Hawks, 1944) ; Agent secret (H. Shumlin, 1945) ; Two Guys from Milwaukee (D. Butler, cameo, 1946) ; le Grand Sommeil (Hawks, id.) ; les Passagers de la nuit (D. Daves, 1947) ; Key Largo (J. Huston, 1948) ; la Femme aux chimères (M. Curtiz, 1950) ; le Roi du tabac (id., id.) ; Comment épouser un millionnaire (J. Negulesco, 1953) ; Les femmes mènent le monde (id., 1954) ; la Toile d'araignée (V. Minnelli, 1955) ; l'Allée sanglante (W. Wellman, id.) ; Écrit sur du vent (D. Sirk, 1957) ; la Femme modèle (Minnelli, id.) ; The Gift of Love (Negulesco, 1958) ; Aux frontières des Indes (North West Frontier, J. L. Thompson, 1959) ; Shock Treatment (D. Sanders, 1964) ; Une vierge sur canapé (R. Quine, id.) ; Détective privé (J. Smight, 1966) ; le Crime de l'Orient-Express (S. Lumet, 1974) ; le Dernier des géants (D. Siegel, 1976) ; Health (R. Altman, 1979) ; The Fan (Edward Bianchi, 1981) ; Rendez-vous avec la mort (M. Winner, 1988) ; Mr. North (Danny Huston, id.) ; Une étoile pour deux (A Star for Two, Jim Kaufman, 1990) ; Misery (R. Reiner, id.) ; Prêt-à-porter (R. Altman, 1994) ; Leçons de séduction (The Mirror Has Two Faces, B. Streisand, 1996) ; My Fellow Americans (Peter Segal, id) ; le Jour et la nuit (Bernard-Henri Levy, 1997).