FRANCE. (suite)
Le cinéma de l'Occupation trouve sa consécration lors de la présentation des Enfants du paradis. Le pittoresque et le faste, la minutie et la prodigalité, l'or et la pourpre résument en deux époques le paradoxe du cinéma de l'Occupation. Pauvre et humilié, il sut déguiser son indigence, la voiler de riches atours et prodiguer l'éclat de leurs chatoiements. Alors que, précédemment, courts métrages et documentaires étaient sacrifiés, un effort évident, de la part des distributeurs comme des exploitants, permet pendant ces quatre ans de faire connaître au grand public les noms et les œuvres de René Clément*, de Georges Rouquier*, de G. Régnier, de Jean Tédesco*, de Jean Lods*, de René Lucot, de René Chanas, de Jacqueline Audry* et de Marcel Ichac*. Des dessins animés voient le jour, tels le Marchand de notes (1943), l'Épouvantail (id.), le Voleur de paratonnerres (1944), tous trois dus à Paul Grimault*. Aidé par l'opérateur Nicolas Hayer*, Jean-Paul Le Chanois constitue un groupe de travail qui enregistre la vie du maquis dans le Vercors de l'année 1944, prélude au film Au cœur de l'orage que l'on verra plus tard.
La relance du cinéma français après la guerre.
La lutte s'est intensifiée. Grâce à la réunion d'organismes, un comité de libération du cinéma français se forme au début de 1944. Un journal sort, l'Écran français, et un plan d'organisation du cinéma libéré s'élabore. Le 19 août 1944, le Comité participe activement à l'insurrection parisienne en même temps qu'il la filme. Le Film de la libération de Paris, fiévreux témoignage, connaît un énorme retentissement aussi bien en France qu'à l'étranger. Les lendemains sont moins euphoriques. L'industrie du cinéma se trouve gênée par les impératifs de la guerre, qui n'est pas terminée. Les conditions de travail, soumises aux restrictions d'électricité, au manque de matières premières, à la rigueur de l'hiver, sont pénibles. La Libération fait revenir dans les studios ceux que les lois raciales de Vichy en avaient bannis, mais l'épuration frappe d'autres personnes. Peu à peu, les cinéastes exilés rentrent en France, non sans susciter parfois quelques remous. Le public reste fidèle au rendez-vous des salles obscures, mais la production doit faire face au raz de marée américain : quatre années de films prêts à déferler. Cette situation de fait va se trouver aggravée par la signature des accords Blum-Byrnes, qui, faisant la part belle aux films américains sur le marché français, ameutent contre eux l'ensemble de la profession. La création du Centre national de la cinématographie (CNC) et la réglementation de l'exercice de la profession, promulguées cette même année, apaisent mal les esprits. En revanche, le spectateur moyen qu'on essaie de sensibiliser se désintéresse de la question et, entre deux films de l'Amérique en guerre qu'il découvre enfin, continue à se presser aux films français. Il voit d'une part les dernières productions de ce qu'on appelle « le cinéma de Vichy » et se montre souvent injuste pour ce qu'il juge anachronique. Des films comme Sortilèges (Christian-Jaque, 1945), Félicie Nanteuil (M. Allégret, 1945 [RE : 1942]), Falbalas (Becker, 1944), la Fiancée des ténèbres (Poligny, 1945) valent incontestablement mieux que ce qu'on en a pu dire alors. Il est vrai que l'énorme succès remporté par les Enfants du paradis (Carné, 1945) compense quelque peu ces injustices. Comme il fallait s'y attendre, les films à la gloire de la Résistance pullulent pendant un an, puis leur vogue s'éteint à cause de la médiocrité des histoires racontées, peinturlurées à grands traits. Certains se veulent allusifs, dans des décors historiques : l'amusant Capitan (Robert Vernay, 1946), le mélodramatique Patrie (Daquin, id.) et le vif et caustique Boule-de-Suif (Christian-Jaque, 1945). René Clément, qui s'est fait connaître pendant l'Occupation par ses courts métrages, serre de près la vérité avec la Bataille du rail (1946), sorte de documentaire sur l'action des cheminots pendant la guerre. Le même réalisateur obtint ensuite un succès populaire avec le Père Tranquille (1946), un des meilleurs films de Noël-Noël*. Maurice de Canonge présente, sous le titre Mission spéciale (id.), deux épisodes dont le premier, l'Espionne, retrace à la façon des bandes dessinées l'action de la 5e colonne pendant la « drôle de guerre ». Enfin Jéricho (Henri Calef, 1946) lie le sort d'un groupe d'otages à un bombardement aérien qui doit les libérer de leur prison. Sujet poignant très amoindri par de nombreux stéréotypes. La plus grosse déception vient de Raymond Bernard, peu inspiré par un médiocre mélodrame d'Yvan Noé : Un ami viendra ce soir, qu'il tente vainement de sauver en insistant sur les numéros d'acteurs. Sensible à l'air de ce temps-là, Carné tente d'en laisser le souvenir avec les Portes de la nuit. Le film se situe très précisément pendant l'hiver glacé de 1945 ; la description que le réalisateur fait du quartier Barbès-Rochechouart, l'espace d'une nuit, avec son humanité grouillante, ses gagne-petit, les ex-collabos sournois et honteux, les anciens résistants d'une sobre dignité, s'enrichit du dialogue de Jacques Prévert. Des difficultés d'interprétation (Gabin et Dietrich* pressentis puis remplacés par deux débutants : Montand* et Nattier), un symbolisme un peu lourd et des scènes sentimentales un peu plaquées nuisent au film, contre lequel une cabale se déchaîne. L'échec des Portes de la nuit va contrarier la future carrière de Carné, qui en garde une amertume compréhensible.
Les spectateurs restent friands de comédies bourrées de mots d'auteur, de films policiers ; mais il va falloir attendre 1947 pour retrouver Clouzot. Celui-ci s'appuie — à peine — sur un roman de S. A. Steeman pour présenter Quai des Orfèvres, où il s'intéresse surtout à la psychologie des principaux personnages qu'il place dans des décors d'un réalisme exact et dont les comparses ont des silhouettes bien mises en relief. Quai des Orfèvres triomphe et incite Clouzot à choisir des sujets plus ambitieux : Manon (1949), transposition colorée et fiévreuse du roman de l'abbé Prévost dans l'actuelle après-guerre, reste extérieure à l'histoire d'amour, pourtant pivot du film. Le Salaire de la peur (1953) joue du suspense tout au long de la randonnée d'un camion bourré de nitroglycérine. Les Diaboliques (1955) et ses trois assassins font frissonner dans des situations appuyées et soulignées. Les Espions (1957), jeu de massacre absurde et cocasse, n'enthousiasme pas le public dérouté, ni la critique perplexe. L'utilisation de Brigitte Bardot* dans la Vérité (1960) ne va pas sans un certain académisme. La Prisonnière (1968), sa dernière œuvre, passe inaperçue en dépit d'un sujet « tabou » sur les rapports sado-masochistes. Clouzot, qui souffrait d'une maladie de cœur (et d'un caractère agressif), ne put mener à bien différents sujets. Il s'intéressa à la genèse des œuvres d'un grand peintre (le Mystère Picasso, 1956) et ne dédaigna pas de verser dans le sirop de la pièce Miquette et sa mère (1950) quelques gouttes de vitriol qui surprirent, mais tonifièrent le breuvage.