Conception de l'art cinématographique reposant sur l'exploitation du fonds romanesque et dramatique, et qui fait appel aux écrivains en renom (scénarios) ainsi qu'aux acteurs célèbres du théâtre. Deux sociétés, surtout, créées en 1908, d'abord la Société cinématographique des auteurs et gens de lettres (SCAGL), sous l'impulsion de Pathé, puis celle du Film d'art, à laquelle devait s'identifier ce courant, traduisent l'intérêt des uns et des autres pour cette « nouvelle forme de théâtre », encore que les écrivains, et cela malgré une intéressante proposition d'Edmond Benoît-Levy, manquent alors l'occasion de prévoir la réglementation des droits. Mais le film d'art marque également la volonté, de la part de quelques esprits distingués, écrivons-le sans ironie, de sauver le cinéma des pantomimes burlesques, voire de la vulgarité et de la superficialité des sujets offerts au public, de l'usure aussi des trouvailles de Méliès. Le mouvement n'est pas sans précurseurs, héritier au fond des « tableaux vivants » : un premier Assassinat du duc de Guise, (no 752 du catalogue Lumière) est « mis en scène » par Georges Hatot et dure une minute ; une décapitation de Marie Stuart est réalisée à la même époque grâce à la « Black Maria » d'Edison et diffusée par les Kinetoscopes. Puis, chez Pathé, Zecca tourne l'Affaire Dreyfus en plusieurs « tableaux », exploitant alors au maximum le goût du public pour les « actualités reconstituées » (guerre russo-japonaise, élection du pape, etc.). Tout cela aboutit au triomphe, le 17 novembre 1908, salle Charras à Paris, du film mis en scène par André Calmettes pour le Film d'art, qu'il fonde avec Charles Le Bargy : l'Assassinat du duc de Guise (314 mètres, soit 20 minutes de déroulement). Ce ne sont pas moins que l'Académie (le scénario est de Henri Lavedan ; il est bien conçu, les caractères existent) et la Comédie-Française qui volent lourdement au secours du cinématographe. Les rôles sont confiés à Le Bargy, Albert Lambert, Gabrielle Robinne... La musique composée sur l'image, scène après scène, est de Camille Saint-Saëns. Les décors, s'ils sont vacillants, sont fidèles, comme les costumes. « Le cinéma, déclare Charles Pathé — alors aussi distributeur du Film d'art —, est à son apogée. » Dès lors, le genre fait recette. Éclair fonde l'Association cinématographique des auteurs dramatiques (ACAD), pour laquelle Victorin Jasset réalise, entre deux feuilletons, un Philippe le Bel et les Templiers (1909). L'époque aime l'Histoire, à travers Walter Scott, Hugo et Dumas... On pille, avec plus ou moins de bonheur, le répertoire romantique, à Paris, Turin, Milan (notamment les Milano et Itala film), et l'Antiquité : Calmettes tourne le Retour d'Ulysse d'après Jules Lemaître, Armand Bour un Baiser de Judas (avec Mounet-Sully). En 1913, Pie X croit utile d'interdire la représentation cinématographique des épisodes de l'Évangile... Henri Desfontaines, Henri Pouctal (Camille Desmoulins, 1911, la Dame aux camélias, 1912) assurent jusqu'à la guerre le succès du Film d'art, dont Charles Delac puis Louis Nalpas ont repris la direction, alors que la SCAGL déclinait. En 1912, Sarah Bernhardt était allée à Londres interpréter la Reine Élisabeth de Desfontaines et Louis Mercanton. Une des conséquences du film d'art est, indéniablement, un assujettissement aux « vedettes », dont les excès vont empoisonner le cinéma, à commencer par le cinéma italien. L'Histoire, d'autre part, veut des décors, des costumes, de la figuration. Les coûts de production croissent sensiblement. Sinon dans la vérité, on donne dans le luxe, qui prélude au gigantisme. Du film d'art sortiront et le péplum italien (la Chute de Troie de Pastrone est de 1910, Cabiria de 1914) et Gance ; même Griffith est impressionné par l'Assassinat du duc de Guise. Mais, si Griffith invente son langage, le film d'art pèse encore sur le cinéma de tout le poids du théâtre et de la littérature dont il est issu, et dont il demeure le support, sans ressentir vraiment la nécessité de s'en libérer. L'acquis réel se situe peut-être ailleurs : dans l'élaboration du scénario et, finalement, du décor.