Le Français Gabriel Veyre organise les premières projections publiques le 24 janvier 1897 et tourne également les toutes premières prises de vues : Simulacro de incendio (1897). Le commerce cinématographique se développe ensuite assez vite ; en 1910, 200 salles existent déjà dans l'île. Les principaux exploitants, Santos et Artigas, sont aussi les premiers producteurs nationaux, et lancent neuf longs métrages de fiction dont Manuel García o el rey de los campos de Cuba (Enrique Díaz Quesada) dès 1913. La fin de la Première Guerre mondiale marque la pénétration en force des films américains et le déclin de la production locale. Avec le parlant, le marché subit aussi l'assaut des films en provenance du Mexique, où émigre Ramón Peón, l'autre cinéaste cubain de l'époque (La Virgen de la Caridad, 1930). Le premier long métrage sonore ne voit le jour qu'en 1937 (La serpiente roja, Ernesto Caparrós). Il est suivi de comédies musicales rappelant les mexicaines, à l'exception de Siete muertos a plazo fijo (Manuel Alonso, 1950), thriller à la manière hollywoodienne, et de Casta de roble (id., 1953), mélodrame rural. Rita Montaner, vedette de la chanson, sensuelle et ironique, mérite tout à fait son sobriquet, La unica (Peón, 1952), mais ne trouve pas de rôles à la mesure de son talent dans le cadre étriqué de l'île, pas plus qu'au Mexique. Le gouvernement Prío Socarrás (1948-1952) crée une Banque du cinéma qui rend possible la construction des Estudios Nacionales (dirigés par Alonso), organismes qui passent sous le contrôle de l'industrie mexicaine. On met sur pied des coproductions peu estimables, dont La rosa blanca (E. Fernández*, 1953). Alonso prend ensuite la direction d'un Institut national pour le développement de l'industrie cinématographique fondé par le dictateur Batista (1955). Les 150 longs métrages réalisés à Cuba depuis les origines jusqu'à son renversement restent les sous-produits d'une colonisation culturelle. La « perle des Antilles » étant alors aussi le lupanar de l'Amérique, l'île connaît une floraison de bandes pornographiques destinées aux touristes. Le premier concours national de cinéma amateur (1943) suscite un petit mouvement de courts métrages, dans lequel débutent Tomás Gutiérrez Alea* et Néstor Almendros*. D'autres sont produits par la Cinémathèque de Cuba, formée par des intellectuels comme Cabrera Infante* et Almendros (1951). El Mégano (Gutiérrez Alea et Julio García Espinosa*, 1954), sur la vie des mineurs, est interdit.
Cinéma et politique.
Le premier acte culturel du gouvernement révolutionnaire de Fidel Castro est la création de l'Institut cubain de l'art et de l'industrie cinématographique (1959), placé sous la direction d'Alfredo Guevara. La production s'oriente au départ vers les courts métrages documentaires et pédagogiques. Après la nationalisation des distributeurs américains (1961), le boycottage de l'exportation par Hollywood s'ajoute au blocus économique imposé par les États-Unis. L'ICAIC prend le contrôle de la distribution et de l'exploitation (594 salles, un marché de 83 millions de spectateurs ; par rapport à la population, l'un des plus importants du continent). Pour élargir le public, on organise des unités de « Cine-móvil » (1961), sur camion, parfois même à dos de mulet ; touchant un million de personnes un an après, c'est 25 millions de spectateurs qui en profitent dix ans plus tard. La tentative de surmonter les carences techniques par les coproductions et la contribution des cinéastes étrangers (dont Ivens*, Karmen*, Marker*, Gatti*) se solde par un échec. Cependant, le courant documentariste s'affermit et atteint une qualité d'ensemble appréciable : Santiago Álvarez* en est le maître. Le goût du collage (emprunté à la Nouvelle Vague française) et l'empreinte du documentaire sont repérables dans les réussites du film de fiction, dues à Gutiérrez Alea, Humberto Solás*, M. O. Gómez*, García Espinosa, de même que chez Enrique Pineda Barnet (David, 1967). Le cinéma cubain rejoint les préoccupations politiques des nouvelles générations de cinéastes latino-américains, ainsi que leur souci de trouver une expression originale, au-delà de l'assimilation des influences diverses. Les cinéastes n'esquivent point les difficultés. Ils théorisent une ligne à la fois militante et indépendante des stéréotypes populistes ou réalistes socialistes. Cette orientation, rapprochant le cinéma cubain des cinématographies d'État les plus lucides (Pologne*, Hongrie*), semble infléchie durant les années 70. Après un bref déclin, la production de longs métrages privilégie les reconstitutions historiques, notamment l'époque esclavagiste (El otro Francisco, 1975 ; Rancheador, 1976 ; Maluala, 1979, tous les trois de Sergio Giral*) ou celle plus récente des affrontements pré- (Mella, E. Pineda Barnet, 1975) et postrévolutionnaires (El hombre de Maisinicú, 1973 et Rio Negro, 1977, de Manuel Pérez*). Ceux qui abordent l'actualité sont plutôt l'exception : Ustedes tienen la palabra (M. O. Gómez*, 1973), Una mujer, un hombre, una ciudad (id., 1978), De cierta manera (Sara Gómez*, 1974), Retrato de Teresa (Pastor Vega*, 1979). Le documentaire garde parfois une certaine liberté de ton (55 Hermanos, Jesús Díaz, 1978). Pendant la période de plus grande crispation politique, l'ICAIC réussit à limiter les dégâts, au prix d'une certaine inhibition (on interdit des films de S. Gómez, Solás, Giral). Depuis 1979, un festival réunit à La Havane les cinéastes de toute l'Amérique latine : c'est un appel d'air pour une création qui refuse l'isolement et l'étouffement, un carrefour pour les échanges d'idées et les projets de coproductions, et une véritable fête pour le public. Les dessins animés de Juan Padrón* y trouvent un écho tout à fait mérité (Vampires à La Havane, 1985). La Fondation du nouveau cinéma latino-américain, créée en 1986 et placée sous la présidence de Gabriel García Márquez*, élargit encore le champ.