FANTASTIQUE (cinéma). (suite)
Très tôt influencés par les réussites hollywoodiennes, les studios anglais ont essayé de les imiter. Dès 1933, la Gaumont-British avait attiré Boris Karloff en Angleterre pour en faire The Ghoul (T. Hayes Hunter). Le goût du fantastique est de toute manière inné à l'esprit anglais : il existe en filigrane depuis les origines de cette cinématographie, depuis les premiers essais d'Alfred Hitchcock ou d'Anthony Asquith. Cependant, le cinéma de genre restant longtemps un apanage hollywoodien, il faudra un certain temps au cinéma anglais pour vraiment créer son cinéma fantastique. En fait, ce fut Michael Powell, le premier, qui créa un fantastique féerique, curieux mélange de sécheresse et de romantisme, totalement différent du modèle hollywoodien. Ses qualités étaient évidentes dès sa collaboration au Voleur de Bagdad, produit à Hollywood par Alexandre Korda (1940 ; CORÉ Ludwig Berger et Tim Whelan). L'originalité du ton était plus vive quand Powell collabora avec Emeric Pressburger. Tous leurs films baignent dans l'étrange et le surréel, mais relativement peu sont réellement fantastiques. Pourtant, ce peu est suffisant pour affirmer une nouvelle orientation du genre. Ainsi : A Canterbury Tale (1944), qui se replonge aux sources littéraires et populaires de Chaucer et les modernise ; The Small Back Room (1949), où le traitement de l'alcoolisme est souvent prétexte à de fascinantes équivalences visuelles ; ou, encore, le Voyeur, que Powell réalise seul en 1960 et qui ressortit à l'épouvante. Seul Une question de vie ou de mort (1946) est un authentique film fantastique qui plonge avec audace dans l'univers mental d'un aviateur entre la vie et la mort, sur une table d'hôpital. C'est peu, mais l'audace de Powell, à la fois dans le choix de ses sujets et dans les traitements visuels qu'il imagine pour eux, restera prépondérante.
C'est aussi le cas chez Terence Fisher, le représentant le plus prestigieux de la Hammer Film, véritable bastion du fantastique anglais entre 1957 et 1970. Fondée par William Hammer et Enrique Carreras, cette maison de production va se replonger aux sources du fantastique hollywoodien, essentiellement organisé dans la dichotomie Frankenstein/Dracula, et va réinventer le film de série, mais tout cela avec un nouvel élément plastique, la couleur, et dans une direction nettement plus adulte, qui accepte les implications violentes et sexuelles du genre. Il se créa autour d'eux un véritable artisanat de qualité, avec des cinéastes comme Freddie Francis, photographe remarquable (l'Empreinte de Frankenstein, 1964 ; Dracula et les femmes, 1968), Roy Ward Baker, qui avait connu un passage à Hollywood (les Cicatrices de Dracula, 1970, peut-être le plus sanglant de la série) ou John Gilling (l'Invasion des morts-vivants et la Femme reptile, 1966). Ils sont secondés par une équipe réduite mais inventive et inamovible : Jack Asher pour la photographie, Roy Ashton pour les maquillages ou Jimmy Sangster pour les scénarios (entre autres). La couleur est utilisée volontairement pour son pouvoir de choc : à la Hammer, dans le bleuté des décors, le rouge vif apparaît pour la première fois dans le fantastique.
Terence Fisher est responsable des meilleurs titres de la compagnie. C'est aussi le seul cinéaste qui ait pu y édifier une œuvre. Pour Fisher, le fantastique est une plongée dans l'inconscient, qui réveille dans son flot une agressivité endormie et une sexualité refoulée. Dans sa démarche, le baron Frankenstein devient plus complexe et plus intéressant que sa créature. En 1957, Frankenstein s'est échappé et, en 1958, le Cauchemar de Dracula allaient d'emblée, et de manière définitive, au fond des choses, tout en imposant deux acteurs marquants. Peter Cushing, mince et narquois, sec comme un gentleman victorien ou comme une sévère caricature dickensienne, sera un Frankenstein illuminé, possédé par le démon de la science, homme de chair et d'audace, aussi éloigné que possible du timoré Colin Clive dans les films de Whale. Quant à Christopher Lee, il créa un Dracula séduisant, coléreux et terrible, d'une subtilité rare, comparée à la création plus crue de Bela Lugosi. À partir de ces deux films, les films de Terence Fisher (et, partant, ceux de la Hammer) seront des variations, souvent brillantes et inspirées, plutôt que des suites.
Malheureusement, les jeunes en qui la Hammer avait mis ses espoirs de relève ne purent pas tenir la distance, malgré de brillantes réussites isolées : Peter Sasdy, auteur du très original la Fille de Jack l'éventreur (1972) et John Hough, responsable des Fiancées de Dracula (1974). Peu à peu, la Hammer disparut tandis que, autour, le cinéma fantastique anglais survivait de manière désordonnée, mais souvent avec force (Michael Reeves, auteur du Grand Inquisiteur [Witchfinder General], 1968). Un temps, une compagnie rivale, Amicus, tenta de supplanter la Hammer agonisante en revenant à la voie que Powell avait tracée dans A Canterbury Tale, ainsi que plusieurs cinéastes dans le classique Au cœur de la nuit (1945) : films à épisodes, parfois savamment architecturés, qui mélangent le fantastique à l'horreur et au comique. Le meilleur spécimen reste Asylum (1972), de Roy Ward Baker. Sinon, la seule réussite réellement de taille fut l'amusant et très décoratif Abominable Docteur Phibes (Robert Fuest, 1971). Le filon, lentement, s'épuisait et le genre s'éteignit.
La veine fantastique italienne.
Elle existe dès les origines, dès les péplums comme Cabiria (G. Pastrone, 1914) ou dans les films où scintillent les divas. Mais l'histoire du cinéma italien est celle d'un incessant combat entre l'imaginaire et le réalisme, deux tendances dont quelques grands cinéastes nous ont montré qu'elles n'étaient point contradictoires. C'est surtout dans les années 50 qu'on a pu voir un genre s'affirmer : il a suivi une courbe parallèle à celle d'un autre genre populaire italien, le péplum, empiétant parfois nettement sur son domaine (le bizarre Maciste aux enfers, R. Freda, 1962). En un premier temps, le cinéma italien a suivi les modèles hollywoodiens, mais en les personnalisant par un raffinement visuel très caractéristique : ainsi les Vampires (Freda, 1957, contemporain des premiers Hammer), somptueusement photographié par Mario Bava et décoré par Béni Montrésor. Bientôt, le genre se mêle inextricablement à la renaissance du film mythologique, curieux mariage où, certes, le fantastique trouve son compte : ainsi Hercule à la conquête de l'Atlantide (V. Cottafavi, 1961). Mais Mario Bava crée un précédent avec le Masque du démon (1960), sujet qui aurait pu inspirer les Américains ou les Anglais, mais dont le traitement violent et sensuel est tout à fait unique : le film connaît d'ailleurs une très grande fortune dans les pays anglo-saxons.