FANTASTIQUE (cinéma). (suite)
Acteur protée et contorsionniste, Lon Chaney se fit remarquer dans un rôle de faux infirme dans The Miracle Man (George Loane Tucker, 1919). Malgré les détails étranges que sa présence impliquait presque toujours, et dans un climat très fantastique, peu des films qu'il interpréta appartiennent franchement au genre. Cependant, avec Tod Browning, cinéaste qui le dirigea dès 1921, Lon Chaney a suscité une superbe série de films où, malgré quelques tentatives rationalistes, le fantastique est roi (l'Oiseau noir, 1926 ; la Route de Mandalay, id. ; Londres après minuit, 1927 ; l'Inconnu, id. ; À l'ouest de Zanzibar, 1928). Il s'agit le plus souvent de mélodrames que l'œil de Browning et son goût du bizarre infléchissent vers le fantastique. Par ailleurs, l'opposition nuit/jour, le thème de la double vie, la difformité physique comme ponctuation, l'exacerbation des passions préparent nettement les structures du genre. Cependant, on note que, même dans une histoire de vampires comme Londres après minuit, une explication rationnelle vient toujours rassurer le spectateur. Beaucoup plus franchement fantastiques étaient les intrusions surnaturelles que l'on pouvait trouver dans certains mélodrames romantiques comme Peter Ibbetson (G. Fitzmaurice, 1921) ou l'Heure suprême (F. Borzage, 1927). Quand les maîtres allemands commencèrent à arriver, eux aussi furent limités par un certain rationalisme. Ainsi, Paul Leni, après le romantique (mais visuellement très fantastique) Homme qui rit (1928), eut ses plus grands succès dans des films policiers comme la Volonté du mort (id.) ou le Perroquet chinois (id.), où le fantastique n'était qu'accessoire. C'est véritablement avec le parlant que le genre va se constituer, et principalement autour d'un studio, l'Universal.
L'Universal, dirigé par la famille Laemmle, assez récemment émigrée d'Allemagne, avait été le premier studio à employer Lon Chaney et avait, dès le muet, posé d'importants jalons avec l'aide de cet acteur (le Fantôme de l'Opéra, de Rupert Julian, 1925) et de Paul Leni (cf. les films mentionnés plus haut). En 1931, Dracula de Tod Browning et Frankenstein de James Whale donnèrent le coup d'envoi à un cycle fabuleux qui, encore maintenant, survit grâce à d'incessantes nouvelles moutures de ces deux classiques. Dracula, le vampire interprété par Bela Lugosi, était un monstre satanique et séducteur. Le monstre de Frankenstein, interprété par Boris Karloff, était le monstre prométhéen, né de la folie humaine. Deux pôles entre lesquels le genre aimera à se partager. Deux acteurs qui restent parmi les plus mythiques du genre.
Immédiatement, les réussites les plus audacieuses déferlèrent : le raffiné et freudien Dr Jekyll et Mr Hyde de Rouben Mamoulian (1932), l'horrifique et coloré Masques de cire de Michael Curtiz (1933), le sadien Chasses du comte Zaroff d'Ernest B. Schoedsack (id.), le cruel Île du Dr Moreau d'Erle Kenton (id.), le poétique Zoo in Budapest de Rowland V. Lee (id.). Il y eut, dans cette prestigieuse foulée, nombre de films moins remarquables, mais attachants (les Morts vivants [White Zombie] de Victor Halperin, 1933), et d'autres que l'on redécouvre maintenant avec émerveillement (le Chat noir, d'Edgar Ulmer, 1934, première et historique rencontre de Bela Lugosi et Boris Karloff). Parallèlement, après l'insuccès de l'audacieux Monstrueuse Parade (1932), Tod Browning vit sa carrière s'effilocher : mais il faut retenir la délicieuse féerie des Poupées du diable (1936). James Whale, pendant ce temps, édifiait son œuvre bizarre à la source de laquelle tout le genre allait prendre réellement vie : l'Homme invisible (1933) et surtout la Fiancée de Frankenstein (1935), de loin le film le plus novateur et le plus important du genre à l'époque. Le terrain était propice pour raconter une nouvelle version de la Belle et la Bête, en termes hollywoodiens : King Kong (Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, 1933), œuvre étonnante et unique qui donnait au fantastique sa forme la plus américaine. Le film resta sans réelle progéniture.
Jusqu'en 1939, le genre connut des hauts et des bas. On le confina volontiers dans la série B et les petits budgets, mais, malgré cette situation, Bela Lugosi et Boris Karloff n'eurent pas de difficultés à s'affirmer. Beaucoup de petites œuvres, modestes et réussies, assurent la survie du genre : le Loup-garou de Londres (Stuart Walker, 1935), la Fille de Dracula (L. Hillyer, 1936), le Baron Gregor (R. W. Neill, id.). Le meilleur film de cette période est cependant le très bref mais fulgurant Mort qui marche de Michael Curtiz (id.), qui va aussi loin que possible dans l'esthétique expressionniste. Ces films sont marqués par le sens du merveilleux, la conviction des metteurs en scène et le talent des acteurs. Ils retrouvent d'instinct la magie de ces histoires fascinantes et horribles jadis murmurées à la veillée. Créations irrationnelles, issues d'un inconscient collectif (celui de l'Amérique en crise), ces monstres souvent pathétiques portent en eux les peurs et les aspirations du moment historique. Nées de l'Europe, ces œuvres sont fortement imprégnées de nuances victoriennes et byroniennes qui montrent bien à quel point le fantastique, à la différence du merveilleux et du féerique, naît du tabou. On le sent aussi dans les tentations fantastiques de mélodrames amoureux comme Voyage sans retour (T. Garnett, 1932) ou Peter Ibbetson (H. Hathaway, 1935).
En 1939, après quelques années qui ont vu un certain épuisement du genre, le succès d'une nouvelle version de The Cat and the Canary : le Mystère de la maison Norman d'Elliott Nugent, nettement comique, et du dernier volet du triptyque de Frankenstein, le Fils de Frankenstein (R. V. Lee), fortement teinté d'ironie et poussant l'esthétique expressionniste jusqu'à la caricature, ouvre un nouveau cycle où le fantastique se mêle délibérément au grotesque, voire au comique. Face au peu de renouvellement de Karloff et Lugosi, il fallut trouver de nouvelles vedettes : mais l'entreprise resta infructueuse. Certains acteurs, spécialisés dans d'autres genres, ne firent par le fantastique qu'un épisodique détour (John Carradine, Dracula dans la Maison de Frankenstein, 1945, et la Maison de Dracula, id., tous deux d'Erle C. Kenton). D'autres se révélèrent dépourvus de toute personnalité (le mou Glenn Strange qui succéda à Karloff dans le rôle du monstre de Frankenstein, dans les deux titres mentionnés plus haut). Des changements d'emplois se soldèrent par de véritables débâcles (ainsi Bela Lugosi remplaçant Karloff dans le rôle du monstre, dans Frankenstein rencontre le loup-garou [Frankenstein Meets the Wolf Man, 1943], de Roy William Neill). Certains acteurs n'étaient pas encore mûrs pour la spécialisation (Vincent Price dans le Retour de l'homme invisible, J. May, 1940). Le seul acteur qui ait eu à l'époque une carrière cohérente sinon harmonieuse, ce fut Lon Chaney Jr. Porteur du nom prestigieux de son père, fort d'une carrure imposante, mais limité par un jeu assez fruste, Lon Chaney Jr. fut décoratif dans la série consacrée à la momie (The Mummy's Tomb, Harold Young, 1942 ; The Mummy's Curse, Leslie Goodwins, 1945 ; The Mummy's Ghost, Reginald Le Borg, id., tous inspirés du chef-d'œuvre la Momie, de Karl Freund, 1932, avec l'irremplaçable Karloff). Mais il s'avéra totalement incapable de suggérer la séduction de Dracula (le Fils de Dracula, R. Siodmak, 1942). Sa meilleure création fut celle de Larry Talbot, le loup-garou de Londres (créée par Henry Hull dans le film de 1935) : la Maison de Dracula, la Maison de Frankenstein et surtout le Loup-garou (The Wolf-Man, 1941) de George Waggner, où Claude Rains lui donnait une brillante réplique.