MEXIQUE. (suite)
L'âge d'or du cinéma national.
La révolution mexicaine intensifie les affaires : trente-trois nouvelles salles ouvrent en 1911 ; les paysans, qui affluent à Mexico, constituent un nouveau public désireux de se reconnaître sur l'écran. Revolución orozquista (1912), avec son montage alterné et convergent des troupes de Huerta et Orozco, exprime le souci d'« objectivité » des frères Alva, qui suivent Francisco Madero partout. Des historiens n'hésitent pas à qualifier cette époque d'âge d'or du cinéma national. Après l'implantation de la censure (1913), le documentaire épouse de plus en plus l'optique officielle. La révolution disparaît de l'affiche vers 1916 et ne revient que sous la forme d'évocation du passé, lors des assassinats de Zapata (1919) et Villa (1923). Cine Revista Semanal México (1919) relègue les événements brûlants au profit de la chronique rituelle du pouvoir. Cette production initiale préfigure un cinéma politique au présent ; son importance dépasse largement le cadre de simples actualités et réapparaît lors des films de montage réalisés à partir de ce saisissant matériel historique (Memorias de un mexicano, Carmen Toscano de Moreno, 1950). La prégnance de la réalité est perceptible aussi dans certaines tentatives fictionnelles contemporaines, tel le court métrage comique El aniversario del fallecimiento de la suegra de Enhart (Alva, 1913) et surtout El automóvil gris (E. Rosas, 1919), reconstruction à la manière des serials des exactions d'une bande de malfaiteurs.
Cependant, le « film d'art » et le cinéma italien deviennent les influences dominantes. Le long métrage La luz (Ezequiel Carrasco, 1917) plagie Il fuoco (P. Fosco, 1915). L'actrice Mimí Derba fonde Azteca Film et imite les divas (1917). Le producteur Germán Camus exploite le mélodrame, avec une première Santa (Luis G. Peredo, 1918) d'après Federico Gamboa, et des drames ruraux (En la hacienda, Ernesto Vollrath, 1921), tandis que Jesús H. Abitia fonde les studios Chapultepec (1922). L'installation des premières succursales de distributeurs américains (1919), un début de concentration de l'exploitation, la publication de la revue Cine mundial en espagnol, à New York (1916), et de El Universal ilustrado à Mexico, marquent la pénétration hollywoodienne. Un timide nationalisme voit le jour dans les films de Miguel Contreras Torres et une première revendication indigéniste dans ceux de Guillermo Calles. Mais l'État reste encore indifférent à cette cinématographie balbutiante et la production connaît une chute (1924), que n'enraye pas tel succès ponctuel (El Cristo de Oro, Manuel R. Ojeda, 1926).
L'apogée de l'industrie cinématographique.
Fin 1930, Eisenstein arrive pour filmer ¡ Que viva México !, dont l'imagerie exercera une fascination durable. Après quelques tentatives plus ou moins infructueuses au nord du Rio Grande, on considère Santa (A. Moreno*, 1931) comme le premier long métrage parlant mexicain (Más fuerte que el deber, R. Sevilla, 1930, ayant disparu). L'avènement du sonore semble vouer le Mexique à une dépendance accrue vis-à-vis de Hollywood, où cinéastes et comédiens s'affairent dans la production « hispano » (Dolores del Río*, Ramón Novarro*, Lupe Vélez*, Rosita Moreno, Gilbert Roland*). Or, cette étape préindustrielle s'avère créative et diversifiée, même si les réussites (dues notamment à Fernando de Fuentes*, Juan Bustillo Oro*, Arcady Boytler*) restent isolées. La production passe de deux longs métrages en 1931 à 21 en 1933. L'opérateur Jorge Stahl fonde les studios Mexico Films (1932), tandis que ceux de la Compagnie productrice nationale (ex-Chapultepec) sont établis par le gouvernement. L'élection du général Lázaro Cárdenas amène un sursaut nationaliste. Le secrétariat à l'Éducation publique produit les Révoltés d'Alvarado (Redes, F. Zinnemann* et Emilio Gómez Muriel, 1934, photographié par Paul Strand*), exemple d'un cinéma social qui ne sera guère suivi, alors que l'indigénisme bucolique et photogénique inauguré par Janitzio (Carlos Navarro, 1934) aura ses continuateurs. L'État soutient financièrement la construction des studios CLASA (Cinematográfica Latino Americana SA, 1935), de type hollywoodien, et la production de ¡ Vámonos con Pancho Villa ! (F. de Fuentes, 1935). Stimulé par les réussites du parlant, un courant prônant la nationalisation de l'industrie et la rationalisation de la production obtient ainsi un écho au niveau du gouvernement Cárdenas. Néanmoins, le caractère artisanal de la cinématographie et la courte vue des producteurs s'imposent, tandis qu'on fonde les studios Azteca (1937). La crise est conjurée par le succès sans précédent de Allá en el Rancho Grande (F. de Fuentes, 1936), qui consolide l'initiative privée et les options les plus commerciales.
Commence l'apogée de l'industrie mexicaine, qui se prolonge durant une dizaine d'années (la production atteint 57 longs métrages en 1938, année où débutent 18 metteurs en scène). La guerre mondiale lui donne un second souffle (70 films en 1943, 82 en 1945). Suite aux entraves qui en découlent pour les pays producteurs européens et à l'infléchissement propagandiste de Hollywood, le marché hispanophone est à prendre ; les États-Unis soutiennent les efforts d'un Mexique plus proche, plutôt que l'Espagne franquiste ou l'Argentine neutre, le principal concurrent. Bientôt, Jorge Negrete* devient la vedette incontestée du genre prolifique inauguré par Allá en el Rancho Grande : la comédie « ranchera » (paysanne), abondamment chantée et aux conventions tenaces, incarne le cinéma mexicain par excellence aux yeux du public latino-américain ; la province parcourt ainsi la distance qui sépare la mystification du mythe (J. Ayala Blanco). Autre genre exploité jusqu'à satiété : le mélodrame familial, peuplé de mères et épouses au dévouement fanatique, susceptibles de mobiliser l'œdipe de toute l'Amérique latine dans un irrésistible crescendo (Madre querida, Juan Orol, 1935 ; Mater nostra, G. Soria, 1936 ; Madres del mundo, Rolando Aguilar, id.). Un historien peut parler à ce propos d'une régression, d'une infantilisation du public à travers le culte de la mère et le refuge dans une province idéalisée (E. García Riera). Les écrans nationaux reflètent alors et annoncent parfois (avec les déformations propres au cinéma) l'évolution de la société mexicaine. En effet, après le sursaut cardéniste, les convulsions de 1910 sont vidées de leur sens (Con los dorados de Villa, Raul de Anda, 1939). Une série de films expriment une véritable nostalgie de la période prérévolutionnaire (En tiempos de Don Porfirio, J. Bustillo Oro, 1939). La mystique ambivalente de Emilio Fernández* (et de l'opérateur Gabriel Figueroa*) ne contredit pas cette tendance générale. Le nationalisme devient folklorisme, pittoresque figé, alibi du conformisme. Un décret rend obligatoire la programmation d'au moins un long métrage national par mois dans les salles (1939). La réglementation de la censure institue le contrôle préalable sur scénario (1941). La base économique reste précaire. Une banque cinématographique (1942) favorise la concentration de la production autour de Jesús Grovas et la veine nationaliste de CLASA (qui fusionne avec Films Mundiales en 1945 et forme la compagnie la plus puissante d'Amérique latine). Une diversification de thèmes et genres est perceptible avec des comédies (Cantinflas* fait recette, mais profite à Columbia), des drames religieux (El padre Morelos, M. Contreras Torres, 1942), un pillage croissant de la littérature universelle (El conde de Montecristo, Chano Urueta, 1941) : on recommence à imiter (ou à parodier) le cinéma étranger. L'immigration républicaine introduit un relent de cosmopolitisme dans cet univers renfermé et débouche sur un véritable film espagnol de l'exil, La Barraca (R. Gavaldón*, 1944), dont circulent des versions en valencien. Le star-system incorpore successivement María Félix*, Arturo de Córdova*, Pedro Armendáriz*, Pedro Infante*, Fernando Soler*, Katy Jurado*, Silvia Pinal* et le comique Tin Tan* des revenantes comme Dolores del Río et Lupe Vélez. Le Mexique attire la vedette argentine Libertad Lamarque et le cinéaste américain Norman Foster*.