RÜHMANN (Heinrich Wilhelm, dit Heinz)
acteur et cinéaste allemand (Essen 1902 - Berg 1994).
Particulièrement à l'aise dans des comédies légères, il devient très populaire dès 1930 avec le Chemin du paradis (Die Drei von der Tankstelle, W. Thiele). Il a joué dans une centaine de films, dont notamment : Man braucht kein Geld (C. Boese, 1931), Die lachende Erben (M. Ophuls, 1933), le Capitaine de Köpenick (H. Käutner, 1956), la Nef des fous (S. Kramer, 1965), Hokuspokus (K. Hoffman, 1966), Maigret fait mouche (A. Weidenmann, id.), Das chinesische Wunder (W. Liebeneiner, 1976), Si loin si proche (W. Wenders, 1993). Cinéaste, il a réalisé Lauter Lügen (1938), Lauter Liebe (1940), Sophienlund (1943), Der Engel mit dem Saitenspiel (1944), Die kupferne Hochzeit (1948) et Briefträger Müller (1953).
RUIZ (Raúl)
cinéaste chilien (Puerto Montt 1941).
Il étudie la théologie, le droit et le documentaire social à l'école argentine de Fernando Birri avec le même détachement. Ses vraies classes, ce sont les dizaines de pièces de théâtre, écrites entre l'adolescence et la majorité, et le premier emploi mettant à l'épreuve son énergie boulimique : la réécriture et le peaufinage des scénarios de séries, à la télévision mexicaine. Il fait encore un détour par la télévision chilienne et aborde le cinéma par l'université et les ciné-clubs. Son premier long métrage achevé, Trois Tristes Tigres (1968), marque l'irruption d'une jeune génération chilienne dans le mouvement de renouvellement du cinéma latino-américain. Cependant, Ruiz se rattache d'emblée au versant le plus soucieux d'une recherche sur le langage filmique (représenté par certains protagonistes du Cinema Novo brésilien), plutôt que de simple agit-prop militant. Trois Tristes Tigres retourne à l'envers un mélodrame et en fait un cinéma de description de comportements, attentif aux idiotismes, tics et rituels de la petite bourgeoisie urbaine. Pourtant, même cette veine réaliste très personnelle (aussi peu édifiante et démonstrative que possible) ne rapproche pas Raúl Ruiz des sentiers habituellement empruntés. Lors de l'accession de la gauche au pouvoir, le cinéma politique d'origine néoréaliste alors en vogue constitue une voie trop étroite pour lui, comme le montre sa mésentente avec les coréalisateurs américains de Qué hacer ? (1970). S'il lui arrive de tourner quelques documentaires de court métrage, sa manière de broder autour de la conjoncture privilégie déjà les chemins de traverse, les allégories, voire les inversions de situation qui valent autant de démonstrations par l'absurde, témoignages de la dette contractée envers un certain théâtre d'avant-garde (La colonia penal, 1971 ; La expropiación, 1972 ; El realismo socialista, 1973). Dialogue d'exilés (1974) expose davantage sa rupture vis-à-vis de l'optique prédominante, en abordant avec son irrévérence proverbiale les déchirements et contradictions de l'exil, alors que la gauche chilienne reste prisonnière des atermoiements et de l'autocomplaisance, même après la défaite. Raúl Ruiz refuse alors le rôle qu'on veut bien attribuer à un cinéaste du tiers-monde, accepte sa condition de personne déplacée, adopte les normes esthétiques en vigueur en France, quitte à les transgresser, et finit par construire ainsi une paradoxale parabole d'un exil qu'il ne traite désormais plus directement, mais qui se trouve inscrite en creux dans son œuvre, traversée par le relativisme des cultures. En Europe, il accepte et dénature toutes sortes de commandes, au point de se présenter volontiers, avec l'ironie dont il ne se départ guère, comme un simple tâcheron, voire le dernier cinéaste hollandais. Chaque court métrage possède une personnalité, car Ruiz y investit une curiosité inépuisable et sa volonté de recherche et d'expérimentation, une manière de mélanger les vieux truquages artisanaux du cinéma et une option moderne vers l'imaginaire : ainsi, le château de Chambord devient prétexte à une déambulation philosophique, tandis que la caméra d'Henri Alekan rejoint Magritte et Tanguy (les Divisions de la nature, 1978) ; l'agencement des jardins épouse les méandres du cœur (Querelle de jardins, 1982). Partout, Ruiz étale son goût du non-sens, son humour, sa nonchalance ludique, l'attirance pour le fantastique, la réutilisation et le détournement des lieux communs et des stéréotypes, la mise en pièces des conventions de la représentation et de la rhétorique (Petit Manuel de l'histoire de France, 1979 ; le Jeu de l'oie, id.), le charme discret des récits populaires et du feuilleton (Colloque de chiens, 1977 ; le Borgne, 1981). Les options du reportage télévisé et du documentaire suscitent chez lui la même méfiance (Des grands événements et des gens ordinaires : les élections, 1979 ; Lettre d'un cinéaste ou le Retour d'un amateur de bibliothèques, 1983 ; Las soledades, 1993). Cette activité multiforme débouche sur des constructions plus complexes, qui mettent en cause les dogmes et liturgies politiques et religieuses, les articulations logiques et l'effet de démonstration, bref une vérité sous influence (la Vocation suspendue, 1977 ; l'Hypothèse du tableau volé, 1978). Ensuite, la fiction devient moins cérébrale et s'appuie sur une imagination franchement débridée, qui tire son parti des contraintes inhérentes aux tournages économiques et rapides, à la manière de l'ancienne série B. Le Territoire (1981), le Toit de la baleine (id.), les Trois Couronnes du matelot (1982), la Ville des pirates (1983), l'Éveillé du pont de l'Alma (1985), l'Île au trésor (1986), avec leur façon d'intégrer les procédés surréalistes à la tradition des récits d'aventures, du roman gothique ou du film d'horreur, s'inscrivent tranquillement à contre-courant du cinéma contemporain. Comme si cela ne suffisait guère, le cinéaste aborde la mise en scène de théâtre et les installations, il explore toutes les variantes audiovisuelles, écrit à nouveau des pièces (le Convive de pierre, 1988) et des textes bourrés de jeux de miroirs et de jeux de l'esprit (le Livre des disparitions/le Livre des tractations, 1990), transforme ses provocations en pédagogie et publie enfin une Poétique du cinéma (1995). Une partie de sa production filmique reflète désormais ces incursions dans d'autres domaines : Bérénice (1983), la Présence réelle (1984), Richard III (1986), Mammame (id.), Mémoire des apparences (id.), le Professeur Taranne (1987)... Dans une interminable filmographie, défiant toutes les étiquettes, y compris celle de l'héritage surréaliste, l'Œil qui ment (1992) et Fado, majeur et mineur (1993) déploient des ressources purement cinématographiques et une ironie redoublée envers les normes et les rationalisations académiques. Ruiz s'est créé un territoire personnel, naviguant à vue, tel un vaisseau fantôme égaré dans une bibliothèque de Babel, sans s'arrêter trop à Kafka, Pavese, Brecht, Klossowski, Calderón de la Barca, Shakespeare, Stevenson ou Racine, mais ne dédaignant point les labyrinthes de Borges ou l'univers baroque de Lezama Lima. Il n'y a pas de trajectoire aussi vertigineuse, excitante et audacieuse au cours de ces années 70-80. Fasciné par les pièges du récit et même par le mélodrame, il évolue au cours des années 90 vers des narrations plus sages en apparence et vers l'adaptation de textes littéraires : Proust avec le Temps retrouvé, Giono avec les Âmes fortes.