philosophe, historien et critique d'art français (Sainte-Foy-la-Grande 1873 - Paris 1937).
L'un des premiers intellectuels de haute culture à avoir fait crédit au cinéma, sa nouveauté, ses pouvoirs, sa signification sociale. Neveu du géographe anarchiste Élisée Reclus, élève de Bergson au lycée Henri-IV, médecin tôt spécialisé dans la pratique de l'anesthésie et dans celle, plus rare, de l'embaumement, sa pensée procédera de ces sources. Évolutionniste convaincu, il croit fermement en la science et la technique comme facteurs du progrès humain. Son « monisme » (nature et humanité sont une ; les lois de l'art et de la culture — organiques, rythmiques, cycliques — sont les lois mêmes de la vie) reste proche du matérialisme dialectique. C'est le mouvement, dit-il, qui spiritualise la matière, le rythme qui spiritualise la chair ; de là, l'importance civilisatrice de la danse. Au long de l'Histoire de l'art (1909-1921), Élie Faure établit que les civilisations connaissent dans leur devenir des phases ascendantes, d'« association », puis des phases descendantes, de cristallisation et de « dissociation ». L'art des premières est collectif, celui des secondes est individualiste. Les grandes époques d'unanimité et de construction collective ont trouvé leur plus haute expression dans la danse et l'architecture. Or, le cinéma — langage universel né d'une machine — réalise la paradoxale merveille d'être à la fois danse et architecture, de construire l'architecture dans le temps et de donner un corps spatial à la musique. Pour forger l'âme et le visage du XXe siècle, qui promettait d'inaugurer une période d'association, ne voit rien qui soit mieux qualifié que le cinéma. Dès 1922, il salue la profondeur de Chaplin, qu'il compare volontiers à Shakespeare et à Molière ; il pressent — et nomme — la cinéplastique d'Eisenstein : dramaturgie de formes, polyphonie audiovisuelle, synthèse de tous les arts ; il soutient les recherches d'Abel Gance. Dès la projection corporative de l'Atalante (1934), il proclame le génie de Jean Vigo. Si l'histoire a malmené le prophétisme de ses écrits, elle a peu enlevé à la richesse de leurs analyses et rien à leur indispensable dimension d'utopie.