GRÈCE. (suite)
En fait, à cause de l'instabilité politique du pays, surtout après la débâcle militaire en Turquie (1919-1922), et de la situation économique précaire, la production a du mal à démarrer ; elle balbutie jusqu'à la fin des années 30, se limitant à quelques comédies (la série des « Vilar » et des « Michaïl »), à des mélodrames — réalisés principalement par Dimitris Gaziadis* et produits par sa société, Dag Film (Amours et vagues / Eros kai kimata, 1927, le Port des larmes / To limani ton dakrion, 1929) — et aux idylles pastorales appelées « fustanella » comme Astero, de Dimitris Gaziadis (1929), Maria Pentayotissa, d'Achilleas Madras (1929), ou l'Amoureux de la bergère (O agapitikos tis voscopoulas, 1932), de Dimitris Tsakiris, premier film parlant tourné en Grèce. Deux exceptions sont à retenir de toute cette période : Daphnis et Chloé (1931), réalisé par Orestis Laskos, drame pastoral naïf et pétillant qui ne manquait pas d'audace pour l'époque, et Corruption sociale (Kinoniki Sapila, 1932), de Stelios Tatassopoulos, tentative inédite d'un cinéma réaliste et socialement engagé.
L'âge d'or du cinéma grec.
Puis vient le temps de la maturation avec la création d'un véritable studio de production, la Finos Film, œuvre d'un artisan de génie, Filopimène Finos*, qui va dominer la production cinématographique grecque pendant trois décennies. D'une dizaine de films produits dans les années 40, il passe à une trentaine dans les années 50 et à une centaine dans les années 60. Des réalisateurs chevronnés aux talents multiples, issus principalement du théâtre comme Nikos Tsiforos, Alekos Sakellarios et Dinos Dimopoulos — sans oublier Yorgos Tzavellas*, qui cons-titue un cas à part par ses ambitions plus éclectiques —, signent les comédies les plus pittoresques de ce qu'on a appelé « l'âge d'or » du cinéma populaire grec et certains mélos au succès retentissant : Les Allemands reviennent (I Germani xanarchontai, 1948), Pain, amour et chansonnette (Lanterna, ftochia kai filotimo, 1955), de Sakellarios ; Viens voir le tonton (Ela sto thio, 1950), la Belle d'Athènes (I orea ton Athinon, 1954), de Tsiforos ; le Petit Fiacre (To amaxaki, 1957), de Dimopoulos ; l'Ivrogne (O methistakas, 1950) et le Petit Chauffeur (To soferaki, 1953), de Tzavellas. Durant toute cette période, le cinéma grec reste fortement tributaire du théâtre et principalement des revues de variétés satiriques (epitheorissi), qui lui fournissent, outre des sujets puisés dans une réalité trop souvent anecdotique (la censure est alors très vigilante), une pléiade d'acteurs comiques très populaires (Vassilis Avlonitis, Mimis Fotopoulos, Nicos Stavridis, Georgia Vassiliadou, Orestis Makris, Dinos lliopoulos, etc.) dont le génie pallie fréquemment l'absence de mise en scène.
Dès le début des années 50, la production amorce donc sa structuration jusqu'à afficher dix ans plus tard une prospérité économique insolente, plafonnant dans la saison 66-67 à son record historique de 117 films. Il s'agit pour l'essentiel de comédies légères ou de farces, de sombres mélodrames et de quelques musicals made in Greece, totalisant cette année-là, dans la seule région d'Athènes et du Pirée, près de 20 millions d'entrées. Dans ce même temps et jusqu'au début des années 60, la participation de l'État est absente alors que la censure, elle, est omniprésente, bannissant ainsi de l'écran toute préoccupation d'ordre politique ou social et confinant la production à un niveau anecdotique somme toute caricatural et sans réelle consistance. Pourtant, dans ce contexte hostile, apparaissent les prémices d'une approche différente de la réalité et d'une indépendance par rapport au système : Grigoris Grigoriou ouvre une brèche avec Pain amer (Pikro psomi, 1951), fortement teinté de néoréalisme ; mais les deux meilleurs réalisateurs de cette période demeurent incontestablement Michael Cacoyannis et Nikos Koundouros*, qui signent respectivement deux œuvres clefs de l'histoire du cinéma grec : Stella (1955), qui révèle la fracassante Melina Mercouri, et l'Ogre d'Athènes (1956), plongée vertigineuse dans l'univers des marginaux. D'autres films importants voient également le jour : la Fausse Livre d'or (I Kalpiki lira, 1955), de Yorgos Tzavellas, le Bataillon des va-nu-pieds (To Xypolito tagma, 1954), de Gregg Tallas, Fin de crédit (1958), de Cacoyannis, les Petites Aphrodites (1963), de Koundouros, Ciel (Ouranos, 1962), de Takis Kanellopoulos, sans oublier Jamais le dimanche (1959), de Jules Dassin, au succès international incontesté. L'autre axe dramaturgique traditionnel du cinéma grec, la tragédie antique, connaît à cette époque ses lettres de noblesse avec l'Antigone (1961) de Tzavellas et surtout Électre (1962), transposée avec une puissance visuelle saisissante par Cacoyannis, toutes deux interprétées par une tragédienne authentique, Irène Papas*. Déterminante est également la contribution de deux grands compositeurs, Mikis Theodorakis* et Manos Hadjidakis*, qui révèlent l'importance du rebetiko, musique jusqu'alors méconnue, marginale et interdite, expression poétique des exclus sociaux d'une urbanisation précoce.
Les difficultés du Nouveau Cinéma grec.
Les années 64-67, qui précèdent la dictature des colonels, sont des années d'effervescence démocratique, où une nouvelle génération de réalisateurs aborde des thèmes encore inexplorés en accord avec les contradictions d'une société en mutation, déchirée entre les traumatismes du passé et les hantises du présent. Certains, comme Pandelis Voulgaris*, Lambros Liaropoulos, Dimitris Kollatos, Lakis Papastathis ou Dimos Theos, font leurs premiers pas dans des courts métrages remarquables ; d'autres, comme Alexis Damianos (Jusqu'au bateau / Mehri to plio, 1968), Ado Kyrou* (Bloko, 1965) ou Robert Manthoulis (Face à face / Prossopo me prossopo, 1966), déploient au Festival de Thessalonique les signes précurseurs de la naissance d'un cinéma national. Mais la junte militaire freine le mouvement et dissipe les illusions. Le silence remplace l'euphorie. C'est pourtant dans ce climat d'appauvrissement intellectuel apparent que naît le Nouveau Cinéma grec avec, comme figure de proue, Théo Angelopoulos, qui s'impose avec deux films essentiels : Reconstitution (1970) et Jours de 36 (1972). Dans une perspective différente, Damianos tourne son second film : Evdokia (1972), et Pandelis Voulgaris confirme les espoirs placés en lui avec les Fiançailles d'Anna (1972). Si de plus en plus de films grecs passent les frontières et sont primés dans des festivals internationaux, le Nouveau Cinéma grec n'en poursuit pas moins, après la chute de la dictature, un chemin douloureux, semé d'ob-stacles et marqué par toutes sortes d'influences.