FANTASTIQUE (cinéma). (suite)
Cependant, la transformation essentielle qu'opéra Rosemary's Baby fut de permettre aux réalisateurs de films fantastiques de travailler avec de très gros budgets. Ainsi apparurent l'Exorciste (W. Friedkin, 1973), ou la Malédiction (Richard Donner, 1976), films efficaces, quoique assez peu inspirés. Les imitations ont vite fusé, tirant de plus en plus avantage de la nouvelle perfection des trucages, et renvoyant le fantastique de plus en plus près de l'épouvante ou de l'horreur. Dans ces films, un jeune enfant était souvent le siège de puissances maléfiques, mettant en lumière une étrange angoisse de l'Amérique, et Shining (1979), de Stanley Kubrick, posa un provisoire point final à ce cycle curieux.
Enfin, enhardie par les succès de Steven Spielberg et de George Lucas dans le domaine voisin de la science-fiction, une nouvelle génération de cinéastes fantastiques s'est affirmée. Pétrie de cinéphilie, jouant volontiers de l'allusion, de la référence ou du clin d'œil, cette nouvelle génération revient aux sources mêmes du genre, fortement aidée par la perfection technique que l'électronique donne maintenant aux trucages. Désormais, l'homme se transforme en loup-garou sous nos yeux mêmes (le Loup-garou de Londres, John Landis, 1981, pochade réussie et terrifiante), tout comme la Féline (Paul Schrader, 1982), qui semble avoir oublié l'esthétique économe chère à Val Lewton et à Maurice Tourneur. Le talent le plus solide semble être celui de John Carpenter, virtuose de la caméra qui revient très volontiers à des schémas classiques : monstres en liberté (la Nuit des masques [Halloween], 1978), fantômes vindicatifs (Fog, 1980).
À travers les nouvelles tendances du fantastique, remarquablement exprimées par un film comme Poltergeist (Tobe Hooper, 1982), on réalise que le genre a opéré un vaste retour sur lui-même et qu'il cherche surtout de nouvelles clés et de nouveaux moyens qui rendront plus magique, plus merveilleuse, l'exploration des vieux thèmes.
La production dominante se caractérise toutefois, dans une abondance de films généralement produits à peu de frais par des sociétés indépendantes, par un renouvellement très lent, trop souvent réduit à un renforcement des effets de l'épouvante, du sang, du suspense, des trucages, des masques. Le recours à l'humour, ou du moins la fréquence des clins d'œil, se généralise dans le moindre film de série B et le burlesque fait de nouveau irruption dans le genre avec la complicité du public : Ghostbusters d'Ivan Reitman (1985) en est l'exemple le plus célèbre. Le fantastique populaire reste bien entendu dominé par la loi des séries, ainsi la saga de Freddy : 5 films depuis les Griffes de la nuit (A Nightmare on Elm Street) de 1984 à 1990. Willow de Ron Howard (1988) pourrait être l'amorce, sous forme d'Heroïc fantasy, d'un possible retour du merveilleux – dont l'Américain installé en Grande-Bretagne Terry Gilliam a offert d'autres illustrations : Bandits, bandits (1981) et les Aventures du Baron de Münchhausen (1988).
Après John Carpenter, revenu au fantastique – Prince des ténèbres (Prince of Darkness, 1987), Invasion Los Angeles (They Live !, 1988) – après avoir échoué dans d'autres projets, c'est le Canadien David Cronenberg qui s'est affirmé avec le plus de force tant auprès de la critique que du grand public. Bien après avoir tourné des films à petit budget fondés essentiellement sur une surcharge dans les poncifs du genre, il a su associer une démarche très personnelle à des thèmes déjà repérés : Videodrome (1983), Dead Zone (id.), la Mouche (The Fly, 1986), Faux-semblants (Dead Ringers, 1988). Le fantastique a toujours la faveur du public et le goût du rationnel, qui semble s'affirmer par ailleurs, ne diminue pas la volonté du public de croire ce qui lui paraît en même temps impossible. La charnière des années 80-90 semble se caractériser par un net retour aux sources ou par une forme de métissage du genre. Le fantastique qui, souvent, ne dédaigne pas de flirter avec la comédie, s'inspire du dessin animé (Qui veut la peau de Roger Rabitt ?, R. Zemeckis, 1988 ; The Mask, Charles Russell, 1994) ou de la bande dessinée (la Famille Addams, Barry Sonnenfeld, 1991). Il faut, dans ce domaine, mentionner la réussite exceptionnelle et constante de Tim Burton, dont l'œuvre la plus réussie en appelle à ces références sans y trouver une inspiration directe : Edward aux mains d'argent (1990), qui eut moins de succès que les plus spectaculaires Batman, est un merveilleux conte de fées. C'est également au conte de fées que se réfèrent des réussites comme Legend (R. Scott, 1989) ou Princess Bride (R. Reiner, 1989), films qui manient l'ironie avec subtilité et qui, comme Edward aux mains d'argent, déploient une inspiration visuelle remarquable.
À l'opposé, on trouve également une volonté de revenir aux obsessions fondamentales du genre. Ainsi, Francis Ford Coppola s'en tient scrupuleusement au roman de Bram Stoker pour porter à l'écran un spectaculaire et controversé Dracula (1992). Le succès l'incite à produire, dans la même veine, une fidèle adaptation du roman de Mary Shelley avec Frankenstein, de Kenneth Branagh, en 1994. Darkman de Sam Raimi (1989) modernise légèrement le vieux mythe du fantôme de l'opéra, quant à Wolf, de Mike Nichols (1994), il revisite avec quelques astuces de scénario amusantes le mythe du loup-garou. On peut noter dans ce dernier film, tout comme dans Entretien avec un vampire (Neil Jordan, 1994), une tendance à un maquillage de plus en plus sobre, qui, surtout dans ce dernier cas, favorise grandement la création d'un climat réellement effrayant. Cette modernisation des vieux mythes est également sensible dans Ghost (Jim Zucker et Jim Abrahams, 1990), grand succès commercial qui opte pour le merveilleux. D'une manière générale, malgré quelques interludes sanglants ou violents, le genre semble aller désormais vers le merveilleux, la variante « gore » paraissant condamnée à se répéter inlassablement dans d'interminables sequels.