COULEURS (procédés de cinéma en). (suite)
À peu près à la même époque, toujours aux États-Unis, apparaissait le procédé Prizma. Initialement procédé additif dérivé du Kinemacolor, Prizma se transformait en 1919 en procédé soustractif bichrome, les deux images étant, comme dans le Kodachrome, reportées de part et d'autre du support. Racheté en 1929 par Consolidated Film Industries, Prizma eut de nombreux descendants directs ou indirects (Multicolor, Cinécolor, Trucolor), dont certains furent en usage jusque vers 1950. Au cours du même entre-deux-guerres, des procédés bichromes similaires furent mis sur le marché en Europe, notamment en Allemagne avec l'Ufacolor.
Technicolor.
C'est également en 1915 que trois ingénieurs américains, Herbert T. Kalmus, Daniel F. Comstock et W. B. Westcott, fondèrent une société dont le nom allait connaître la gloire : la Technicolor Motion Picture Association. Utilisant eux aussi une caméra à prisme diviseur, ils s'attaquèrent d'abord à la synthèse additive bichrome. Mais, lors de la tournée de présentation du premier film ainsi réalisé, Kalmus se rendit compte que la méthode additive demandait un projectionniste « qui tienne à la fois du professeur de grande école et de l'acrobate ». Se tournant alors vers la synthèse soustractive, Technicolor imagina, pour ne pas se heurter aux brevets Capstaff, de coller dos à dos deux positifs préalablement virés en couleurs comme dans le Kodachrome.
Ce Technicolor bichrome, inauguré avec un film de Chester M. Franklin, Toll of the Sea (1922), fut largement utilisé dans les années 20, parfois pour des films entiers (par ex. le Pirate, 1926), le plus souvent pour des courts métrages ou pour certaines scènes marquantes de films en noir et blanc, éventuellement teinté ou viré (par ex. les Dix Commandements, deux bobines de la Famous Players-Lasky Corp., 1923).
Le collage de films dos à dos était toutefois source de déboires. En 1929, Technicolor l'abandonna au profit du tirage par imbibition, où les négatifs issus de la prise de vues sont tirés sur des positifs distincts, qu'un traitement chimique approprié rend aptes à s'imbiber de colorant proportionnellement à la quantité d'argent contenue en chaque point de l'image. Ces positifs servent ensuite de « matrices » pour imprimer l'image colorée sur un film vierge, plus exactement sur un film où l'on a préalablement inscrit, par développement noir et blanc classique, la piste sonore et les cadres d'image. Il faut évidemment autant de matrices que de couleurs employées (deux en Technicolor bichrome, trois en Technicolor trichrome) et chacune peut servir à imprimer plusieurs centaines de copies, étant bien entendu qu'elle doit être réimbibée à chaque fois.
Malgré ce progrès, Technicolor vit son chiffre d'affaires se réduire : l'économie américaine était alors en récession, et surtout la nouveauté du parlant accaparait l'attention du public et des producteurs. Mais l'imbibition permettait désormais la synthèse trichrome, à partir des trois négatifs fournis par une nouvelle caméra, toujours basée sur le principe du prisme diviseur (figure 2). Après avoir sonné à de nombreuses portes, Kalmus finança un court métrage de démonstration (la Cucaracha, deux bobines RKO de Lloyd Corrigan, 1934) dont le succès ouvrit la voie au premier long métrage (Becky Sharp, 1935) entièrement en Technicolor trichrome, lequel gagna rapidement ses titres de gloire avec des films comme Blanche-Neige et les sept nains de Walt Disney (1937), les Aventures de Robin des Bois de Curtiz (1938), Autant en emporte le vent de Fleming (1939), le Voleur de Bagdad de Michael Powell (1940). (Disney avait employé le Technicolor trichrome dès 1932, avec des matrices établies à partir de trois enregistrements successifs des dessins, la nouvelle caméra n'étant pas encore disponible.)
Le Technicolor était un procédé assez lourd. La caméra, déjà encombrante en elle-même, méritait son sobriquet d'« armoire normande » quand on l'enfermait dans son caisson insonore. La sensibilité du procédé était modeste (moins de 10 ASA), ce qui imposait une débauche d'éclairage. Quant au tirage des copies, il requérait beaucoup de soin, et notamment une précision mécanique aux frontières du possible si l'on voulait que les trois images colorées, imprimées l'une après l'autre, soient en exacte superposition. Le Technicolor n'avait donc de sens que pour les productions importantes.
En regard, le procédé de tirage Technicolor présentait l'avantage d'être un procédé d'impression, alors que, dans les films actuels à « coupleurs », les colorants sont formés au sein même de la couche sensible à partir de réactions chimiques complexes. La palette des colorants utilisables étant de ce fait beaucoup plus large, on pouvait choisir des colorants ayant exactement les caractéristiques requises (ce qui explique que Technicolor ait atteint presque d'emblée une grande qualité dans la restitution des couleurs) et d'une grande stabilité chimique (ce qui explique pourquoi les copies Technicolor ont pendant longtemps mieux résisté au vieillissement que les copies sur films à coupleurs).
Pendant un temps, les copies Technicolor furent imprimées sur un film où l'on avait préalablement tiré une image noir et blanc légère obtenue d'après le négatif du bleu. Cela donnait du « corps » à l'image finale, mais cela dénaturait aussi certaines couleurs, et la méthode fut abandonnée en 1939.
Les films à coupleurs.
Le Technicolor nécessitait l'emploi d'une caméra spéciale, où l'enregistrement des couleurs s'effectuait par le biais de trois négatifs noir et blanc. Il restait à mettre au point un film qui enregistrerait directement les couleurs, et qui permettrait de tourner indifféremment en noir et blanc ou en couleurs avec une caméra « normale », de la même façon que, grâce au Technicolor, les exploitants pouvaient projeter indifféremment du noir et blanc et de la couleur.
Dès le début du siècle, Homolka (en 1907) et Fischer (en 1911) avaient jeté les bases du développement chromogène, où l'image colorée se forme directement dans la couche sensible à partir de « coupleurs ». ( COUCHE SENSIBLE.) Mais la chimie de l'époque ne leur permit pas d'aboutir à des réalisations pratiques. C'est seulement au milieu des années 30 qu'apparurent presque simultanément, avec le Kodachrome et l'Agfacolor (deux noms de marque qui avaient été auparavant — on l'a vu — employés pour une tout autre chose), les premiers procédés couleurs monopack, où trois couches sensibles superposées, respectivement sensibles au vert, au bleu et au rouge, sont couchées sur un même support. (Le terme « monopack » désigne le procédé grâce auquel on fait défiler dans la caméra un seul film, par opposition aux procédés bipack ou tripack, où l'on fait défiler deux ou trois films, superposés soit dans le même couloir, soit dans des couloirs distincts. Le Technicolor trichrome était un procédé tripack.) Les termes monopack et tripack sont souvent employés dans deux sens différents. Certains les utilisent pour des films à trois émulsions superposées, les désignent comme monopack parce que les émulsions y forment un bloc unique ou comme tripack, parce qu'ils comportent trois émulsions.