COMIQUES (SÉRIES).
Le comique, au cinéma, est souvent confondu avec la comédie, dont il est l'un des éléments, voire l'un des incidents. C'est que la comédie s'est progressivement substituée au comique, sans d'ailleurs récupérer tout le terrain qu'il occupait.
Cette mutation, qui enregistre le déclin du comique pur, est marquée par quatre périodes.
1. Préhistoire (1895-1905).
À peine concurrencé par le documentaire, la féerie, le mélodrame, le comique accapare la quasi-totalité des programmes. Le cinéma capte alors la clientèle des champs de foire, cirques, café-concerts et journaux illustrés dont la manchette promet : « On ne rit pas, on se tord. » Procédant de ces distractions simplistes, le film comique visualise en une ou deux minutes : une grosse farce, une incongruité, une saillie parfois empruntée à l'imagerie populaire ou à la carte postale. L'Arroseur arroséde Lumière (recopié par bien d'autres) s'inspire d'une « image d'Épinal » dessinée en 1887 par Lucien Vogel. La Fée aux choux d'Alice Guy anime une carte postale expliquant la naissance des enfants.
Ni les acteurs ni les réalisateurs ne sont spécialisés. Chez Gaumont, on passe des Dangers de l'alcoolisme à la Vie du Christ. Il en est de même pour Ferdinand Zecca chez Pathé. Loin d'avoir trouvé sa spécificité, le comique est parasité par des genres connexes : comme le merveilleux (le Locataire diabolique, de Méliès) ou, le plus souvent, la polissonnerie, la grivoiserie. Au catalogue de chaque maison, on trouve une variante de la classique Histoire de puce. Une dame indigne les passants en fourrageant sous ses jupes. Elle se réfugie dans le premier hôtel venu, se déshabille, la porte s'ouvre et...
2. Formation (1906-1911).
Fin 1905, l'arrivée de Louis Feuillade chez Gaumont et de son ami André Heuzé chez Pathé va précipiter le comique dans la rue grâce à la poursuite. Dans Dix Femmes pour un mari (scénario : A. Heuzé), Georges Hatot lance dix femmes à la poursuite du Don Juan qui les a séduites. Dans Attrapez mon chapeau, la poursuite d'un couvre-chef permet à Feuillade de décrire et d'exploiter les ressources de l'environnement.
Étant moins bien pourvu que Pathé en studios, Gaumont privilégiera ce comique de plein air avec la Course au potiron dans les rues en pente du quartier de la Villette, et en transposant en extérieurs le « comique à trucs », que Méliès confinait au studio. Grâce à l'interprétation d'un cul-de-jatte, il sectionne et recolle les jambes d'un passant (Un accident d'auto). Portant une armure pour se protéger des voleurs, l'Homme aimanté (à la suite d'un orage) attire à lui tout le métal qu'il rencontre : jusqu'aux plaques d'égout !
Ce développement du gag jusqu'à l'absurde est le deuxième apport important de cette période. Le troisième étant la création d'un univers burlesque composé par une succession d'aventures attribuées à un même personnage, dont le nom figure dans le titre des films qui les retracent : Roméo et le cheval de fiacre, Rigadin veut dormir tranquille, Calino veut se suicider.
Ici, l'antériorité revient à Pathé avec la série Boireau (30 films) interprétée par André Deed, d'abord réalisée par Georges Hatot sur des scénarios d'André Heuzé. Le départ de Deed pour l'Italie (série Cretinetti distribuée en France sous le nom de Gribouille) laisse place à deux nouvelles séries : celle du médiocre Rigadin et celle des Max. Avec l'élégant Max Linder, le comique de mouvement fait place au comique d'observation qui développe avec finesse les conséquences d'une méprise ou d'un mensonge : Max et le quinquina, Max pédicure.
Chez Gaumont, c'est, à travers le comportement d'un enfant, l'observation de l'environnement social qui inspire à Feuillade les séries Bébé (76 films avec le futur René Dary) et Bout de Zan. Le comique de mouvement (poursuite et absurde) est assumé par la série de Roméo Bosetti, Calino, interprétée par l'ex-clown Clément Mégé : avec tant de succès que Pathé le débauche et lui confie son studio de Nice. Bosetti y produira jusqu'en 1914 une dizaine de séries : Léontine, Rosalie, Purotit, Moustache (interprété par le chien Barnum).
3. L'apogée (1912-1914).
Aux 25 séries produites de 1906 à 1911 vont s'ajouter en trente mois 33 séries nouvelles. Beaucoup ne font que recopier les succès techniques et thématiques des précédentes : ainsi, Willy, réplique d'Éclair au Bébé de Feuillade ; Sarah Duhamel, alias Rosalie, qui devient Pétronelle en passant de Pathé à Éclair. Feuillade riposte par une innovation. Une série de bandes plus longues (2 bobines), un scénario élaboré, intitulé la Vie drôle et composé de « ciné-vaudevilles ». Elle est d'ailleurs interprétée par des acteurs du théâtre de boulevard, tel l'ondoyant Marcel Levesque. Le comique cède à la comédie pure dans la série Léonce interprétée et réalisée par Léonce Perret (35 films).
Toujours chez Gaumont, Jean Durand va pousser l'absurde jusqu'au surréalisme dans la série Onésime (53 films) interprétée par l'ex-acrobate Ernest Bourbon, entouré d'une troupe spécialisée, les Pouites : à côté de noms oubliés (Pollos, Fouché, Dhartigny, Grisollet), elle compte quelques futures célébrités : Gaston Modot, Aimos, Joé Hamman, l'aviateur Charles Nungesser. C'est l'apogée du burlesque, au terme de 58 séries (20 produites par Pathé, 8 par Gaumont, 8 par Éclipse, 7 par Éclair et 12 divers). Apogée auquel la guerre de 1914 met brutalement fin.
4. Déclin (1915-1930).
Acteurs, auteurs et réalisateurs européens étant indisponibles pendant plus de quatre ans, il sera très facile aux Charlot, Buster Keaton, Fatty, Ben Turpin, Harry Langdon et Harold Lloyd de les supplanter définitivement.
Non seulement la guerre a cassé l'essor du comique, mais elle a entraîné des changements de structure : concentration de la production, accroissement des coûts, diminution quantitative mal compensée par l'augmentation de la durée des films. Cette dernière sera brutale pour le comique. Il lui sera très difficile de trouver des sujets qui puissent tenir 60 ou même 30 minutes.
Pour survivre, le comique ne devra plus être qu'une détente dans l'action d'un film d'aventures (tel, chez Feuillade, le personnage de Marcel Levesque dans Judex, ou de Biscot dans Tih-Minh), ou bien il jouera un rôle de contrepoint dans des situations pathétiques. (Ainsi l'ont compris Chaplin et, plus tard, Pagnol.) Sinon, il ne reste plus au comique qu'à s'enliser dans les méandres de la comédie ou de la satire de mœurs.