CANADA. (suite)
Après 1910,
des compagnies éphémères sont créées à Montréal, Toronto, Halifax, pour produire des films de fiction dramatique. La Canadian Bioscope Company tourne en 1913 le premier long métrage canadien, Evangeline, d'après le poème de Longfellow. Le film, réalisé par le capitaine Holland à Halifax, connaît un succès qui assure deux ans de prospérité à la firme, laquelle produit deux autres longs métrages avant de disparaître en 1915. Simultanément, la All-Red Feature Company de Windsor tourne The War Pidgeon en 1914, la British American Film Company tourne à Montréal Dollard des Ormeaux, la Connes-Till Company de Toronto produit des films d'aventures et des comédies de deux bobines.
La guerre prolonge cette première période de prospérité. Self-defence (1916) de Charles et Len Roos décrit l'invasion imaginaire du Canada par les Allemands, en intégrant des documents d'actualité à la fiction. A. D. Kean dirige des longs métrages à Vancouver (The Adventures of Count E. Z. Kisser, 1917). La même année, les premiers studios canadiens sont inaugurés à Trenton (Ontario). En 1918, à Calgary (Alberta), Ernest Shipman fonde une compagnie de production qui tourne une dizaine de films en trois ans, dont Back to God's Country de David M. Hartford (1919), lequel exploite un exotisme canadien à destination du public des États-Unis.
Au début des années 20, le cinéma canadien, atomisé en petites compagnies décentralisées d'une rive à l'autre de la fédération, donne l'illusion de la prospérité. C'est à cette époque que le gouvernement canadien transforme le Exhibits and Publicity Bureau, créé en 1914 sous la direction de Bernard Norrish, en Canadian Government Motion Picture Bureau (CGMPB), qui produira dans les années 20 et 30 des courts métrages et des documentaires. La crise de la CGMPB sera d'ailleurs à l'origine de l'intervention de John Grierson* et de la création de l'ONF en 1939.
En 1923, les fragiles structures économiques du cinéma canadien s'effondrent. Les petits réseaux de salles qui s'étaient constitués pendant la guerre (la chaîne Regent fondée en 1916 à partir de Toronto, la United Amusements fondée en 1919 à Montréal) sont absorbés par les circuits mis en place par les Majors de Hollywood. Le marché canadien est purement et simplement intégré au marché américain : les recettes canadiennes (box-office) sont comptabilisées dans les recettes intérieures des États-Unis. L'industrie canadienne est satellisée : elle tourne des longs métrages américains, qui exploitent les mythologies du Grand Nord ou de la police montée, mais non de longs métrages canadiens. L'échec en 1927 d'un groupe d'investisseurs qui avaient réuni une somme colossale (500 000 dollars) pour produire dans les studios de Trenton un long métrage national (Carry on Sergeant, de Bruce Bairnsfather) cantonne le cinéma canadien dans le domaine du documentaire, produit soit par le gouvernement dans le cadre du CGMPB, soit par une firme privée dynamique, la Associated Screen News de Montréal, dont la série Canadian Cameos, dirigée jusqu'en 1953 par Gordon Sparling, connaîtra une très large diffusion.
Les années 30
sont une période sombre pour le cinéma canadien. Certes, un premier film canadien parlant (anglais) est bien réalisé en 1930 (The Viking, de Varick Frissel et George Melford, produit par la Newfoundland Labrador Film Company), mais il est sans lendemain. Au Québec, l'abbé Maurice Proulx enregistre, certes, de nombreux documents sur la colonisation de l'Abitibi, qui seront diffusés après 1941 comme matériel de propagande par le service de Ciné-Photographie de la province. Certes, Ken Bishop produit en Colombie-Britannique quelques longs métrages peu coûteux (les quotaquickies) destinés au marché anglais. L'activité n'en est pas moins très réduite.
C'est dans ce contexte que le pouvoir politique se soucie de relancer le secteur qu'il contrôle (le CGMPB), doté d'installations sonores depuis 1934. Un rapport de novembre 1937, rédigé par Ross McLean et signé par le haut-commissaire du Canada à Londres, Vincent Massey, dresse un bilan négatif et suggère de faire appel au père fondateur de l'École documentaire anglaise, John Grierson. Celui-ci arrive à Ottawa en 1938 et rédige un rapport qui préconise la mise en place d'un Office national du film (ONF) sous l'autorité d'un commissaire. En 1939, l'ONF est effectivement créé, et Grierson est nommé commissaire. La déclaration de guerre, puis des conflits de personnes, retardent le démarrage effectif de la nouvelle structure jusqu'à l'été 1941. Mais à partir de cette date, l'ONF assure une part considérable de l'activité cinématographique au Canada, et donne une vive impulsion à ce qui se fait même en dehors de lui.
Le Grand Atelier fondé par Grierson s'attache d'abord à la production de films d'information et de propagande. Il se dote immédiatement d'une section films d'animation, promise, sous l'impulsion de Norman McLaren*, à un avenir brillant. Enfin, très tôt, à l'image de l'école britannique du GPO, l'ONF braque ses caméras sur l'environnement immédiat, sur la société canadienne, jetant les bases de ce qui deviendra le Candid Eye, puis le cinéma direct des années 60. Même si d'aucuns ont souhaité, pour des raisons d'opportunité politique, la minimiser, l'importance de l'ONF est considérable, car cet organisme a favorisé le développement des cinémas canadiens, la formation des hommes et l'élaboration d'un regard spécifique qui rapproche (quoi qu'ils en aient) un opérateur de Toronto de son homologue de Montréal.
Dans les années 60 et 70,
sous forme de production directe, de coproduction, de soutien technique, par ses commandes, même si parfois elles ont été détournées, par son influence sur les méthodes de tournage de ceux-là mêmes qui se sont retournés contre lui, l'Office est père et grand-père de tous les cinémas canadiens, et du cinéma québécois en particulier.
Depuis l'avènement du parlant, le marché « canadien français » s'était largement ouvert aux films venus de France : le premier film français parlant, les Trois Masques d'André Hugon, était sorti à Montréal le 31 mai 1930. À partir de 1934, la société France-Film de Robert Hurel et Jos-Alexandre DeSève contrôle la quasi-totalité du marché : elle importe environ 80 p. 100 de la production annuelle du cinéma français. La guerre coupe ses sources d'approvisionnement. Il se crée alors des sociétés de production québécoises : Renaissance Films, dans laquelle DeSève a des intérêts, et qui sort en 1943 le Père Chopin, dirigé par Fédor Ozep*. Fort du succès que le film rencontre à Montréal, DeSève se lie à l'abbé Aloysius Vachet, fondateur en France des studios Fiat-Film : une campagne est lancée au Québec pour recruter des actionnaires en mettant l'accent sur la nécessité d'un cinéma catholique. On bâtit des studios à Montréal, on publie des projets qui n'aboutissent pas, jusqu'à la réalisation en 1949 du Gros Bill dirigé par le Français René Delacroix.