TWENTIETH CENTURY-FOX [20th Century-Fox]. (suite)
Dans ce mariage bancal, conclu après des négociations laborieuses, la vénérable Fox apporte, essentiellement, son prestige artistique. Elle compte dans ses rangs des cinéastes et des vedettes comme Henry King, Frank Borzage, Howard Hawks, Janet Gaynor et Theda Bara. Elle a une longue expérience de la distribution et possède un important réseau de salles. Elle jouit aussi d'une solide implantation en Europe, mais a connu, au cours des années précédentes, de graves revers financiers, dus aux ambitions de son fondateur.
La toute jeune Twentieth bénéficie, quant à elle, de l'autorité et du dynamisme de Darryl F. Zanuck. Venu de la Warner Bros, où il a supervisé, de 1931 à 1933, plusieurs policiers et mélodrames sociaux à succès, Zanuck est l'un des meilleurs jeunes « executives » du cinéma américain. Son dynamisme, sa productivité, son instinct créatif vont faire de la Twentieth une des compagnies indépendantes les plus en vue d'Hollywood. La firme n'a ni studio ni salles, mais la présence, en son sein, de William Goetz, gendre de Louis B. Mayer, lui assure le concours de nombreuses stars MGM. Zanuck et Schenck exploiteront brillamment cet atout : les dix-huit films qu'ils produiront en deux ans à la Twentieth seront, à une exception près, des succès.
La fusion de la Twentieth Century et de la Fox porte Zanuck au poste de vice-président et directeur de production, qu'il conservera jusqu'en 1956. Le style de la Fox sera essentiellement le style Zanuck.
Ancien scénariste, écrivain prolifique, concepteur doué, Zanuck est, d'abord, un narrateur. La force première d'un film réside, à ses yeux, dans la qualité du scénario. Zanuck a développé, à la Warner, une approche sans fioritures, et volontiers polémique, de la réalité sociale. Sous sa tutelle, la Fox va marier, en une vaste fresque, le passé et le présent de l'Amérique, la nostalgie et la critique. Elle célébrera les vieilles traditions rurales (Steamboat Round the Bend, J. Ford, 1935), chantera les héros de l'histoire américaine (Lincoln dans Vers sa destinée, id., 1939 ; Jesse James dans le Brigand bien-aimé, H. King, id. ; Wyatt Earp dans la Poursuite infernale, Ford, 1946 ; Brigham Young dans le film homonyme d'Henry Hathaway, 1940), et peindra le destin de familles modestes-mais-exemplaires (l'Incendie de Chicago, King, 1938 ; les Raisins de la colère, Ford, 1940 ; Quelle était verte ma vallée, id., 1941).
Creuset de mythes, la saga familiale entrecroise une multitude de destins et exige des constructions « scénaristiques » puissamment charpentées. Dans ce genre, comme dans le policier, le western, voire le musical, la Fox affiche un sens rigoureux de l'efficacité narrative. On y apprécie les récits « dégraissés », aux scansions et périodes nettement marquées. Monteur-né, Zanuck vise au dépouillement et apprécie particulièrement le style austère d'un Henry King et la mise en scène quasi documentaire d'un Henry Hathaway. Il connaît le rôle déterminant du réalisateur et se trompe rarement dans ses choix : les talents de Ford, King, Wellman et Hathaway s'épanouiront pleinement sous sa tutelle ; Preminger, Mankiewicz et Kazan réaliseront à la Fox leurs premiers films, qui figurent parmi leurs plus grandes réussites.
Consciente de l'importance des scénaristes, la Fox s'entoure de collaborateurs comme Nunnally Johnson, Lamar Trotti, Kenneth McGowan et Philip Dunne, et s'autorise, à partir des années 40, une sophistication croissante, grâce, notamment, à l'apport de Samuel Hoffenstein (Laura) et Mankiewicz.
L'année de sa fondation, la Fox ne compte que deux vedettes : Shirley Temple et Will Rogers (qui disparaîtra bientôt). Cinq ans plus tard, elle bénéficie déjà d'une remarquable « écurie », où se distinguent Tyrone Power, Sonja Henie, Betty Grable et Don Ameche, bientôt rejoints par Linda Darnell, Gene Tierney, Maureen O'Hara, Jeanne Crain, Dana Andrews, Gregory Peck et Richard Widmark.
Forte de ces divers talents, elle s'affirme durant et après la guerre, dans des domaines aussi divers que la comédie, le musical et le western. Mais son apport principal réside dans le film noir, avec Laura (1944) et Crime passionnel (1945) d'Otto Preminger, l'Impasse tragique (1946), le Carrefour de la mort (1947) et Appelez Nord 777 (1948) de Henry Hathaway, la Proie (id.) de Robert Siodmak et les Bas-Fonds de Frisco (1949) de Jules Dassin. La Fox participe à la vogue du « film-exposé » et traite du pouvoir psychiatrique (la Fosse aux serpents, A. Litvak, 1948), du racisme (l'Héritage de la chair, Kazan, 1949 ; La porte s'ouvre, Mankiewicz, 1950), de l'antisémitisme (le Mur invisible, Kazan, 1947). Durant la guerre froide, elle fournit un modeste lot de films anticommunistes (le Rideau de fer, Wellman, 1948 ; le Port de la drogue, S. Fuller, 1953 ; Man on a Tightrope, Kazan, id.), mais reste, pour l'essentiel, fidèle à une vision progressiste, objective et équilibrée de la réalité.
Au tournant des années 50, la Fox subit, comme l'ensemble des Majors, une série de chocs : augmentation soudaine des frais de production, loi antitrust, « boom » de la télévision, qui altèrent radicalement sa physionomie. Pour reconquérir un marché en perte de vitesse, la firme lance, avec un bonheur variable, des vedettes comme Marilyn Monroe, Jean Peters, Rory Calhoun, Debra Paget, Mitzi Gaynor et Robert Wagner. Elle adopte, en 1953, le procédé CinémaScope et s'oriente vers un cinéma spectaculaire dont les attraits visuels compensent mal l'indigence conceptuelle. La popularité du Scope s'avère d'ailleurs de courte durée, et le départ de Zanuck ouvre, en 1956, une nouvelle phase dans l'histoire de la firme. Buddy Adler, successeur de Zanuck, produit plusieurs films à grande audience : Anastasia (Litvak, 1956), le Roi et moi (W. Lang, id.), South Pacific (J. Logan, 1958), puis disparaît, prématurément, en 1960. Bob Goldstein prend le relais, suivi de Peter Levathes, mais ni l'un ni l'autre ne parviennent à rétablir l'équilibre financier de la compagnie. Pendant le coûteux et interminable tournage de Cléopâtre, les actionnaires rappellent Zanuck. Celui-ci reprend ses fonctions présidentielles en 1962, et nomme son fils Richard chargé de production. La Fox connaît un triomphe avec la Mélodie du bonheur (R. Wise, 1965), et mise pendant quelque temps sur un cinéma à gros budget. Mais les échecs répétés de « mammouths » comme Docteur Dolittle (R. Fleischer, 1967) ou Star (Wise, 1968) suscitent une nouvelle crise. Zanuck se retire, définitivement, en 1969. Le président-directeur général, Dennis Stanfill, décide alors une réduction drastique des programmes. Il ouvre les plateaux de la Fox aux producteurs indépendants et se lance dans la fabrication de séries télévisées, dont certaines connaîtront une vogue considérable. En 1976, il confie à Alan Ladd Jr. la direction des programmes. Sous l'impulsion de celui-ci, la firme s'ouvre à une nouvelle génération de cinéastes : Mel Brooks, Paul Mazursky, George Lucas. En 1976, elle accède, avec la Guerre des étoiles, au premier rang du box-office de tous les temps. Outre ce triomphe, qui aura sur l'ensemble de la production américaine des répercussions considérables, la firme enregistre plusieurs succès marquants : la Malédiction (The Omen, Richard Donner, 1976), The Rose (M. Rydell, 1979), Norma Rae (M. Ritt, id.), Alien (R. Scott, id.).