GARAT (Henri Garascu, dit Henri)
acteur français (Paris 1902 - Hyères 1959).
Il est le « jeune premier » par excellence du cinéma français des années 30, après avoir débuté au music-hall (en 1918), fait un peu de comédie et du tour de chant, où il avait été remarqué — et séduit — par Mistinguett. Il tourne un premier film en 1930 : la version française des Deux Mondes de Ewald André Dupont. Le succès lui vient avec le Chemin du paradis (W. Thiele, 1930) et Le congrès s'amuse (E. Charell, id.), deux opérettes filmées où il pousse la romance, remplaçant dans les versions françaises l'Allemand Willy Fritsch. Sa popularité va s'amplifier, au fil de bandes pourtant médiocres (Il est charmant, L. Mercanton, 1932 ; Un rêve blond, Paul Martin, id. ; Un mauvais garçon, Jean Boyer, 1936, etc.), jusqu'à en faire une véritable idole des foules : les femmes embrassent les pneus de sa voiture ; il s'offre yacht et avion, épouse une princesse russe, gaspille des millions vite amassés. Parmi ses « conquêtes » : Florelle, Jane Marnac, Lilian Harvey... Une série d'échecs tout aussi imprévisibles que ses réussites, la drogue, la prison précipitèrent sa chute. Elle fut rude. Après plusieurs mariages manqués, sa fortune dilapidée, il se retrouve (comme Méliès !) propriétaire d'un magasin de jouets (à l'enseigne du « Chemin du paradis » !). Un come-back pitoyable, organisé par de vieux amis dans un cabaret des Champs-Élysées, mit un peu de baume sur ses plaies. Quand il mourut, il était paralysé des deux jambes. Il fut enterré dans son légendaire smoking blanc... De la trentaine de films qu'il a tournés, un seul peut-être est à sauver : On a volé un homme, de Max Ophuls (1934, avec Lili Damita).
GARBO (Greta Lovisa Gustafsson, dite Greta)
actrice américaine d'origine suédoise (Stockholm 1905 - New York 1990).
Naturalisée américaine en 1951, elle est, avec Chaplin sans doute, la personnalité la plus universellement célèbre du cinéma. « Garbo » demeure l'archétype absolu de cet étonnant phénomène sociologique que fut la star, si exactement définie par André Malraux : une star est « une personne dont le visage exprime, symbolise, incarne un instinct collectif », « une femme capable de faire naître un grand nombre de scénarios convergents... comme les créateurs de mythes inventèrent l'un après l'autre les travaux d'Hercule ». Sa beauté fut légendaire (on vérifia sur ses traits le nombre d'or) et sa « mythologie », issue de ses films, alimentée tant par la publicité des studios, les rêves des admirateurs, les fables des journalistes, que par le soin farouche qu'elle mit à tenir secrète sa vie privée, fit d'elle aussi une figure de légende, un symbole vivant : « Sphinge du nord », « Divine », « Femme fantôme », « Mademoiselle Hamlet ». Son éloignement volontaire des écrans, à trente-six ans, en pleine lumière, a préservé jusqu'à nous l'aura magique de son personnage. Magie d'autant moins contestable que, trois fois sur quatre, elle transfigure des scénarios, et parfois des mises en scène, qui sans Garbo seraient au bord de l'inepte.
Troisième enfant d'une famille pauvre (le père est journalier, la mère coud pour les gens), Greta Gustafsson est orpheline à quatorze ans. Elle quitte l'école, se met au travail. D'abord assistante de barbiers-coiffeurs, elle est bientôt vendeuse au rayon des chapeaux de dames dans les grands magasins PUB de Stockholm. Promue « modèle », elle présente les chapeaux sur le catalogue de la maison puis intervient dans le film publicitaire que son patron a commandé à la firme Ragnar Ring. Encore un film publicitaire de Ring pour une Coopérative de consommateurs puis un petit rôle dans une comédie burlesque, Peter le vagabond (1922). Elle prépare alors le concours d'entrée à l'Académie royale d'art dramatique. Elle y est admise et, après deux semestres d'études sous la direction de Gustav Molander, Mauritz Stiller lui confie le rôle de la comtesse italienne Élisabeth Dohna dans la Légende de Gösta Berling (1924). Le cinéaste s'éprend d'elle. Il prophétise solennellement qu'elle deviendra une grande actrice internationale si elle lui obéit en tout, et, effectivement, il la modèlera comme Pygmalion sa Galathée. Fascinée, Greta Gustafsson rebaptisée Garbo lui abandonne son destin. Le film est un succès, spécialement en Allemagne, pour Garbo, superbe, qui révèle déjà cette mélancolie lointaine, ce romantisme distant qui la caractériseront toujours. À Berlin, Stiller négocie avec la Trianon la réalisation de l'Odalisque de Smolna qui doit être tourné sur le Bosphore. Malgré le voyage à Istanbul, le film ne se fait pas. Stiller, désargenté, endetté auprès de la Svensk Filmindustrie, « loue » sa vedette à Georg Wilhelm Pabst pour la Rue sans joie. Il lui fait travailler toutes ses scènes mais n'a pas accès au plateau. Pabst pose sur la beauté de Garbo comme un voile funèbre, donne à sa pureté menacée un air de somnambulisme. Pour effacer les effets du trac, d'une trop grande mobilité du visage qui en rendent la photographie difficile, Guido Seeber, l'opérateur, filme ses gros plans au ralenti, expédient technique qui ne va pas sans retentir sur le style futur de l'actrice. De passage à Berlin en 1925, Louis Mayer engage Stiller pour le compte de la MGM et aussi, sans conviction, seulement parce que ce dernier l'exige, Greta Garbo. À Hollywood, première déception : Garbo tourne son premier film sans Stiller, le Torrent (1926), mélodrame flamboyant adapté de Blasco Ibañez (mais, cette fois encore, Stiller la prépare et la dirige « clandestinement », hors du studio). Le film plaît et rapporte. La deuxième interprétation, la Tentatrice (1926), encore d'après Ibañez, répète presque le premier. La Metro commence à croire en l'étoile de Garbo, laquelle exige que le film soit confié à Stiller. Mais, au bout de dix jours difficiles, ce dernier, qui ne s'adapte pas aux méthodes d'Hollywood, est remplacé par Fred Niblo. C'est dans la Tentatrice que Garbo apparaît plus radieusement charnelle qu'elle ne le sera jamais. La Metro semble avoir très tôt arrêté sa politique vis-à-vis de sa vedette. D'abord l'exotisme, et, puisqu'elle vient du Nord, on l'affrontera, comme Stiller déjà dans la Légende, au charme latin. Elle est blonde et espagnole dans le Torrent. Brune et parisienne dans la Tentatrice, elle y torture les cœurs dans un ranch argentin. Ensuite, elle sera, chronologiquement, russe dans une Anna Karenine actualisée (la révolution soviétique n'a pas eu lieu !), comtesse hongroise (la Chair et le Diable), espionne russe (la Belle Ténébreuse), parisienne encore (la Femme divine) puis lyonnaise (le Baiser), américaine pour finir. Cet exotisme s'avère un parfait révélateur de la personnalité et des moyens de l'actrice. Et, comme pour s'assurer qu'aucune facette de son talent ne sera oubliée, la MGM diversifie ses metteurs en scène : 24 films, quinze réalisateurs différents. Privilégié, Clarence Brown la dirigera sept fois. Rentré en Suède malade et aigri, Stiller meurt en novembre 1928, laissant Garbo désemparée. Elle s'enferme dans l'anonymat et la solitude. La Metro redoute que le sonore ne soit fatal à l'actrice, star du muet. Elle met les bouchées doubles : quatre films en 1929. Mais Anna Christie (1930) impose aussi « la voix de contralto profond » de Garbo. Le réalisme poétique du film ne contredit pas le mythe, il le nourrit de pouvoirs nouveaux. La légende peut flamber de plus belle. Une féconde compétition commence bientôt entre la MGM et la Paramount, Greta Garbo et Marlene Dietrich, Gilbert Adrian et Travis Banton, leurs costumiers respectifs. Entre la Courtisane (1931) et Blonde Vénus (J. von Sternberg, 1932), Mata-Hari (1931) et X 27 (Von Sternberg, id.), l'Inspiratrice (1931) et Cantique d'amour (R. Mamoulian, 1933), Romance (1930) et la Femme et le Pantin (Von Sternberg, 1935), la Reine Christine (1933) et l'Impératrice rouge (Von Sternberg, 1934), le Voile des illusions (1934) et le Jardin d'Allah (R. Boleslawsky, 1936) s'engage un passionnant jeu d'échos, de correspondances et de symétries. Dans ses premiers rôles américains (muets), Garbo incarne une « mauvaise femme », vamp que le destin châtie à la fin, encore que, dès la Chair et le Diable, la fatalité de l'amour lui soit une circonstance atténuante. Aussi bien les studios, hésitants, tournent-ils deux fins, une tragique et une heureuse, pour la Tentatrice et Anna Karenine. Puis c'est de l'égoïsme masculin et du puritanisme dominant que Garbo devient la victime trop aimante, amoureuse perdue par l'amour. De là, la dimension authentiquement féministe de ses films (qui s'annonce parfois dès le titre, tel A Woman of Affairs). Pour finir, et c'est la plus haute période, son impossibilité d'être aimée se révèle impossibilité de vivre, nostalgie de l'absolu, une sorte d'exil au sein de la condition humaine. À partir de 1939, le phénomène parareligieux du « divisme » décline. Bientôt la guerre privera Hollywood du marché européen sur lequel les films de Garbo font l'essentiel de leurs recettes. L'« Étrangère » doit être convertie en Américaine, l'étoile inaccessible ramenée sur la terre commune. Ernst Lubitsch trouve en elle une merveilleuse actrice comique pour Ninotchka, comédie ouvertement antisoviétique, pleine de sel. « Garbo rit », affiche la publicité. Ce n'était pas si nouveau mais cette fois elle fait rire, désinvolte, élégante et suprêmement digne. Deux années encore, et son « humanisation » est accomplie. Dans la Femme aux deux visages, dont l'humour s'essouffle vite, elle incarne « la femme américaine type », gaie, sportive, conquérante épanouie. On l'y voit en costumes succincts et dessous transparents. Le mythe agonise : pour ramener à elle son mari, l'ex-star doit se dédoubler en sa sœur jumelle plus séduisante qu'elle ! Garbo se plie mal à l'entreprise, persuadée qu'il s'agit d'« un complot pour la couler ». Adrian (son costumier habituel), révolté, quitte la MGM. Le film n'a guère de succès ; il soulève en revanche l'indignation de la National Legion of Decency, qui l'accuse d'immoralité. Garbo décide d'abandonner l'écran, « jusqu'à la fin de la guerre », disent certains. Mais elle n'y reviendra plus, scellant ainsi sa légende dans la jeunesse et la beauté.