KOZINTSEV (Grigori) [Grigorij Mihajlovič Kozincev] (suite)
Dès l'âge de quatorze ans, ce jeune Ukrainien participe comme apprenti décorateur à des spectacles d'agit-prop où il fait la connaissance de Sergueï Youtkevitch ; en 1920, il part pour Leningrad, où il suit des cours de peinture à l'Académie des beaux-arts et se lie d'amitié avec Leonid Trauberg. Très influencés tous deux par les théories de Meyerhold et l'activisme poétique de Maïakovski, marqués par la découverte des films à épisodes de Feuillade et des premiers burlesques de Chaplin, ils fondent en 1921, avec Youtkevitch qui les a rejoints, la FEKS (Fabrique de l'acteur excentrique), à laquelle s'intègrent Guerassimov comme acteur et Eisenstein (très provisoirement) comme « professeur ».
Après une mise en scène théâtrale (combinant cirque, cabaret et cinéma) de l'Hyménée de Gogol, Kozintsev et Trauberg (qui feront équipe jusqu'en 1945) débutent dans le cinéma avec les Aventures d'Octobrine (Pohoždenija Oktjabriny, 1924), une comédie d'agit-prop dénonçant les « requins » du capitalisme occidental, qui prétendent exiger des ouvriers et des paysans russes le remboursement des dettes tsaristes ; Michka contre Youdenitch (Miška protiv Judeniča, 1925) et la Roue du diable (Čertovo koleso, 1926) sont également des comédies « excentriques ». Les deux cinéastes affinent leur style dans le Manteau (Šinel ', 1926 ; d'après Gogol), le Petit Frère (Bratiška, 1927) et SVD / Neiges sanglantes / l'Union pour la grande cause (SVD, id.), sur l'insurrection des décembristes en 1825.
La Nouvelle Babylone (Novyj Vavilon, 1929) est une admirable et déchirante évocation de la Commune de Paris, pour laquelle le jeune Chostakovitch écrit une partition : la chute du second Empire, le siège de la capitale, la proclamation de la Commune et son écrasement par les versaillais sont racontés avec un art consommé de l'ellipse et de la métaphore en des images dont la densité plastique et la puissance suggestive valorisent le message politique fondé sur une analyse marxiste de la lutte des classes. Dans un style fort différent, qui se ressent déjà des problèmes esthétiques nouveaux posés par le parlant (le film est tourné en muet, puis sonorisé), Seule (Odna, 1931) est aussi une grande œuvre, littéralement illuminée, comme la précédente, par la présence d'Elena Kouzmina en vedette, ici dans le rôle d'une institutrice envoyée, pour son premier poste, dans un lointain village de l'Altaï et confrontée au difficile processus de la collectivisation des campagnes.
Seule marque le renoncement définitif aux principes de l'excentrisme au profit de ceux du réalisme, bientôt baptisé réalisme socialiste ; en même temps, les cinéastes passent des sujets historiques à la réalité soviétique contemporaine (évolution esquissée dans le Petit Frère), et abandonnent la thématique de l'individu écrasé par le système social, commune à leurs derniers films, pour une inspiration plus actuelle et plus « positive » qui va se manifester dans leur célèbre trilogie des « Maxime ». Dans la Jeunesse de Maxime (Junost ’ Maksima, 1935), le Retour de Maxime (Vozvraščenie Maksima, 1937) et Maxime à Vyborg / le Quartier de Vyborg (Vyborgskaja storona, 1939), Maxime est la figure emblématique du prolétaire révolutionnaire engagé dans la lutte avant, pendant et après le triomphe de la révolution d'Octobre : ce simple ouvrier devient peu à peu un militant et un combattant exemplaire pour accéder finalement aux responsabilités officielles dans les fonctions de président de la Banque d'État. L'acteur Boris Tchirkov, découvert par les cinéastes, est encore un « typage » mais il apporte à son personnage une vitalité et un humour qui le rendent proche de la vie réelle et font de lui plus qu'un symbole.
Pendant les hostilités, Kozintsev collabore avec Lev Arnchtam à deux « ciné-recueils de guerre » (ces deux nouvelles ont pour titre Rencontre avec Maxime [Vstreča s Maksimom], 1941, et Incident au bureau du télégraphe [Slučaj na telegrafe], id.), puis réalise (à nouveau avec Trauberg), Des gens simples (Prostye ljudi, 1945), qui relate les dures conditions de vie du front intérieur dans le pays en guerre : mais le film, jugé « raté et incorrect », ne sortira qu'en 1956. Cet incident marque la fin de la collaboration des deux hommes.
Désormais seul, Kozintsev réalise des biographies filmées selon la tendance dominante de la production stalinienne (Pirogov, 1947 ; Belinski [Belinskij], 1951), se consacre un temps au théâtre, puis entreprend une nouvelle carrière au moment du « dégel » avec une intelligente et somptueuse adaptation de Cervantès, Don Quichotte (Don Kihot, 1957), où le grand acteur Nikolaï Tcherkassov fait merveille dans le personnage vedette. Mais ce sont surtout ses versions d'Hamlet (Gamlet, 1964) et du Roi Lear (Korol Lir, 1971) qui ramènent l'attention sur lui en attirant l'admiration du public international et les louanges des shakespeariens les plus exigeants, car il y transpose avec autant de fidélité que d'invention l'univers dramatique et psychologique de l'auteur. Tout en restituant avec une vraisemblance minutieuse le décor et l'atmosphère d'époque (avec, dans le traitement plastique, des souvenirs des principes de la FEKS), il met en valeur la pérennité des idéaux humanistes du dramaturge incarnés par d'admirables comédiens (Innokenti Smoktounovski dans le premier, Juri Jarvet dans le second).
Kozintsev a publié plusieurs ouvrages : Notre contemporain, William Shakespeare (1962), l'Écran profond (1971) et l'Espace de la tragédie (1973). ▲