ITALIE. (suite)
Le principe des genres.
Dès l'époque muette, le cinéma italien a fonctionné selon le principe des genres. L'affirmation précoce du film historique (dès 1908) et du mélodrame mondain (dès 1913) a ouvert la voie à une codification thématique et stylistique très nette. Ainsi, pour prendre l'exemple du film historique, après l'épanouissement des années 10 et le triomphe de nombreux films, le genre connaît encore pendant les années 20, pourtant en pleine période de crise, un incontestable succès. Le passage au sonore le relègue un peu au second plan et, en particulier, il est curieux de constater que les responsables politiques n'ont pas du tout utilisé le thème de la romanité pour appuyer la propagande fasciste : à vrai dire, Scipion l'Africain de Carmine Gallone est en 1937 une exception sans antécédents ni descendance immédiats. En fait, il faut attendre les années 50 pour voir refleurir le péplum : dans cette période, le genre a retrouvé de nouveaux créateurs de talent, des cinéastes comme Riccardo Freda* (Spartacus, 1953 ; Théodora impératrice de Byzance, 1954, etc.) ou Vittorio Cottafavi* (la Révolte des gladiateurs, 1958 ; les Légions de Cléopâtre, Messaline, 1960, etc.). Cela dit, en dehors d'un enracinement dans une Antiquité revisitée, le film historique constitue un genre récurrent de la cinématographie italienne, genre qui s'est particulièrement épanoui — au moins quantitativement — au début des années 40 et qui a donné plus près de nous quelques-unes des grandes œuvres de l'histoire du cinéma comme Senso ou le Guépard de Luchino Visconti.
Autre genre né du muet, le mélodrame s'est appuyé sur certaines traditions populaires, notamment la « sceneggiata » napolitaine, pour se diversifier en un double courant : d'une part, mélodrame mondain qui trouve son affirmation majeure avec le cinéma des divas pendant les années 10 et au début des années 20 ; d'autre part, mélodrame populaire qui voit généralement la femme sous les apparences de la victime désignée. Même dans une période aussi opposée à la création que la période fasciste, le mélodrame connaît au moins une œuvre de premier plan : La peccatrice (1940) d'Amleto Palermi. Ce film met en scène un personnage de fille mère qui, repoussée de tous, sombre dans la prostitution et ne doit qu'à l'amour de deux hommes la possibilité d'échapper à la fatalité sociale qui pèse sur elle. Avec ses contrastes et sa nécessaire insertion dans une réalité cruelle, le mélodrame fait partie des matrices du néoréalisme : Sissignora (Poggioli, 1942) ; Ossessione (Visconti, 1943) et Les enfants nous regardent (De Sica, 1944) contiennent, à bien y regarder, une dimension mélodramatique fondamentale. Après 1945, le mélodrame sous-tend l'univers de la plupart des cinéastes, le néoréalisme ayant rarement emprunté la voie de la comédie. L'œuvre de Matarazzo*, qui se développe dans les années 50, n'est en un certain sens que l'exaspération de courants déjà présents chez d'autres auteurs : le fait que ces films ont eu un succès considérable dit bien à quel point ils correspondaient à la sensibilité d'un public qui se reconnaissait dans des histoires révélatrices d'une société faisant à la femme un sort injuste. Le sens du mélodrame fortement enraciné dans la tradition spectaculaire italienne resurgit d'ailleurs dans des œuvres récentes, que ce soit dans des films napolitains ou dans des oeuvres venues des Pouilles ou de Sicile.
À l'opposé, la comédie italienne correspond à une notion de genre si précise qu'elle a même reçu l'appellation de comédie « à l'italienne ». Sous cette appellation se cache une forme très élaborée de comédie de mœurs, comédie dans laquelle le dosage de drôlerie et de sérieux repose sur une subtilité d'agencement qui fait cohabiter l'humour le plus efficace et l'engagement politique le plus déterminé. Cette cohabitation a été rendue possible grâce à un long processus de mûrissement qui commence dans les années 30 et qui prend d'abord appui sur des comédiens venant généralement du théâtre dialectal, tels les Napolitains Raffaele Viviani, Eduardo et Peppino De Filippo*, Totò* — le plus célèbre d'entre tous —, le Sicilien Angelo Musco, le Génois Gilberto Govi, les Piémontais Carlo Campanini, Macario, Renato Rascel, les Romains Petrolini et Aldo Fabrizi*. Au lendemain de la guerre, le néoréalisme submerge un peu la veine comique (présente toutefois chez des auteurs comme Castellani ou Zampa), mais, dans les années 50, grâce à des cinéastes comme Steno* et Monicelli, Emmer, Comencini, Risi et même Lattuada, des scénaristes comme Age* et Scarpelli*, Amidei*, Sonego, Maccari et Scola, des comédiens comme Sordi*, Tognazzi*, Gassman*, Manfredi*, le genre s'affirme et trouve sa véritable assise. Au tournant du début des années 60, des films comme Une vie difficile (Risi) et la Grande Pagaille (Comencini) constituent le commentaire le plus pénétrant que l'on ait fait sur la société italienne à un moment crucial de son devenir historique. Cette façon d'aborder les problèmes les plus graves de l'Italie dans une perspective divertissante ne s'est plus jamais démentie depuis vingt ans et il est certain que des films comme Dernier Amour ou Cher Papa de Risi, Un bourgeois tout petit petit de Monicelli, le Grand Embouteillage de Comencini, la Terrasse de Scola, les Nouveaux Monstres de Risi, Scola et Monicelli sont autant d'œuvres qui énoncent avec beaucoup de force le degré de traumatisme auquel est parvenue une société malmenée par vingt ans de faux progrès et de destruction morale.
Certes, tout dans le système des genres ne relève pas d'orientations aussi précises, aussi engagées à révéler les structures profondes d'une société. Le cinéma en tant que production étroitement dépendante des lois du marché est également soumis aux aléas supposés des goûts du public : la partie visible de l'iceberg laisse dans l'ombre les sous-produits d'une industrie qui s'empresse de suivre les modes ; par là s'expliquent des flambées de genres qui trouvent en Italie pendant quelques années un humus favorable. Exemplaire à cet égard, l'apparition du western spaghetti, dont la vogue, brutalement lancée en 1964 par Sergio Leone* (qui signait alors Bob Robertson) avec Pour une poignée de dollars, connut un grand succès pendant une dizaine d'années avant d'être relayé par le film d'épouvante (Mario Bava* et surtout Dario Argento*), le policier ou la comédie érotique. Cela dit, la fréquente qualité de ces films exprimait la bonne santé d'un cinéma reposant, comme le cinéma hollywoodien, sur une série B de valeur. Ce n'est donc pas un des aspects les moins préoccupants de la crise du cinéma italien que la dégénérescence des films de genre.