POLOGNE. (suite)
Cinéma et idéologie.
La guerre interrompt toute activité cinématographique. Les studios sont détruits, les écrans livrés aux films allemands, les cinéastes contraints à l'exil (çekalski et Themerson en Grande-Bretagne, Ordyński à Hollywood). D'autres disparaissent (Szaro sera fusillé dans le ghetto de Varsovie). Quant à Ford, il forme en 1943, au moment où s'organisent en URSS des unités militaires polonaises, un groupe cinématographique qui tournera de nombreuses bandes d'actualités et des documentaires d'un grand intérêt sur les événements tragiques qui se déroulent alors en Pologne.
Lorsque, le 13 novembre 1945, l'Office national du film (Film Polski) est fondé à Łódź, on en confie tout naturellement la direction à Aleksander Ford, tandis que parallèlement Antoni Bohdiewicz est placé à la tête de l'Institut du cinéma de Cracovie (1945-1947), institut dont l'école de cinéma de Łódź (avec Jerzy Toeplitz à sa direction) assurera le relais. Le film de Leonard Buczkowski Chansons interdites (Zakazane piosenki, 1947), chronique sentimentale douce-amère de la vie à Varsovie sous l'Occupation, est la première œuvre de l'après-guerre. La tragédie du pays qui se relève difficilement de ses ruines imprègne tous les films de l'époque. La lutte contre l'occupant nazi, l'héroïsme des résistants (Varsovie, ville indomptée [Miasto nieujarzmionc], J. Zarzycki, 1950), les horreurs des camps de concentration (la Dernière Étape, W. Jakubowska*, 1948), les combats du ghetto de Varsovie (La vérité n'a pas de frontière, A. Ford, 1949) demeurent les thèmes essentiels traités par les cinéastes mais aussi par les écrivains et en règle générale tous les artistes polonais. Peu à peu, suivant en cela un phénomène que l'on retrouve dans toutes les démocraties populaires, le régime politique impose un schématisme de pensée rigide et oblige les metteurs en scène à sacrifier au culte du héros positif. Rarissimes, au début des années 50, sont les films qui échappent au carcan d'une idéologie étouffante et manichéenne. La production reste faible (4 films en 1950, 2 en 1951, 4 en 1952, 3 en 1953) et ne remonte qu'à partir de 1954 (10 films).
Les années 50.
Le déclic causé par la mort de Staline est sensible dans le cinéma polonais. De 1954 à 1956, de profonds changements affectent non seulement les structures mêmes de l'industrie cinématographique mais également la mentalité des réalisateurs qui se voient confier par l'État la direction de plusieurs groupes de production en 1956 (Kadr, Start, Syrena, Rytm, Droga, Kamera, Studio, Iluzjon, huit équipes « unifiées » respectivement dirigées par Jerzy Kawalerowicz*, Wanda Jakubowska*, Stanislas Wohl, Jan Rybkowski, Antoni Bohdiewicz, Jerzy Bossak, Aleksander Ford et L. Starski). Une nouvelle et très brillante génération apparaît. Pendant une huitaine d'années des films de grande valeur sont tournés. Après les Cinq de la rue Barska (A. Ford, 1954), Cellulose (J. Kawalerowicz, id.), Génération / Une fille a parlé (A. Wajda*, 1954), l'Ombre (Kawalerowicz, 1956), films de transition qui annoncent une évolution sensible tout en respectant l'orthodoxie socialiste. Les années 1957 et 1958 marquent un tournant décisif. Wajda avec Kanal (1957) et Cendres et Diamant (1958), Munk* avec Un homme sur la voie (1957) et Eroica (1958), Tadeusz Konwicki*, écrivain de renom, avec le Dernier Jour de l'été (id.), Wojciech Has* avec les Adieux (id.) s'imposent à l'attention internationale. Certains thèmes (l'héroïsme inutile mais indispensable, la cruelle logique de l'Histoire que les individus sont incapables d'analyser mais dont ils subissent les conséquences dramatiques, le déchirement de l'homme qui vit au milieu d'une communauté nationale décimée et divisée) sont analysés avec une facture réaliste ou baroque, pathétique ou ironique selon les tempéraments des auteurs mais qui témoigne dans tous les cas d'une profonde maîtrise artistique. Aux Ford (le Huitième Jour de la semaine, 1958 ; les Chevaliers teutoniques, 1960), Wajda (Lotna, 1959 ; les Innocents charmeurs, 1960 ; Samson, 1961), Kawalerowicz (Train de nuit, 1959 ; Mère Jeanne des Anges, 1961), Has (Chambre commune, 1960), Konwicki (la Toussaint, 1961), Munk (De la veine à revendre, 1960 ; la Passagère, achevé après la mort du cinéaste en 1963) se joignent Kazimierz Kutz* (Croix de guerre, 1959 ; Personne n'appelle, 1960 ; Panique dans un train, 1961), Stanisław Rożewicz (Certificat de naissance, id.) et un jeune réalisateur, Roman Polanski*, qui s'est fait connaître par des courts métrages insolites et qui signe en 1962 son premier long métrage (le Couteau dans l'eau).
Les années 60.
Vers 1964, alors qu'éclosent en Europe centrale les « nouvelles vagues » tchécoslovaque et hongroise, le cinéma polonais marque le pas. Moins que la guerre elle-même, ce sont les traumatismes qu'elle a engendrés qui préoccupent les auteurs. Mais, peur de se répéter ou pressentiment devant un certain raidissement de la libéralisation, certains des ténors de l'écran se réfugient dans des adaptations littéraires avec un incontestable brio : Has signe le Manuscrit trouvé à Saragosse (1965) d'après Jan Potocki avec l'acteur le plus populaire de l'époque, Zbigniew Cybulski* ; Wajda crée Cendres (id.), chronique napoléonienne d'après Żeromski ; Kawalerowicz tourne Pharaon (1966), d'après Bołeslaw Prus. Une crise des valeurs court en filigrane dans la production. Si Janusz Morgenstern parvient à terminer La vie recommence (1965), on note le retour du film positif (Czesław et Ewa Petelski, Jerzy Passendorfer) sur les écrans. Les esprits turbulents ne parviennent plus à imposer leurs points de vue. Polanski quitte le pays pour poursuivre sa carrière en Grande-Bretagne puis aux États-Unis — il sera suivi quelques années plus tard par Jerzy Skolimowski* qui avait débuté en 1964 et qui verra son film Haut les mains ! gelé par les autorités politiques en 1968. Année agitée, 1968 voit les écrivains protester contre la censure, les étudiants réagir contre le gouvernement, les communistes libéraux exclus des postes de direction, une vaste campagne d'antisémitisme réduire la communauté juive de 30 000 à 6 000 individus. Dans le cinéma, une réforme transforme les groupes de production qui sont limités à six et dont la direction est offerte à des personnalités plus effacées (Plan, Iluzjon, Wektor, Nike, Tor et Kraj, que dirigent respectivement R. Kozinski, C. Petelski, J. Jesionowski, S. Kuszewski, A. Bohdiewicz et A. Walatek). Wajda perd son acteur fétiche Zbigniew Cybulski, qui meurt accidentellement, et lui dédie Tout est à vendre (1969). Il réalisera dans les années suivantes des œuvres de premier plan (Paysage après la bataille, 1970 ; le Bois de bouleaux, id. ; les Noces, 1973 ; la Terre de la Grande Promesse, 1975).